20 avril 2024
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Grandeur et petitesse de la littérature algérienne

REGARD

Grandeur et petitesse de la littérature algérienne

Mouloud Mammeri et Mohamed El Aid El Khalifa et Kaddour Mhamsadji.

Quand les tempêtes de l’histoire balaient une époque, de grandes œuvres littéraires surgissent au milieu du chaos d’un monde qui se meurent.

Ainsi, le passage du féodalisme au capitalisme (en Europe) a donné naissance à une foule d’œuvres qui n’ont pas pris une ride en dépit du temps qui passe. On peut citer le voyage picaresque de Don Quichotte de Cervantès qui ‘’annonçait’’ entre les lignes l’accouchement d’un nouveau monde. En France, les Diderot et les Voltaire ‘’offrirent’ à ce nouveau monde les valeurs philosophiques qui irriguent encore la société d’aujourd’hui. D’autres monstres de la littérature furent des témoins des ruptures dans leurs pays. Tolstoï en Russie, Dickens en Angleterre, Goethe (Allemagne), Dante (précurseur de la renaissance en Italie) John Steinbeck (Etats-Unis).

Cette littérature est devenue légendaire en sondant l’âme des sociétés et les entrailles de leurs histoires. Mais aussi et peut-être surtout parce qu’elle a opéré une révolution dans la façon de regarder le monde, de rendre compte de sa complexité, de sa violence et de sa beauté. Le regard de l’écrivain conjugué à la singularité de sa langue et à la musique de son style garantit l’entrée de son œuvre au panthéon de la littérature.

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La littérature algérienne s’est frayé un chemin dans ce cercle prestigieux avec Kateb Yacine et Mohammed Dib. Avec Nedjma de Kateb, cette étoile renoue avec la lumière du pays quelque peu assombrie par la colonisation. On doit le miracle de Nedjma comme a dit Malek Alloula à une écriture nerveuse et lumineuse qui fait entendre les voix (secrètes ou étouffées) des personnages dans leur errance et leur double quête, l’amour d’une femme et la liberté d’un peuple.

La génération de Kateb, Dib, Mammeri, Sénac, Mouloud Feraoun, Malek Haddad a drainé dans son sillage une pléiade de plumes talentueuses comme Rachid Boudjedra, Mourad Bourbonne, Nabil Farès, Tahar Djaout. Malek Alloula, Rachid Mimouni, Hamid Skif. Ces écrivains avaient en commun la langue française (ils ne sont pas lettrés en langue arabe excepté Boudjedra, ni en langue amazigh excepté Mouloud Mammeri). Cette particularité n’est pas sans conséquences en littérature.

Dans un pays colonisé, écrire dans la langue de l’Autre la vie et les tourments de sa société n’est pas un simple processus d’un travail mâtiné de talent. Pareille situation exige de l’écrivain qu’il explore les artères de sa société et de son histoire sans que la langue étrangère ne soit un handicap.

Pour faire face à ce défi, il se doit de percer le mystère de la langue en s’interrogeant sur son propre rapport à l’étrangeté de ladite langue. Cette volonté de ‘’domestication’’, on la retrouve chez Kateb Yacine quand il parla de ‘’violer’’ la langue pour être au plus près de la traduction de l’indicible de son pays.

De même, Céline dans ‘‘Voyage au bout de la nuit’’ fait appel à la langue populaire et argotique qui recèle des accents de la langue rabelaisienne pour faire «entendre» les personnages qui vivaient la boucherie de la première guerre mondiale. Tous les écrivains algériens de la période coloniale ont dû, su faire face aux ruses de cette langue française pour éviter de se laisser guider par elle.

