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lundi 16 juin 2025
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Hamadi Guella : « J’ai été inspiré par mon vécu »

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Franco-Tunisien, Hamadi Guella a grandi entre les 19e et 20e arrondissements de Paris, un décor urbain qui pulse dans son premier roman, De béton et de plumes. Héritier d’un père, grand artiste et compositeur-interprète, et d’une mère enseignante en lettres qui a ouvert des jeunes au théâtre, Hamadi Guella porte dans son écriture la richesse d’une mémoire familiale marquée par l’engagement et la création.

Son engagement dans le secteur associatif, notamment à travers des articles pour l’éducation populaire, infuse son œuvre d’une sensibilité sociale profonde. Dans De Béton et de Plumes, classé comme un roman contemporain à dimension sociale et poétique, Guella explore les luttes et les espoirs de personnages confrontés aux contraintes de la ville, un écho aux parcours d’exil et de résilience. À l’heure où les crises, comme la guerre en Ukraine, rappellent les urgences de l’accueil des réfugiés, ce roman résonne comme un plaidoyer pour une humanité partagée, où chacun, fuyant les dangers, la misère ou la famine, mérite dignité et solidarité. Dans cet entretien accordé au Matin d’Algérie, Hamadi Guella dévoile les inspirations et les réflexions qui tissent ce récit vibrant des héros du quotidien.

Le Matin d’Algérie : Votre roman s’intitule “De béton et de plumes”. Pourquoi ce choix de contraste ? Que symbolisent pour vous ces deux éléments ?

Hamadi Guella : Évidemment, le béton évoque pour tout le monde le décor urbain. Il définit un espace ou en tout cas une catégorie d’espaces dans lequel des êtres humains évoluent et partagent une certaine réalité. C’est un élément minéral, solide, qui une fois planté dans le sol, trace les contours d’un paysage immuable qui repousse ou rassure selon l’appréhension que l’on peut en avoir. À leur insu, ou non, il est une des composantes de l’identité des citadins qu’ils soient parisiens ou banlieusards dans le cas de mon livre. À l’inverse, les plumes sont des éléments organiques, elles évoquent à la fois la fragilité des êtres vivants mais aussi la possibilité qui leur est donnée de prendre leur envol, et par là même, de s’émanciper des contraintes terrestres. Ces deux mots définissent bien mon récit où les personnages sont confrontés à des situations face auxquelles ils doivent opter pour la résilience ou la résignation. 

Le Matin d’Algérie : Le livre met en scène plusieurs personnages ancrés dans la ville. Comment avez-vous construit ces figures ? Sont-elles inspirées de rencontres réelles, de vous-même, ou sont-elles purement fictionnelles ?

Hamadi Guella : Un mélange de tout cela. J’ai été inspiré par mon vécu, mais également par mes observations au fil des années, que ce soit dans le milieu du travail ou dans tous les contextes divers et variés dans lesquels j’ai pu évoluer. Mon livre est une sorte d’hommage aux héros du quotidien qui subissent de plein fouet la colonialité, les discriminations, le patriarcat et j’en passe…

Le Matin d’Algérie  La ville, Paris et sa banlieue, joue un rôle presque organique dans le récit. Peut-on parler de la ville comme d’un personnage à part entière ?

Hamadi Guella : Disons que la ville, pour celles et ceux qui y habitent, a une telle incidence sur nos vies qu’on peut difficilement se définir sans elle. Elle cornaque notre quotidien par bien des aspects. Le temps que l’on passe dans les transports, la promiscuité qu’on y subit, le manque d’espace, le stress, le rythme effréné mais aussi les rencontres et la proximité avec l’autre, le mélange de cultures, sont autant d’éléments qui nous façonnent. Alors oui, concernant mon livre, la ville y est omniprésente et peut tout à fait s’apparenter à un personnage à part entière, du reste, elle constitue la toile de fond ou le fil directeur qui relie les histoires les unes aux autres.

Le Matin d’Algérie : Votre écriture mêle poésie, réalisme social et humour discret. Comment avez-vous trouvé ce ton singulier ? Est-ce le fruit d’un long travail ou quelque chose de spontané ?

