Jeudi 27 juin 2019
Gaïd Salah, ses obligés, l’armée et le drapeau !
Tout le monde sait aujourd’hui, grâce aux médias non inféodés au régime, que l’armée algérienne, conduite sous la houlette du sombre colonel Mohamed Boukharouba (alias Houari Boumediène) a confisqué la souveraineté populaire dès les premières heures de l’indépendance.
Depuis ce temps-là, les squatteurs de la « République » ont cumulé des privilèges, amassé des fortunes colossales et usurpé les postes d’autorité. Ils se sont servis sans retenue des institutions de l’État pour placer leur progéniture, pour accorder des faveurs à leur entourage familial, à leurs alliés ou serviteurs. Ils ont élaboré des lois pour s’assurer la reproduction du système.
Patrons (du moins certains), hauts fonctionnaires de l’administration, de la police, des douanes, de la magistrature, walis, ministres, tous ces impétrants ont gouverné sans partage sous la protection d’une oligarchie militaire qui s’est octroyée tous les droits mais ne s’est imposée aucun devoir. Aucun compte à rendre en définitive et quiconque le lui réclame est broyé d’une façon ou d’une autre.
Gaïd Salah a pensé bien cibler
Cette situation a trop duré et a fini par exaspérer le peuple algérien qui, un certain 22 février 2019, a dit basta, ça suffit ! La gabegie a trop duré, le théâtre mortifère ne plus se prolonger, place à un pouvoir civil, légitime et compétent.
Mais à chaque fois que l’on entrevoit la chute finale du régime, l’oligarchie militaire refait surface et tente de se maintenir. Elle a tout essayé pour tromper la vigilance du peuple : répression multiforme, concessions en trompe-l’œil, sacrifice de certains des siens puis enfin tentative de division.
Pour actionner ce dernier levier, Gaïd Salah a pensé bien cibler : interdire le drapeau trans-national amazigh.
Dans sa tête peut-être bien pleine mais certainement mal faite, pour paraphraser le philosophe Michel de Montaigne, le généralissime national, néanmoins inféodé aux Saoudiens et Émiratis, s’est imaginé qu’il suffisait d’indiquer ce drapeau à la vindicte populaire pour que les Algériens se dressent les uns contre les autres. Mais a contrario et à son corps défendant, les Algériens se sont massivement appropriés cet emblème que les concepteurs ont voulu unificateur pour toute l’Afrique du Nord. Ils se sont regroupés derrière cette bannière malgré quelques racistes ou flagorneurs comme l’imam politique Abdallah Djaballah ou la cabotine Naïma Salhi.
Le port du drapeau criminalisé
Un drapeau est en effet la forme symbolique du groupe social, culturel ou (tans)-national représenté par celui-ci. Il permet donc d’en marquer la spécificité. Son interdiction ou sa confiscation traduit la volonté d’éliminer de façon réelle ou politique l’identité qu’il représente. C’est ce que le FLN a fait depuis toujours.
Mais venant d’un général, de surcroît vice-ministre de la défense, l’affaire est autrement plus grave. En criminalisant ce drapeau, Ahmed Gaïd Salah envoie un message fort. À travers ce geste, l’Armée national algérienne (ANP) assume ouvertement la discrimination envers les citoyens algériens attachés à leur amazighité fussent-ils de vrais et grands patriotes. Il y a donc officiellement fabrication d’identités ethniques dans l’armée que l’on croyait neutre et intégratrice.
L’impôt du sang ne donne finalement pas accès aux mêmes droits ! Les berbérophones seraient donc pour Gaïd Salah une simple légion étrangère. Du coup, ils ne peuvent prétendre au respect de leur identité culturelle, linguistique, historique… Le sacrifice massif de leurs pères pour l’indépendance ne doit être vu que sous l’angle des pertes et profits d’une guerre dont l’idéal serait l’arabo-centrisme. Leurs revendications sont restées encombrantes toujours et criminalisées souvent.
L’armée « grande famille » ne serait qu’un slogan. Pour y évoluer et prétendre à une ascension méritée, le berbérophone doit accepter de renier son identité. La loyauté consiste à s’affirmer pour ce que l’on n’est pas : « arabe et musulman », la constitution et la tradition militaire l’exigent depuis la fameuse déclaration de Ben Bella en 1963 « nous sommes arabes, nous sommes arabes, nous sommes arabes ».
Affirmation tonitruante en signe d’allégeance au Raïs d’Égypte, le colonel Djamel Abdel-Nasser. Alors porter un drapeau amazigh, vous vous rendez compte ? une trahison ! Ce qui explique que policiers, gendarmes, magistrats s’acharnent à incriminer celles et ceux qui, en « ennemis de l’intérieur », osent arborer un tel emblème. Cela se solde, ces derniers jours, par de nombreux jeunes incarcérés. Pourtant, l’émergence d’une demande collective d’amazighité date d’au moins 1949 au cœur du mouvement nationaliste et de son bras armée, l’O.S. (Organisation Secrète dirigée, un moment, par Hocine Aït Ahmed vite dégommé car soupçonné de berbérisme et remplacé par Ben Bella justement).
L’espoir est permis
Au printemps amazigh de 1980 et au printemps noir de 2001, l’état-major de l’armée s’est interrogé sérieusement sur la loyauté des recrues kabyles en son sein. Selon de nombreux témoignages des conscrits originaires de cette région, l’état-major a désarmé les militaires kabyles pendant ces printemps sanglants. L’interdiction du drapeau amazigh sur injonction de Gaïd Salah n’est donc qu’une suite logique d’une politique de discrimination que l’armée n’a pas hésité à assumer.
Plusieurs dispositifs politiques et institutionnels ont fait des citoyens algériens amazighs une sorte de second collège. L’armée est devenue un bon laboratoire d’expérimentation de cette inégalité de traitement ce qui explique son comportement de type colonial en Kabylie en 1963-65 particulièrement mais pas seulement.
L’ANP n’a jamais voulu s’élever au rang d’institution égalitariste, en une école d’intégration et de citoyenneté. Elle a toujours préféré être au service des voyous de la République. Son refus, aujourd’hui, d’une transition démocratique, sa décision de criminaliser le drapeau amazigh viennent nous le rappeler au cas « chaâb-Djeich, khawa-khawa » venait à faire illusion.
L’héritage colonial et ses perversions ont la vie dure et ne sont pas étrangers à cet état de fait. Seul le triomphe de la révolution pacifique en cours peut changer la donne. Et l’espoir est permis malgré l’inconséquence d’un général.
Hacène Hirèche est consultant à Paris.