Car à chaque carrefour des mots, l’écrivain peut se faire ‘’aveugler’’ par le miroir de cette langue belle et généreuse mais néanmoins pétrie par une autre culture. En se regardant dans le miroir de l’Histoire de leur pays, les écrivains de la génération de Kateb se sont équipés de lunettes pour écouter les battements de cœur de l’Algérie. Outre la voix de l’Algérie qu’ils ont portée dans le monde entier pendant la guerre de libération, ils ont tenté à l’indépendance d’investir le terrain pour diffuser une culture populaire. Kateb avec son théâtre en arabe algérien, Mammeri avec ses travaux et recherches sur la langue amazigh. Boudjedra (avec la répudiation et la pluie), Tahar Djaout (les chercheurs d’os et les vigiles) avaient été une sorte des porte-voix des gens qui souffraient des maladies anciennes et celles engendrées à l’indépendance du pays.

La génération actuelle boxe sur un terrain occupé, miné par des discours qui tirent leur ‘’légitimité’’, de la révolution pour les uns, de l’islam pour les autres. Ces deux piliers dominant le paysage ‘’culturel’’ ne laissaient guère d’air pour respirer aux parfums d’autres voix. Et quand gronda l’orage de la terreur, lesdites autres voix ne pouvaient disloquer, pas même égratigner le discours intégriste qui surfait allégrement sur une société croyante.

Le discours manipulatoire des intégristes était d’autant plus facile à faire circuler que le pouvoir avait abandonné la grande partie de la population aux morsures de la misère et en désarmant les consciences par le vide idéologique et culturel. Et ce n’est pas l’émergence de ce qu’on a appelé une littérature de l’urgence qui pouvait servir de poteaux électriques pour éclairer le paysage et mieux identifier l’intégrisme qui imposait son voile des ténèbres.

Quand l’orgie de la terreur eut perdu quelque peu de son obésité, quelques romanciers apparurent sur la scène littéraire en France. Salim Bachi se fait remarquer avec son ‘’Chien d’Ulysse. Surgi ensuite Boualem Sansal avec son ‘’Serment des barbares’’. Le troisième mousquetaire, Kamel Daoud fit une tonitruante entrée en littérature avec son ‘’Meursault, contre-enquête’’. D’emblée, son roman, qui eut les honneurs de faire partie de la sélection du prix Goncourt, divisa l’opinion des lecteurs algériens.

Il faut dire que Daoud s’attaqua à ‘’revisiter’’ le roman ‘’L’Etranger’’ d’Albert Camus. Mais ce prix Nobel de littérature n’est pas un inconnu en Algérie. Ce natif d’Algérie avait pris des positions pendant la guerre d’Algérie qui lui avaient valu l’inimitié de Kateb Yacine et de Jean Sénac (1).

Du reste, ce n’est pas uniquement des Algériens qui l’avaient sévèrement critiqué. A côté de Kateb et Sénac, on trouve un critique redoutable, Jean Paul Sartre qui qualifia Camus de prof de philo pour élève de terminale de lycée. Cette rude attaque fut assénée à Camus après la publication de son essai ‘’L’Homme révolté’’. Quand on connaît les prises de positions de Sartre (signataire du Manifeste des 121 pour l’indépendance de l’Algérie) et de Camus (avec sa ‘’fédération’’ d’Etats en Algérie), on comprend pourquoi les BHL et autre Michel Onfray (2) ont cloué au pilori Sartre et firent les louanges de Camus.

La qualité littéraire relative du travail de nos trois romanciers nourrissait l’espoir de les voir prendre la relève de Kateb et Dib qui avaient terrassé les hyènes de la nuit coloniale. On espérait donc que de nouvelles plumes mettent à nu les loups ‘’du tunnel des zombis’’ qui saccagèrent la société algérienne à partir des années 90. Hélas, cet espoir s’est vite évaporé car nos écrivains allaient à la pêche dans d’autres continents pour raconter d’autres histoires comme si leur société était repue de littérature et avait un besoin pressant d’exotisme à l’image des sociétés occidentales.

