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Grâce présidentielle particulière et amnistie politique générale

El Kadi Ihsane

Le procès d'El Kadi Ihsane est celui de la presse libre

El Kadi Ihsane

Dans une lettre adressée au président de la République le 13 janvier 2024, des « personnalités algériennes d’horizons divers » demandent que soit accordée une grâce présidentielle au patron de presse et journaliste Ihsane El Kadi. Ce dernier qui est emprisonné depuis décembre 2022 a été condamné à 7 ans de prison en vertu de l’article 95 bis du code pénal.

Cet article fait partie, avec l’article 87 bis, du dispositif législatif qui soutient la répression de l’opposition politique. Tous deux répriment « les actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l’État, à la stabilité et au fonctionnement normal de ses institutions, à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale, aux intérêts fondamentaux de l’Algérie ou à la sécurité et à l’ordre publics » ; l’article 87 bis par référence au terrorisme et à la subversion ; l’article 95 bis par référence à la réception de fonds étrangers.

Dans les milieux politiques et médiatiques, une corrélation est établie entre l’emprisonnement de Ihsane El Kadi et la publication, la veille de son arrestation, d’un blog supputant de supposées réticences au sein de l’Armée quant à un second mandat présidentiel. Le président Tebboune avait montré son irritation quand il traita publiquement Ihsane El Kadi de « khabardji ». Que l’on pourrait traduire par « informateur » des ennemis du pays évidemment. C’est donc ce qui explique peut-être en partie la modération dont ont fait preuve les rédacteurs de la lettre dans leur argumentation.

La famille du journaliste El Kadi Ihsane communique

Cette lettre au président ne peut qu’être appréciée positivement. Elle constitue d’abord une marque de solidarité ; dans un contexte où justement la solidarité fait grandement défaut. Elle constitue aussi une lueur d’espoir au milieu d’une soumission assez large dans les cercles des journalistes, artistes et intellectuels algériens au financement de l’État, à la subvention et à la carrière professionnelle ou politique.

Cette lettre présente le mérite essentiel de poser la question des prisonniers politiques ou prisonniers d’opinion. Même si elle met prioritairement en avant le sort du journaliste Ihsane El Kadi et le « poids considérable qui pèse sur sa famille et ses proches », la lettre introduit la possibilité d’étendre sa libération à « d’autres détenus d’opinion ». Ce qui permet aux rédacteurs de la lettre de qualifier l’éventuelle grâce présidentielle accordée à plusieurs détenus d’opinion de « signal fort pour la justice et la liberté ».

En effet, sans cette extension aux autres détenus d’opinion, il pouvait être reproché aux signataires de la lettre une attitude discriminatoire. La demande de grâce au bénéfice du seul journaliste de Maghreb Emergent ne pouvait prendre le sens politique souhaité. Ainsi, c’est la revendication de libération « d’autres détenus d’opinion » qui peut leur épargner le reproche d’un parti-pris idéologique ou subjectif.

La Fidh appelle les autorités algériennes à libérer les détenus d’opinion

D’autre part, le recours à la grâce présidentielle est problématique. Selon l’alinéa 8 de l’article 91 de la Constitution, le président de la République « dispose du droit de grâce, du droit de remise ou de commutation de peine ». Ce qu’il convient de préciser, c’est que la grâce présidentielle n’élimine pas l’inscription de la condamnation dans le casier judiciaire des bénéficiaires de la grâce. Autrement dit, l’infraction pour laquelle ils ont été condamnés subsiste. Ce qui limite considérablement le « signal fort pour la justice et la liberté ».

Les condamnations et les emprisonnements de citoyens pour la seule expression de leur opinion constituent les manifestations concrètes des violations des libertés individuelles. Certes, la grâce présidentielle possède la vertu de rendre la liberté aux emprisonnés et de « lever le poids considérable qui pèse sur les familles et les proches ». Ce qui n’est pas négligeable. Mais le maintien de la législation répressive est une épée de Damoclès au-dessus de la tête des bénéficiaires de la grâce. Elle reste en même temps une menace pour tous les citoyens tentés par l’expression libre de leur opinion. C’est pourquoi, la grâce présidentielle peut prendre un sens politique positif si elle annonce l’amorce d’un processus de rétablissement des libertés individuelles.

