Nous sommes le 8 mars. On va encore sortir la vieille panoplie devenue rituel en Algérie. D’un côté, la mémoire sélective pour compenser l’abaissement du statut des femmes.
Leur minoration juridique et sociale. On aura encore droit aux clichés des moudjahidates, en solde de tout compte de la participation des femmes à l’édification du pays. Un bakchich en indemnité à leur écartement des cercles décisionnaires, puis leur instrumentalisation comme VRP du système avec un statut piteux qui sera voilé par quelques flatteries.
Elles tourneront en boucle les photos en noir et blanc. A saturation. En bouche trou à l’absence de figures actuelles qui peinent à marquer leur temps et l’espace à force d’interdits. Les anciennes, raconteront leurs anecdotes avec des défuntes figures parce que peu d’actions héroïques ont été réalisées depuis.
Leurs luttes chimériques sur les strapontins institutionnels les ayant érigées en symbole stérile qu’on ressort comme un vieux service en porcelaine uniquement destiné aux grandes occasions. Une fois l’an ou deux. Puis au placard. A l’oubli. Jusqu’à la prochaine « journée des femmes », ou « fête des femmes », si on veut être fidèle à la traduction de l’arabe vers le français. Et le 8 mars de l’année suivante ressemblera comme deux gouttes d’eau à celui d’avant.
Et de l’autre, les cérémonies bonbons-fleurs. Des distinctions sous forme de diplômes de bonne conduite délivrées par un officier militaire et un wali, aux vaillantes gardiennes du temple. Les bonnes élèves du patriarcat. Celles qui ne font pas de vagues. Elles rentreront le soir avec un service à eau bon marché ou quelques fleurs en plastique.
Des photos seront fièrement postées sur les réseaux sociaux pour attester de la charmante attention qui ne mange pas de pain. De droits il, n’en sera jamais question. Le code infâme continuera à faire des femmes algériennes des sous-citoyennes. Des moitiés d’êtres humains au nom des tous les puissants. Celui d’en haut, et ceux plus nombreux encore parlant à sa place. Au nom des bonnes mœurs à géométrie variable et de sa sainteté la tradition qui peaufine l’asservissement.
Et au milieu de ces commémorations collectives satisfaites. De cet enterrement en règle des aspirations égalitaire des femmes, salué par une société que n’obsède plus que la survie par le consumérisme, oseront quelques féministes frayer de timides pistes de réflexion. De prudentes suggestions.
Car oser exister pleinement. Réclamer ses droits dans leur globalité peut conduire aux soupçons de reniement, ou aux sanctions pour trahison. A l’invective pour «occidentalisation » aggravée, que chérissent les résistants de la dernière heure et les islamistes.
Elles œuvrent les féministes, mais sont à peine visibles. A pas de loup pour ne pas réveiller les monstres misogynes que nourrissent abondamment le système et la nouvelle religion.
Les seules pistes qui restent, s’inscrivent dans l’air qu’on respire à l’étranger. Les colloques internationaux, les publications ou leur distribution constitueront la seule voie d’existence. A l’étranger on peut dire, mais avec prudence tout de même, pour pouvoir rentrer au pays sans risquer les intimidations.
Entre sanctions pénales et fatwas prolifiques, on fait parler les mortes qui ont marqué l’histoire. Elles ne risquent plus rien là où elles sont. On ressort nos trésors de guerrières. Les écrivaines qui ont franchi le mur d’abêtissement national. Les reines d’antan. Restituer la mémoire ensevelie, par la même occasion, pour dire et rappeler que non, ce n’est pas l’occident qui nous a donné gout à la liberté, mais notre passé ancestrale que vous foulez, comme vous le faites avec les femmes, de vos pieds sans ménagement. Par ignorance, par intérêt, ou par simple crétinisme politique.
La lutte des femmes ne relève pas uniquement d’une guerre des sexes. Elle ne signifie pas la liberté de s’encanailler comme le suggère ceux qui réduisent la liberté à leurs simples pulsions exaltées par les diverses prohibitions. La liberté en tant que concept, est aussi, victime de nos imaginaires et interprétations étriqués, de nos envies enfouies, de nos frustrations acérées comme des lames prêtes à trancher. C’est édifiant d’observer le sens de la liberté dans nos pays arabo-musulmans.
En Arabie Saoudite, par exemple, où on desserre progressivement l’étau autour des femmes pour satisfaire à un calcul stratégique qu’on veut compatible avec le nouveau modèle économique.
Il est intéressant de relever que ce n’est pas dans le domaine des droits citoyens et des libertés individuelles qu’on œuvre, mais par la multiplication des lieux de divertissement et des festivals internationaux. L’aspiration libertaire n’est en final, abordée que par ses aspects périphériques liés à l’agrément et à l’intérêt, et non dans son essence libératrice profonde.
En outre, la question sexuelle reste au centre de nos légiférations, et constitue l’alpha et l’oméga du maintien au pouvoir d’une certaine caste. Donc, contrairement à d’autres pays, la soumission des femmes dans le monde musulman est un pilier du pouvoir, d’où la difficulté quintuplée des femmes d’imposer ce qui est courant ailleurs en matière de droits. La thèse qui lie la privation des femmes de leur liberté pour cause de colonisation est largement démentie depuis le recouvrement des indépendances.
