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Gibraltar, un rocher dans la chaussure de l’Europe ?

REGARD

Gibraltar, un rocher dans la chaussure de l’Europe ?

C’est un titre que de nombreux médias ont utilisé. Mais comme l’expression est aussi ancienne que le statut particulier de ce territoire, car très signifiant du problème, nous n’avons aucun souci de plagiat. Voila qu’avec le Brexit l’un des plus persistants contentieux territoriaux en Europe a failli se réveiller violemment entre l’Espagne et le Royaume-Uni.

Quelques jours avant l’accord du Brexit, durement négocié, le Président du gouvernement espagnol avait menacé fermement de son veto. Le moment était bien choisi, c’est de bonne guerre en politique, car la pression est alors au maximum sur les épaules des partenaires en négociation et, surtout, de la Grande Bretagne.

L’Espagne a revendiqué et obtenu son droit de regard sur toutes les procédures à venir concernant le Brexit car soucieuse des conséquences sur Gibraltar. Nous sommes donc dans une continuité de l’histoire en considérant que la revendication ultime n’a pas été exigée cette fois-ci, soit la restitution d’un territoire que les Espagnols ont toujours considéré être le leur.

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Pour bien comprendre l’affaire, il faut remonter à ses sources historiques. Minuscule territoire au Sud de la péninsule ibérique, Gibraltar est connu par son célèbre « caillou » ou « rocher » selon les expressions usuelles à son égard. Il y a là, dans cette villégiature surprenante, une parfaite similitude avec le « Rocher de Monaco », soit un petit mont surplombant le territoire.

Personne au monde n’ignore que Gibraltar est l’une des deux rives d’un étroit passage qui laisse les eaux de l’Atlantique se mélanger avec ceux de la Méditerranée. Comment alors ne pas susciter légendes, fantasmes et frictions diplomatiques avec un endroit qui, de plus, aura une histoire militaire très particulière ?

Tout d’abord rappelons ce que tout Algérien, dès le berceau, ne peut avoir raté, Gibraltar signifie « Le mont de Tariq », baptisé du nom de son conquérant, le Berbère Tariq Ibn Ziyad.

Pour ma génération, c’était impossible de passer à côté de cette information que l’on nous a répétée avec insistance lors de notre épique et inoubliable période d’arabisation dans les années soixante-dix tant on voulait nous persuader de notre identité que nous aurions oublié, selon eux.

Mais à l’attention de mon commentateur éternel, au bas de mes articles, un de ceux qui ne se reposent jamais de leur mono discours, chacun est témoin que j’ai cette fois-ci évité de dire « arabes ou sarrasins » pour qualifier les conquérants en Espagne. Je n’ai pas vocation à prêter continuellement le flanc aux personnes qui ont buggé sur un sujet, le répétant en boucle même lorsque l’article évoque la culture de la pomme de terre en Patagonie ou la sexualité des abeilles.

Reprenons notre sérieux et revenons à l’histoire de Gibraltar. Si l’endroit avait été conquis par Tariq Ibn Ziyad, c’est bien auparavant que la légende antique s’en emparera.  Les colonnes d’Héraclès, ou colonnes d’Hercule, est le nom qui fut donné par la légende grecque aux montagnes qui bordent le détroit. Ce n’est donc pas sans raison que le blason officiel de l’Espagne reprend le symbole des deux colonnes.

L’un des douze travaux que devait effectuer Héraclès, le dixième, fut de libérer les Bovins de Géryon de l’extrême monde occidental (le Maroc actuel). Dans ses exploits, Héraclès, à la puissance phénoménale qu’on lui attribue, a dû trouver son chemin et, en conséquence, relier les eaux de l’océan et celles de la mer.

Comment ne pas marquer un lieu géographique aussi unique par une légende qui traversera les siècles ? Mais si nous nous éloignons de cette légende, les répercussions plus directement liées au monde contemporain furent enclenchées par la conquête anglo-néerlandaise de 1704 menée par l’amiral George Rooke. Le traité d’Utrecht en 1713 accorda définitivement la propriété aux armées coloniales.

L’Espagne ne cessera de revendiquer la souveraineté sur ce bout de territoire allant jusqu’à la guerre entre 1779 et 1783. Bien que n’ayant jamais disparue, la réclamation de l’Espagne connut une forte résurgence en 1960.