On dit et on sait que les écrivains ont le droit d’écrire ce qui leur trotte dans la tête, certes, mais les lecteurs et les critiques ont tout aussi le droit de dire ce qu’ils pensent de ‘’leurs aventures littéraires’’ et surtout de leurs prises de positions publiques sur des problèmes politiques.  Lire ‘’Le village allemand’’ de Sansal ‘’bizarrement’’ situé en France et les articles de Kamel Daoud sur l’identité et l’exil publiés dans le Quotidien d’Oran, a été une épreuve et une preuve qui donne la sensation que les auteurs veulent terminer le travail sur le contentieux franco-algérien commencée, rêvée, fantasmée par Albert Camus dont l’ombre tutélaire est présente dans « Rue Darwin » (de Sansal) et évidemment dans ‘’Meursault contre-enquête » de Kamel Daoud. Ces deux écrivains se sont illustrés par leurs opinions sur la Palestine et la guerre d’Algérie. Le premier en appuyant ses ‘’connaissances’’ historiques (la terre promise aux Juifs inscrite dans la Bible) en se faisant photographier sur le mur des lamentations. Le second en ‘’philosophant’’ dans deux articles parus dans « Le Quotidien d’Oran » sur l’identité et l’exil.

Boualem Sansal ne semble pas connaître les travaux d’historiens israéliens (notamment Shlomo Sand Ilan Papé) qui déglinguent les mythes fondateurs de l’Etat d’Israël. Daoud en demandant à l’émigré de s’intégrer semble vouloir rivaliser avec Zemmour qui exige de « ses » immigrés de se laver à l’eau de javel pour faire disparaître toute senteur du pays (Algérie) où lui-même est né.

Quant aux fruits de la guerre d’Algérie, Daoud la réduit à l’émergence de la caste de profiteurs parmi les combattants survivants de l’ALN. La ‘’profondeur’’ de son analyse lui fait oublier la barrière de l’histoire qui existe entre le combattant d’hier de l’ALN et le fonctionnaire devenu du parti unique. Le premier a joué un rôle dans l’histoire en offrant sa vie quand le second a vendu le sacrifice et la mémoire de son compagnon pour des broutilles d’une petite vie. Est-ce si difficile de comprendre cette dialectique des désirs secrets et le côté sombre des êtres humains qui s’adonnent dans leur vie à des turpitudes une fois la paix revenue sous la pression d’autres facteurs, d’autres valeurs etc ? Cette façon de regarder le passé et de vivre le présent avec les œillères est le propre de toux ceux qui avancent le nez dans le guidon.

La littérature et l’art en général en quête de la vérité font appel à la rigueur de l’intelligence et aux faits que l’on habille de la beauté d’un imaginaire fécond. C’est un art qui ne se contente pas de l’écume des vagues mais ose affronter les courants puissants qui sommeillent dans les entrailles d’un pays ou d’une société. C’est cette littérature pratiquée par la génération de Kateb Yacine qui a fait la grandeur de la littérature algérienne et dont on peut sentir le parfum chez d’autres écrivains. Je pense à Malek Alloula, prince de l’élégance en écriture, à Hamid Skif à l’humour décapant que le public algérien aurait gagné à connaitre et à aimer, deux écrivains-poètes qui aimaient leur pays et ‘’el ghachi’’ tant méprisé par la caste des ‘’douktours’’ en «science» de Lucifer. Je pense aussi à Maïssa Bey (3) grande dame des lettres mais qui n’a pas bénéficié du tapage médiatique dans l’Hexagone. Sans doute parce que ses romans parlent de cette Algérie à partir d’une posture dérangeante pour ceux qui veulent faire croire que nous avons une histoire commune pour faire oublier l’ignominie des tortionnaires.

Non messieurs, les peuples ont une histoire commune quand ils ont le même adversaire. Je pense à la Française et communarde Louise Michel qui partagea les affres de la déportation et de l’exil avec El Mokrani l’Algérien, à Arthur Rimbaud qui défendit la commune de Paris laquelle fit bénéficier la citoyenneté aux exilés, à Robespierre ‘’vaincu’’ par les futurs Versaillais et chanté par Kateb Yacine dans une œuvre de théâtre.

