L’exode massif des médecins algériens vers l’étranger suscite toujours une vive polémique et les réponses préconisées par les autorités pour endiguer le phénomène sont ineffiscientes.
Quelle misère ! C’est la dernière trouvaille des autorités pour empêcher les médecins algériens de quitter le pays. Dernièrement et afin de stopper la migration des compétences médicales, spécifiquement les nouveaux diplômés des facultés de médecine, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique a décidé de geler de « façon temporaire » la certification des attestations de capacité médicale (diplômes) des médecins jusqu’à nouvel ordre.
Dans une réponse écrite datée du 22 juillet 2024, à une interpellation écrite du député Louardi Bradji qui s’inquiétait de la persistance de l’exode massif des compétences médicales à l’étranger, le ministre Kamel Baddari a expliqué que son département a procédé au gel des authentifications des diplômes en médecine comme mesure temporaire. pour endiguer le phénomène.
L’opération reprendra après la proposition de solutions à même de permettre de faire face à ce phénomène et de le limiter, a ajouté le ministre à la question du parlementaire.
« Dans le cadre de l’étude des moyens de freiner le phénomène de migration des compétences nationales et des diplômés des sciences médicales à l’étranger, le processus d’authentification directe des certificats (diplômes) en sciences médicales a été temporairement suspendu et sera repris après avoir proposé des solutions », est-il mentionné dans la missive paraphée par le ministre de tutelle.
Pour autant, la mesure n’a pas eu l’effet escompté puisque le phénomène se poursuit, de l’aveu même du ministre qui reconnaît que le gel de l’authentification ne permet pas pour l’instant de mettre fin au phénomène.
« Malgré le gel des opérations d’authentification des diplômes en médecine au niveau de nos services, cela n’a pas mis fin à la fuite des compétences en médecine vers l’étranger (généralistes et spécialistes). Les établissements étrangers déposent des demandes d’authentification des diplômes via les représentations diplomatiques ou consulaires algériennes à l’étranger ou bien via celles étrangères en Algérie. »
15 000 médecins algériens en France
Les statistiques officielles en France indiquent que le nombre de médecins algériens travaillant dans les hôpitaux français a atteint 15 000 médecins de diverses spécialités. Des sources médiatiques ajoutent qu’un certain nombre de médecins algériens ont réussi l’examen d’équivalence de certificat en France, qui leur permet de travailler dans les hôpitaux français et européens.
Dans une récente declaration au journal Al Qods Al Arabi, paraissant à Londres, Lyes Merabet, président du Syndicat des praticiens de la santé publique, a douté de l’efficacité d’une telle mesure, estimant que « la position du ministère de l’Enseignement supérieur confirme deux choses que nous avions soulignées il y a deux ans. La première est qu’il n’existe aucune base légale pour la décision d’empêcher l’authentification des diplômes de docteur. Au contraire, elle prive les citoyens de leur droit de bénéficier et d’utiliser leurs diplômes universitaires. Le deuxième problème est l’aveu du ministère selon lequel cette mesure n’a pas apporté de solution au problème car la migration des médecins se poursuit. »
Dans un entretien accordé, il y a deux ans, au site TSA, Lyes Merabet liste les raisons de l’exode massif des talents médicaux à l’étranger.
« Il y a plein de situations qui font que nos jeunes ou moins jeunes médecins pensent à quitter le secteur public vers le privé ou s’installer à l’étranger où les conditions de travail sont meilleures et où la post-graduation offre de meilleures opportunités et où la qualité de l’enseignement et de la recherche est meilleure », a expliqué le président du Syndicat national des praticiens de santé publique.
Et de poursuivre: « Il y a (aussi) des considérations d’ordre général. C’est le cas de beaucoup de jeunes qui pensent à quitter le pays pour s’installer ailleurs en considérant qu’il y a beaucoup plus d’opportunités en termes de niveau de vie, de conditions de travail, de progression de carrière ». « C’est un potentiel humain aux compétences confirmées que nous n’avons pas pu retenir devant la non-concrétisation de beaucoup de promesses faites par les pouvoirs publics depuis des années et relayées notamment par les syndicats que nous sommes. Des promesses qui devraient permettre de mettre en place des mesures d’intéressement et des solutions concrètes sur le terrain pour améliorer les conditions socioéconomiques de ces professionnels », a regretté le syndicaliste qui s’est dit inquiet de la gravité du problème.
Dans le même ordre d’idées, le chef du SNPSP ne manquera pas de déplorer ce qu’il considère comme un paradoxe dommageable à l’Algérie.
« De nombreux pays, (notamment la France), qui ont besoin de ces compétences médicales, n’ont pas lésiné sur les moyens au niveau réglementaire, financier, et de l’intéressement. Des mesures ont été mises en place pour attirer ces compétences afin de répondre aux besoins de la population française », a-t-il constaté avec amertume.
Le président du Syndicat des professeurs et chercheurs hospitalo-universitaire, le professeur Rachid Belhadj, va dans le même sense.
Dans une declaration à la radio nationale chaîne 3, le syndicaliste a indiqué que le faible salaire dont bénéficient les professionnels de santé les pousse à quitter le pays ou à rejoindre le secteur privé, citant notamment les maîtres assistants et le corps des professeurs. Il a rappelé que des concours sont organisés chaque année en France pour attirer les meilleurs parmi les hospitalo-universitaires algériens.
Pas seulement, le manque de moyens dans le secteur hospitalier et l’absence de considération pour le corps médical, comme d’ailleurs pour tous les autres démembrements de la société, font que les Algériens n’ont plus qu’un projet : quitter le pays et rejoindre des cieux plus cléments.
Le Pr Belhadj a plaidé aussi pour la révision des politiques de formation des membres du corps médical en appelant à améliorer les conditions de travail et les conditions de formation. Il a appelé dans ce cadre à appliquer de « réelles réformes » afin de garder ces professionnels de la santé en Algérie et pour adapter le système de santé national à la notion de sécurité sanitaire.
Évoquant le statut particulier dont la révision est attendue depuis 2008, il a affirmé qu’il est en voie de finalisation et sera promulgué en 2024. Il a indiqué que la révision de ce statut particulier permet de valoriser les ressources humaines.
Concernant les nouveautés, il a indiqué que beaucoup d’amendements ont été apportés à certains chapitres pour améliorer leurs conditions socioprofessionnelles aux médecins, maîtres assistants, maîtres de conférences ou professeurs. « Le 2e volet concerne le régime indemnitaire où nous avons apporté de nouvelles indemnités afin de revaloriser les salaires des hospitalo-universitaires », a-t-il expliqué.
Tres attendu, par les différents personnels du secteur de la santé, notamment le régime indemnitaire dont on annonce qu’il contient des revalorisations salariales conséquentes et des avantages sur le plan financier, le texte avait été renvoyé à l’étude à plusieurs reprises avant d’être adopté au conseil des ministres mais tarde à être mis en oeuvre.
En attendant des contingents entiers de médecins généralistes et spécialistes formés en Algérie quittent le pays pour s’installer à l’étranger. En vrai, la migration touche toutes les couches de la société algérienne, à bout devant l’incurie, l’incompétence et l’arbitraire qui rongent le pays. En l’espèce, le manque de perspectives prometteuses est sans doute l’une des raisons les plus importantes de ces départs.
Samia Naït Iqbal