La difficulté ultérieure fut la pleine appartenance de l’Espagne à l’Union européenne qui doit composer avec des règles bien précisées contractuellement. Et en ce domaine, le dernier référendum auprès de la population de Gibraltar, comme les consultations précédentes, a abouti à un massif rejet du rattachement à l’Espagne.

Le président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, avait donc souhaité marquer la sortie de la Grande-Bretagne par un baroud d’honneur envers cette vieille ennemie des mers, aussi puissante sur les eaux mondiales que le fut l’Espagne à la même époque lointaine. Il ne s’agit pas réellement d’une déclaration de rupture avec un pays devenu allié et partenaire économique car l’affaire doit être relativisée par plusieurs éclairages.

D’une part, Gibraltar représente une énorme opportunité économique dans une parcelle de territoire où des milliers d’Espagnols comme de britanniques traversent la frontière tous les jours. D’autre part, l’Espagne, aujourd’hui reconnue pour sa grande démocratie, ne serait pas à l’aise avec une revendication territoriale ferme car on lui rétorquerait immédiatement avec le contentieux de Melilla et Ceuta, deux enclaves sous souveraineté espagnole sur le territoire marocain.

On pourrait même dire que l’accord arraché de dernière minute par Pedro Sanchez est une garantie pour l’Espagne que ce territoire britannique ne se retire jamais de l’économie européenne. C’est assez paradoxal mais l’économie a des exigences qui ne s’embarrassent pas des états d’âme nationaux.

D’ailleurs, cet accord est raillé par le seul parti, le Parti Populaire, qui demande encore réellement le rattachement de Gibraltar à l’Espagne, le parti populaire. Mais ce dernier, au pouvoir durant de très longues années, s’est lui-même contenté de déclarations d’humeur sans oser aller jusqu’au bout de la revendication territoriale.

Tous les autres partis politiques ont moqué le coup de force de Pedro Sanchez en arguant que le contrat arraché à la dernière minute à la Grande-Bretagne n’avait aucune valeur opérationnelle. Comment exiger la surveillance des actes d’un pays souverain dans sa négociation politique et commerciale avec l’Europe ?

Et pour terminer, il faut tordre le cou à un vieil argument que tous les étudiants de Sciences Politiques ou les « experts cathodiques » des chaînes d’information continue se plaisent à évoquer lorsqu’ils n’ont pas grand chose à dire. Cet argument est celui de l’expression utilisée à toutes les sauces, soit le perpétuel « enjeu stratégique ». C’est le plus vieux radotage de la géopolitique car, à les écouter, tout serait enjeu stratégique, en tous points de cette planète.

Gibraltar est un endroit magique, surplombé par un rocher, devenu aussi peu stratégique que notre Santa Cruz à Oran mais tellement plein de fantasmes et de rêves. Un territoire britannique outre-mer, minuscule et enclavé dans un pays étranger, gorgé de soleil, entre mer et océan, c’est ainsi  la parfaite machine à fantasmes hollywoodienne, comme le furent Hong-Kong ou Macao.

Les touristes aiment ce grand rocher où vivent une célèbre communauté de singes qui viennent manger dans leurs mains et ces cabines téléphoniques qui leur font rappeler les Beatles,  leurs jeunes années et le temps des achats détaxés.

Mais ma mémoire n’est pas défaillante. Gibraltar a toujours été une plaque tournante pour les montages offshore, c’est à dire de délinquance financière. Car qu’est-ce d’autre que le montage financier offshore si ce n’est la scandaleuse soustraction de revenus aux états souverains ? Des revenus qui alimentent des services publics,  donc l’école, la santé publique, les handicapés et tout ce que les sociétés ont besoin pour leur dignité.

C’est incontestablement un lieu exotique mais il faut arrêter de lui accorder le symbole fantasmé qui n’est pas la réalité. Certes, l’enjeu diplomatique peut mener à des tensions entre deux pays mais quel endroit de la terre n’en a pas connu et n’en connaît pas encore, en des proportions de gravité bien supérieures.

Gibraltar n’est qu’un petit caillou dans la chaussure de l’Europe, minuscule et qui n’altère ni la marche ni la santé du géant qui la chausse si ce n’est une toute petite gêne se réveillant de temps en temps.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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