Ce processus trouverait une première manifestation dans l’adoption d’une loi d’amnistie pour les détenus d’opinion. L’amnistie est une mesure prévue par la Constitution dans l’alinéa 7 de son article 139. Elle est une prérogative de l’assemblée populaire nationale (APN). La loi d’amnistie est proposée par le gouvernement. Elle a la vertu d’abolir l’infraction et d’abroger ses conséquences juridiques.

Les détenus d’opinion retrouveraient ainsi la plénitude de leurs droits civiques. On pourrait alors légitimement parler de « signal fort pour la justice et la liberté ». Le recours à la loi peut paraitre une procédure longue. En réalité il n’en est rien. Le système institutionnel actuel est marqué par une grande complémentarité entre le gouvernement et le parlement. Le président et le gouvernement disposent d’une majorité confortable qui permet une rapidité d’action vérifiée. Il faut rappeler qu’une loi d’amnistie a été adoptée au profit de ceux qui avaient participé à l’insurrection armée islamiste des années 1990.

Le défunt président de la République Abdelaziz Bouteflika avait même eu recours en janvier 2000 à une « grâce amnistiante » par la signature d’un décret présidentiel. Cette initiative réalisait la prouesse de fusionner en sa personne les prérogatives constitutionnelles distinctes du président de la République et de l’Assemblée nationale populaire (APN).Certains juristes n’avaient pas manqué alors de relever l’illégalité du procédé et son caractère non constitutionnel. Mais la quête de la paix civile avait eu raison de la légitimité juridique.

L’année 2024 s’annonce comme une année politique particulière. A la fin de cette année se déroulera l’élection présidentielle. Il existe de fortes probabilités en faveur d’un deuxième mandat pour le président Tebboune. Le système politique en place animé par la recherche d’une stabilité politique veillera à la réalisation d’une telle option. Dans cette hypothèse, ce second mandat pourrait être bénéfique au pays si une leçon importante de l’exercice du premier mandat venait à être acceptée.

Tous les secteurs de la vie nationale connaissent les tiraillements habituels nés de l’abandon du choix du socialisme en 1989 et des hésitations qui s’en suivent à engager le pays dans l’économie de marché. Ce premier mandat n’échappe pas aux dichotomies que produit le balancement entre l’économie d’État, l’économie administrée, et l’économie de marché. Des variations interviennent en liaison avec les oscillations du prix du baril de pétrole car le trait majeur de la situation du pays réside toujours dans la dépendance vis-à-vis des revenus des hydrocarbures. Ce qui explique le pragmatisme qui prévaut au cours de ce mandat et qui se traduit par des ouvertures aux investissements privés et étrangers.

Mais l’option reste hésitante et n’est pas à l’abri de reculs favorisés par les remontées du prix du baril de pétrole et la prégnance des conceptions étatistes de la gestion de l’économie. Ce qui distingue ce premier mandat présidentiel depuis la sortie du système de parti unique en 1989 et, en excluant la décennie de l’insurrection islamiste des années 1990, c’est le renforcement du caractère autoritaire de l’État. L’utilisation de la législation d’exception que constituent les amendements au code pénal (articles 87 bis et 95 bis par exemple) témoignent bien du durcissement antidémocratique.

La sanction que subit le pays et qui résulte de cet état de fait réside dans la pauvreté de la vie politique. Les incessantes arrestations et les emprisonnements créent un climat défavorable aux débats, aux initiatives et à l’engagement individuel et collectif des citoyens.

La mesure de cette sanction apparait dans la faiblesse par le nombre et par la qualité des associations citoyennes, des partis politiques et de la presse nationale. La volonté de pallier cette insuffisance politique par l’animation par le haut des organisations de la société civile et de la jeunesse ne pousse pas aux initiatives, à la créativité et à l’engagement bénévole.

Il en résulte au contraire une bureaucratisation propice à la recherche d’avantages matériels, de subventions et aux manifestations du parasitisme. Le second mandat perçu sous l’angle de la rectification devrait expérimenter l’instauration progressive et la protection des libertés individuelles. Il serait attendu un climat politique détendu. Ce sont tous les autres secteurs du pays, de l’économie au culturel, qui tireront profit de l’initiative, de la créativité, de l’autonomie et de la responsabilité des citoyens.

L’adoption d’une loi d’amnistie en faveur des détenus d’opinion ou l’inscription au programme des candidats à la présidence de la République d’une telle loi devrait retenir l’attention des électeurs.

Saïd Aït Ali Slimane

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