Les électeurs gabonais sont appelés aux urnes samedi 12 avril pour une élection présidentielle qui marque le début de la sortie de la transition entamée par le coup d’État du 30 août 2023.
Journée férié me ce samedi pour faire voter le maximum de Gabonais. Ce sont 920 000 électeurs gabonais qui sont appelés aux urnes pour élire leur président après 20 mois de transition. Candidat à ces élections, le général Oligui Nguema, tombeur d’Ali Bongo fait face à sept candidats dont l’ancien premier ministre Alain Claude Bilie By Nze. Le général semble parti pour s’imposer.
Un scrutin à la portée historique puisque, pour la première fois depuis 1967, aucun bulletin ne portera le nom « Bongo ». Huit candidats sont en lice, dont le chef de la transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, rallié par la quasi-totalité des forces politiques et de la société civile. Cette échéance se présente dans un calme qui tranche avec l’effervescence des précédents scrutins.
Devant une supérette proche du CHU, trois amies partagent un jus sous un parasol. En cette saison pluvieuse, l’après-midi étouffante annonce un orage qui viendra rompre la quiétude de la capitale gabonaise. En attendant, elles ne cachent pas qu’elles apprécient un calme rarement connu en période électorale. « On est là, tranquille, on ressent à peine les élections. Pas de casse, on mange, on boit, on dort, c’est très bien », sourit Annie. « On sent l’harmonie des Gabonais en ce moment », appuie Syntiche, qui dit avoir « le cœur tranquille », comme Murielle, « rassurée » par l’ambiance, et bien contente de « sortir de la répétition » des crises.
En 2009, en 2016 et encore en 2023, le Gabon vivait au rythme des meetings, avec d’un côté le PDG (Parti démocratique gabonais), ex-parti au pouvoir soucieux de le conserver par tous les moyens avec Ali Bongo, après l’avoir agrippé avec son fondateur Omar Bongo ; et de l’autre, les mobilisations de l’opposition pour faire tomber la dynastie, souvent derrière des transfuges du pouvoir. Cette année, rien de tout cela, le coup de tonnerre politique ayant déjà eu lieu le 30 août 2023, lorsque les militaires ont annulé une élection que la présidence n’avait cette fois pas les moyens de renverser.
Vingt mois plus tard, c’est le visage du chef des putschistes – eux emploient le terme de « libérateurs » – qui occupe l’espace public : panneaux d’affichage, affiches, abribus, Brice Clotaire Oligui Nguema est partout, avec sa campagne « C’BON », qui joue sur ses initiales. Le slogan du CTRI (Comité pour la transition et la restauration des institutions), « c’est enfin notre essor vers la félicité », imprimé sur fond des couleurs nationales, habille les grilles du gigantesque chantier qu’est le bord de mer de Libreville.
Campagne plébiscitaire et soutien quasi unanime des forces politiques
Visuellement, cette campagne a des allures de plébiscite, le chef de la transition disposant de moyens sans commune mesure avec ses opposants. Pourtant, la plupart des Librevillois ne semblent pas s’en émouvoir. « La répartition des temps de parole et de présence médiatique n’est pas équitable », reconnaît Philippe, assis derrière le présentoir de son amie, vendeuse ambulante d’arachides, « on a l’impression que tout le monde vote le CTRI, même si on sait déjà qu’ils vont gagner ». Pourtant, ce jeune homme ne blâme pas les militaires : « Si les opposants ont pu déposer 30 millions de francs CFA de caution, ils doivent pouvoir se payer des affiches. »
« Les sept autres candidats n’ont pas d’affiches, ils donnent des causeries, misent sur les réseaux sociaux », observe le juriste Augustin Emane, qui nous reçoit dans son cabinet du centre-ville. Pour lui, il ne faut pas se le cacher : « Nous sommes dans une campagne plébiscitaire, la question est de savoir si ceux qui ont fait tomber Ali Bongo ont le droit de poursuivre. C’est difficile de proposer autre chose et de remettre en cause celui qui a posé cet acte que peu de gens imaginaient et qui a été largement applaudi. Il faut rappeler que beaucoup disaient qu’ils voteraient pour un chien s’il était face à Ali Bongo. »
Pour cette campagne, Brice Clotaire Oligui Nguema jouit du soutien de la quasi-totalité des forces politiques, qu’elles soient issues de l’ancien système PDG, de l’ex-opposition qui a participé à la transition, comme les ténors Alexandre Barro Chambrier ou Paulette Missambo, ou de voix jadis très critiques de la société civile comme le défenseur de l’environnement Marc Ona Essangui ou l’avocat Anges-Kevin Nzigou.
Alors le Gabon est-il phagocyté par « C’BON », et n’est-ce pas un péril pour le pays ? « La campagne est ouverte et se déroule bien, chacun emploie sa stratégie », affirme la ministre de la Communication, Laurence Ndong. « Le candidat Oligui Nguema fait l’unanimité. Le peuple voit en lui un bienfaiteur après les kleptocrates de l’ancien système. Mais il a aussi un bilan qui fait progresser le pays. Les Gabonais sont rassurés par la réalité », assure l’une des vingt-sept porte-paroles du candidat.
Bilie-By-Nze, « serpent », alternative ou sparring-partner ?
Pour chapeauter tous ses soutiens, Brice Clotaire Oligui Nguema a créé le « Rassemblement des bâtisseurs », un nom en écho à son axe politique principal : la reconstruction des infrastructures du pays. « Cette transition est un paradoxe », estime le juriste Augustin Emane, « on ne peut pas dire que ça va mieux, mais le CTRI donne le sentiment que le pays est en chantier, en mouvement. Le Gabon était en léthargie profonde. Ça, les gens le voient ». Un avis que partage Philippe, dans l’ombre de sa ruelle : « Les Gabonais sont dans l’optique que tant que le semblant du quotidien est là, ils poursuivront. On est dans le sens du vent. Malheureusement, les autres ne sont pas crédibles. Alain Claude Bilie-By-Nze a, selon moi, un projet cohérent, mais il est « invotable », radioactif. »
Parmi les sept candidats à défier le chef de la transition, Alain-Claude Bilie-By-Nze, le dernier Premier ministre d’Ali Bongo est en effet la seule personnalité politique de poids. Et il se lâche contre une transition, selon lui, dispendieuse et bâtie sur une illusion : « Le général Oligui est dans le système depuis Omar Bongo. Il n’est pas un homme neuf et tous ceux qui l’entourent aujourd’hui, ce sont des hommes anciens du système ancien. Ils essaient de montrer aux Gabonais un visage différent. Mais les Gabonais sauront faire la part des choses et, aujourd’hui, il est temps de mettre un terme à ce système », juge celui qui se définit comme « la seule alternative aux militaires », et va aux élections « pour gagner ».
Un ton qui lui vaut de prendre des coups en retour : « La mue du serpent ne change ni sa nature ni la toxicité de son venin », assène Laurence Ndong, véhémente contre « les discours fallacieux, les postures méprisantes et arrogantes » d’un adversaire qui, selon elle, « ne vit que par la division des Gabonais ».
Avec RFI