Le maintien, au-delà de toute raison, du statut minoré des femmes a des racines bien plus profondes. En Iran, en Afghanistan, les tenants du pouvoir vont jusqu’à l’élimination physique des femmes, leur empoisonnement pour les garder sous tutelle. C’est dire l’importance du lien entre la soumission des femmes et le maintien d’un pouvoir à essence confessionnel qui ne tient que par la ségrégation.
Poupées de cire, poupées de chants
Il va de soi qu’en fermant la porte à des femmes aux parcours prestigieux, capables de penser et de remettre en question l’ordre établi, et ainsi servir de modèles, on ne la condamne pas totalement. Au contraire on l’entrouvre pour laisser passer une autre catégorie de modèles féminins. Des précieuses réactionnaires cathodiques en caftan qui inondent les shows. Et, dont l’unique souci est de redonner vie à un passé esclavagiste et à une soumission heureuse. Des misogynes fardées qui vont jusqu’à la banalisation des violences domestiques.
Aux starlettes, que leur manque de talent, n’aurait jamais dû autoriser à franchir les beuveries de la corniche. Affichant un racisme décomplexé, et leur religiosité opportuniste pour vendre leurs sons, elles participent à travers les réseaux sociaux, avec leurs confrères males, à l’abrutissement de toute une génération dont l’éducation artistique a été complètement abandonnée par les services publics et le ministère de l’éducation.
J’avais publiquement dénoncé ces modèles nées d’une envie, non pas de transgresser les interdits comme le faisaient les pionnières. Celles qui ont contribué à l’effort de guerre pour la libération, et préservée une culture menacée d’atomisation. Mais au contraire, d’une propension à flatter les instincts régressifs. Tantôt par le biais d’un chauvinisme nationaliste d’extrême droite, et tantôt par la promotion de la bigoterie.
Certaines, les ayant érigées en symbole de la libération des femmes, s’étaient offusquées de cette prise de distance que je voulais nette et distincte de ce milieu, certes populaire, mais colporteur de tous les stéréotypes et maladies de la société. Un environnement qui ne prospère que sur l’image dégradée des femmes, et qui aime les voir mimer son virilisme toxique. Se soumettre à ses fantaisies jusqu’à la mutilation corporelle.
Voulant éviter les associations malheureuses que tentent délibérément d’instaurer les franges conservatrices du pays pour stigmatiser les militantes féministes. Mais force est d’admettre que j’ai sous-estimé le degré de frustration et de colère de ces femmes empêchées jusqu’à la liberté de se mouvoir, qui ont fini par voir dans l’effronterie et le délitement une forme de liberté vengeresse.
« Elles osent au moins vivre comme elles l’entendent. On ne leur laisse pas le choix ! » rétorquent certaines. Regrettant, sans doute, de n’avoir pas ce même courage d’user de tant d’audace pour promouvoir leur propre cause et engagement.
Le besoin de diviniser des impostures par vacuité. Le besoin de s’attacher les services des médiocres qui ne visent qu’à promouvoir leur image et la monnayer.
Ce manichéisme abject qui promeut la dichotomie. Pute ou soumise. Et qui sert par la promotion de la vulgarité, l’idée que l’art, l’amour, la liberté sont des déviances à dénoncer. Un prélude à l’interdiction totale, absolue à toute forme d’expression artistique qui gagne doucement, mais sûrement toute la société. Demandons-nous pourquoi ils jouissent de tant d’audience et d’espace, lorsque des artistes de talent sont marginalisés ? Même la télévision publique joue le jeu.
D’ailleurs, elles sont de plus en plus répandues, les fameuses « repentances ». Diffusées comme un mantra. On y voit des femmes artistes expiant le pêcher d’avoir chanté, dansé ou joué de la comédie. Savamment orchestré par la nébuleuse islamiste, ces cérémonies de voilement-exhibition de ses prises de guerre dans la société, participent à davantage d’asservissement et de sentiments de culpabilité envers l’aspiration, somme toute humaine, de s’abandonner à toute forme de joie et de créativité.
Au rythme où va la talibanisation du pays, viendra le jour, où ces malheureuses seront dressées sur le bûcher. Le but recherché étant l’incrimination de l’art et la disparition définitive des femmes dans l’espace public.
Il faut du temps et une énergie folle pour tout déconstruire. De haut en bas de l’échelle sociale.
Pour rompre avec des modèles désuets qui se réjouissent de la difficulté des plus jeunes à imposer leur combat. Satisfaire à un plaisir sénior infiniment mesquin à clamer « j’avais raison, vous allez trop vite pour la société. Vous leur parlez un langage qu’ils sont incapable de comprendre ! ». Nous allons, au contraire trop lentement et avec une hésitation si prude, si effarouchée qu’elle en devient comique si elle n’était tragique de conséquences sur des générations.
Myassa Messaoudi, écrivaine et militante féministe