Le bateau s’appelle Madleen. Il fend les eaux chaudes de Méditerranée en direction de la bande de Gaza. Sur le pont, douze humanitaires, mais aussi deux symboles vivants de ce que l’Europe voudrait oublier : Greta Thunberg, la militante écologiste suédoise, et Rima Hassan, nouvelle élue française d’origine palestinienne.
L’une incarne la jeunesse qui crie contre le silence climatique, l’autre une génération d’exilés qui refuse l’effacement. Ensemble, elles naviguent vers un territoire étouffé, où le mot « humanité » semble avoir été rayé des cartes diplomatiques.
Une traversée plus politique qu’humanitaire
Ne nous y trompons pas. Si le Madleen transporte des vivres, du lait, du matériel médical et des filtres à eau, sa cargaison la plus précieuse est immatérielle : la volonté de briser le blocus, non par les armes mais par le symbole. Depuis 17 ans, Gaza est une prison à ciel ouvert. Depuis octobre 2023, elle est devenue un abattoir à ciel fermé. Dans ce contexte, chaque mètre nautique franchi vers les côtes palestiniennes devient un acte d’insubordination contre la passivité mondiale.
À bord, la tension est palpable. L’équipage signale avoir été survolé par des drones. On sait qu’Israël considère toute approche maritime comme un « acte hostile ». Mais les membres de la flottille s’en tiennent à une éthique de désobéissance pacifique. « Nous ne sommes pas des pirates, nous sommes des êtres humains porteurs d’aide pour d’autres êtres humains », a déclaré Thunberg avant le départ depuis la Sicile. Ce que beaucoup perçoivent comme de l’utopie, elles l’assument comme un devoir.
Rima Hassan : entre racines et rupture
Pour Rima Hassan, cette traversée n’a rien d’une aventure exotique. Elle est née dans un camp de réfugiés. Sa famille a fui la Palestine. Son engagement n’est pas celui d’un parti, mais d’un corps vivant qui revient sur la terre qu’on lui refuse. Fraîchement élue députée européenne sous l’étiquette de La France insoumise, elle n’attend pas la rentrée parlementaire pour agir. Son premier acte : embarquer. Le message est clair : il ne suffit plus de voter, il faut voguer. Quitter les hémicycles aseptisés pour les eaux risquées où le droit international s’est noyé depuis longtemps.
Son geste dérange. Il heurte les diplomaties tièdes et les gouvernements qui, en Europe, tolèrent l’intolérable. Il rappelle que l’humanité n’est pas un luxe réservé aux puissants.
Une mer, deux rives, mille gouffres
La Méditerranée est-elle encore une mer de passage ou est-elle devenue un cimetière liquide ? D’un côté, les plages dorées d’Israël, de l’autre, les ruines calcinées de Gaza. Entre les deux, le Madleen trace sa ligne. Une ligne de vie dans un monde qui ne connaît plus que des lignes rouges à ne pas franchir.
Depuis Alger, Marseille ou Beyrouth, cette traversée parle à tous les peuples réduits au silence, aux exilés qui ont gardé la mer dans leurs veines, aux mères de Gaza qui attendent un signe du large.
Et maintenant ?
À l’heure où ces lignes sont écrites, le Madleen n’a pas encore atteint sa destination. Sera-t-il intercepté ? Arraisonné ? Laissera-t-on passer cette lueur fragile au cœur de la nuit gazaouie ? Rien n’est certain, sauf ceci : ce bateau, déjà, a réveillé des consciences. Il ne changera peut-être pas la géopolitique, mais il rappelle que résister, c’est parfois simplement oser naviguer à contre-courant.
Rima Hassan et Greta Thunberg, dans leur fragilité et leur courage, redonnent à la Méditerranée sa fonction première : relier les peuples. Gaza, aujourd’hui, attend. Et dans l’attente, ce sont les femmes, une fois encore, qui avancent en premières.
Djamal Guettala
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