Ne confondons pas donc l’Etat et le peuple, c’est le B à Ba de la philosophie de l’histoire. Qu’on cesse de nous bassiner avec un monde regardé avec des images obscurcies par une philosophie de pacotille comme celle de ce sociologue algérien qui voulait nous vendre sa ‘’régression féconde’’. La littérature est trop exigeante pour se satisfaire d’oxymores.  Elle se nourrit de l’intelligence de l’histoire et n’a que faire de jeux de mots bidons et de la métaphysique qui prétend que le monde n’est ni juste ni injuste(4).

Epargnez-nous ce genre de lieux communs. Le monde est le résultat de bouleversements volcaniques de l’histoire des hommes, histoire nourrie de leur travail, de leurs intelligences, de leurs guerres et leurs révolutions. La justice et l’injustice dépendent de l’issue de ces confrontations homériques. C’est ainsi que l’homme est sorti de sa caverne pour vivre en société, pour conquérir avec peine et sacrifice la liberté et un peu plus de justice en se débarrassant peu à peu de ses seigneurs et dictateurs.

Comme nous sommes du pays de Saint Augustin, lisons ce grand penseur car il théorisa le concept de la ‘’guerre juste’’ repris ensuite et développé par les esprits les plus fins de la philosophie et de l’art de la guerre. Ce sont les œuvres de ces Esprits qui donnent des armes aux défenseurs des émigrés et exilés. Cette catégorie de l’Humanité n’est coupable d’aucun délit inscrit dans son ADN qui l’empêcherait de s’intégrer dans ‘’Douce France’’ chantée par le regretté Rachid Taha.

L’émigration des hommes est l’histoire même de l’humanité, l’exil est un dur métier (Nazim Hikmet), on transporte son identité dans ses chaussures (Mohammed Dib) tels sont les points de repères pour s’éviter de professer des idées rances. Et pour rassurer les inquiets et les fragiles, qu’ils sachent que l’identité ressemble à la métaphore d’Héraclès : l’eau qui coule dans le lit du fleuve n’est jamais la même. Ce fleuve s’appelle le mouvement de la vie qui transforme, au fur et à mesure de son avancée, le corps comme l’esprit. Quand bien même les conservateurs érigent des digues dans le lit des fleuves pour assécher ou freiner la puissance de l’eau, rien ne l’arrête. Comme on le sait, l’eau est productrice de la lumière (électricité). Ainsi Lumière + eau + travail donnent-ils la vie, il est temps de s’imprégner de cette évidence.

A. A.

Notes

(1)  Kateb Yacine écrivit une lettre ouverte à Albert Camus pour lui signifier le fossé qui les sépare dans le pays qui les a vu naître. Quant à Jean Sénac qui se considérait comme le fils spirituel de Camus, sa rupture avec ce dernier fut à la fois violente et douloureuse pour Sénac.

(2)   Ces deux philosophes très médiatisés ont écrit chacun un essai sur Camus où ils déclaraient leur admiration sans borne pour l’auteur de ‘’l’étranger’’ et descendaient en flammes Sartre, un des monuments de la philosophie du 20e siècle. Rappelons qu’Onfray a déclaré mot pour mot dans El Watan : la torture de l’armée française répondait au terrorisme du FLN… que dire après de telles inepties, obscénités !

(3)  Les romans de Maïssa Bey bénéficient d’un accueil chaleureux de la part de la véritable critique littéraire. Hélas, ce qui fait sortir de l’ombre une œuvre, ce sont les grands médias de la télé qui s’intéressent aux écrivains qui font partie des listes des grands prix littéraires ou qui racontent des histoires dites pour grand public (l’audimat des télés oblige).  

(4) Dans deux articles sur l’identité et l’exil, Kamel Daoud dans le Quotidien d’Oran de décembre 2018, ironise en disant d’une façon péremptoire, que le monde n’est ni juste ni injuste. Pour quelqu’un qui habite dans un pays qui a inventé le mot hogra prononcé dix fois, cent fois par jour, il fallait le faire et qui plus est sans rougir. Macron aussi a claironné que son ‘’monde’’ n’est ni de gauche ni de droite. Depuis les Gilets jaunes lui ont fait comprendre qu’ils n’habitent pas dans son monde qu’ils combattent pour plus de justice.

Auteur
Ali Akika, cinéaste

 




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