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mardi 29 juillet 2025
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« Guerre d’Algérie » : archives classées, mémoire sous contrôle

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Des archives sur l’usage d’armes chimiques pendant la guerre d’Algérie, auparavant consultables, sont aujourd’hui fermées par l’administration française au nom de la sécurité nationale. Une situation révélatrice des tensions entre transparence historique, intérêt d’État et fragilisation des libertés académiques.

Depuis plusieurs années, l’accès aux archives publiques françaises, en particulier celles liées à la « guerre d’Algérie » (1954-1962), fait l’objet de tensions croissantes.

Les chercheurs et citoyens se heurtent à une série d’obstacles administratifs et juridiques pour consulter certains fonds conservés au Service historique de la Défense (SHD). C’est notamment le cas des documents liés à l’utilisation d’armes chimiques en Algérie, où l’armée française a mené des opérations classées sous le label « armes spéciales », entre 1956 et 1962.

Dans un article publié sur The Conversation, l’historien Christophe Lafaye documente cette obstruction, qu’il relie à un mouvement plus large de réduction des libertés publiques dans les démocraties occidentales. L’auteur dénonce une stratégie délibérée visant à restreindre l’accès aux documents sensibles pour préserver la réputation de certaines institutions, en particulier le ministère des Armées.

Le fondement juridique de ces restrictions repose sur l’article L. 213-2, II sur les archives incommunicables du Code du patrimoine. Introduit dans la loi de 2008, cet article crée une catégorie d’archives incommunicables « sans possibilité de dérogation », dès lors que leur consultation pourrait permettre de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques ou chimiques.

A partir de 2021, cette disposition a été utilisée pour bloquer l’accès à des archives historiques, souvent dépourvues d’informations techniques, mais essentielles pour comprendre certaines opérations militaires menées pendant la guerre d’Algérie.

L’étude des débats parlementaires de l’époque montre que certains élus, comme André Chassaigne, s’étaient déjà inquiétés des dérives possibles. Il mettait en garde contre un usage trop large de cette mesure, qui risquait d’empêcher l’accès à des archives sur des épisodes controversés de l’histoire française.

À l’époque, le secrétaire d’État à la Défense, Jean-Marie Bockel, justifiait la disposition par le caractère « jamais périmé » des recettes d’armes de destruction massive.

Or, plus d’une décennie après, l’analyse de Christophe Lafaye montre que cet article est utilisée au-delà de sa fonction initiale. Des fonds qui avaient été librement consultables entre 2012 et 2019 — journaux de marche, comptes rendus d’opérations, listes d’équipements, procès-verbaux de réunions — sont désormais fermés. Les dossiers ont été reclassés au titre des archives incommunicables, sans nouvel examen, ni justification fondée sur un danger actuel.

Ce durcissement s’est accéléré après l’épisode connu sous le nom de « bataille des archives » (2019-2021), lorsque le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a imposé une déclassification préalable à toute communication de toutes les archives classifiées depuis 1940, annulant leur ouverture automatique au bout de cinquante ans.

Le SGDSN s’appuyait sur l’instruction générale interministérielle 1300 de novembre 2011 (durcie encore en 2020) sur le secret défense. À l’époque, la mobilisation des historiens et archivistes avait conduit à un arbitrage du Conseil d’État. Mais en réaction, de nouvelles dispositions ont été introduites dans la loi de 2021 sur la prévention des actes terroristes, permettant notamment de classer des documents a posteriori.

Aujourd’hui, ces pratiques suscitent l’inquiétude dans le monde académique. Les recours devant la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) se heurtent à l’inertie du ministère des Armées. Même lorsque la Cada rend des avis favorables à la consultation, ceux-ci restent indicatifs et sont ignorés par l’administration concernée.

Pour Christophe Lafaye, cette situation révèle un basculement : la sécurité nationale devient un levier de contrôle sur l’histoire. L’accès aux archives, qui devrait relever d’un principe démocratique fondamental, est désormais suspendu à des logiques de gestion ministérielle et de prudence institutionnelle. Dans le cas de la guerre chimique en Algérie, cette fermeture empêche tout travail approfondi sur un sujet encore largement absent des récits historiques officiels.

Deux issues se dessinent. La première, judiciaire, passerait par une saisine du tribunal administratif pour obtenir l’avis de la Commission du secret de la défense nationale sur la déclassification des documents. Mais cette démarche est longue, coûteuse, et peu accessible pour la majorité des chercheurs. La seconde serait politique : un geste fort de l’État français, sur le modèle de l’ouverture des archives sur Maurice Audin ou les disparus algériens.

En l’absence de volonté claire, le principe d’ouverture automatique des archives au bout de cinquante ans, instauré par la loi de 2008, semble aujourd’hui vidé de sa substance. Ce que rappelle en filigrane cet article, c’est qu’une démocratie solide n’a pas peur de son passé. Elle l’examine, l’assume, et en tire les leçons 

Djamal Guettala avec Christophe Lafaye 

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