Hamadi Guella : Mon écriture fait écho à ma personnalité, c’est le cas, je pense, pour tous les auteurs. Comme vous l’avez évoqué dans votre question, ce premier ouvrage est empreint de réalisme social. Mes personnages subissent des expériences souvent douloureuses, mais il s’agissait aussi d’insister sur ce qui définit leur humanité, l’humour vient naturellement agrémenter la narration car toutes et tous, autant que nous sommes, fluctuons entre joie et tristesse et parvenons souvent à prendre du recul et à tourner en dérision la fatalité. J’essaye d’avoir un style soutenu pour dépeindre le mieux possible la complexité des situations, mais je tiens également à introduire une bonne dose de spontanéité et de rigolade par moments, telle est ma façon d’appréhender la vie.

Le Matin d’Algérie : Le roman évoque des trajectoires souvent précaires, cabossées, mais toujours dignes. Quel regard portez-vous sur la notion de “réussite” telle qu’on l’entend aujourd’hui ?

Hamadi Guella : C’est une excellente question. Je suis heureux que vous me la posiez. Nous vivons dans une époque où la réussite rime bien souvent avec confort financier. Dans les médias, des « personnalités » existent avant tout par ce qu’elles possèdent ou par le Buzz et non par ce qu’elles ont accompli. Je pense aux personnalités issues des émissions de télé-réalité par exemple, ou au phénomène des influenceurs qui accumulent des sommes d’argent improbables en vantant les mérites de tel ou tel produit. Ce ne sont que deux exemples parmi tant d’autres… Je n’ai rien contre le fait de posséder de l’argent ou contre celles et ceux qui en font leur priorité mais il me semble que tout de même, il y a d’autres façons de s’accomplir et de donner du sens à nos existences. Que ce soit par l’engagement politique ou le don de soi, entre autres, ou par toutes les voies possibles et inimaginables. Je refuse de résumer les humains à de vulgaires machines à consommer. En décrivant ces trajectoires, j’ai essayé de mettre en valeur la grandeur d’âme que l’on peut rencontrer chez le commun des mortels. Pour conclure simplement, et pour vous répondre, je dirais que la véritable réussite consiste à côtoyer le bonheur au plus près. Il ne devrait s’agir que de cela

Le Matin d’Algérie : L’éducation populaire traverse aussi votre parcours. Peut-on lire votre roman comme un prolongement littéraire de cet engagement ?

Hamadi Guella : Disons que j’ai une propension à décrire et à dénoncer les travers de notre société, en tout cas de mon point de vue, de par le parcours qui fut le mien. J’ai effectivement écrit plusieurs articles dans le cadre de l’éducation populaire et mon premier livre est teinté de cet engagement. Néanmoins, il s’agit d’une œuvre de fiction où le réalisme des situations n’a d’intérêt que s’il est sublimé par la teneur littéraire du tout. J’espère donc avoir réussi à sublimer les tranches de vie de mes personnages en stimulant la conscience de mes lecteurs tout en parvenant à susciter des émotions.

Le Matin d’Algérie : Vous décrivez un quotidien dur, mais jamais misérabiliste. Comment avez-vous évité l’écueil du pathos ou du cliché ?

Hamadi Guella : Parce que je pense que les êtres humains sont bien plus complexes et mystérieux que ce qu’ils paraissent. Je ne suis pas très friand des films ou des romans à bouton, qui catégorisent les personnages dans le camp du bien ou du mal, du vice ou de la vertu, de la force ou de la faiblesse. C’est intéressant que vous me posiez cette question, car j’ai vraiment cherché à introduire de la nuance dans mes histoires, à ouvrir des portes sans en fermer d’autres.

Mes personnages se questionnent, hésitent, et naviguent entre les gouttes comme ils le peuvent comme la plupart des mortels. Au final, ce qui leur donne du corps, ce ne sont pas tant leurs victoires ou leurs défaites mais plutôt leur éveil.

Le Matin d’Algérie : La question des origines, de la mémoire familiale ou sociale affleure par moments. Quelle place occupe cette thématique dans votre travail ?

Hamadi Guella : Nous sommes toutes et tous le fruit d’un contexte social et d’une éducation, c’est inévitable. Nous sommes également un maillon d’une longue chaîne culturelle qui nous a précédé. Comme le dit Aimé Césaire dans Discours sur la négritude : « je ne crois pas que l’on arrive au monde le cerveau vide comme on y arrive les mains vides ».

Ainsi, avant même de nous dépatouiller avec ce que la vie nous met dans les pattes, poursuivant ainsi notre formation, nous sommes équipés d’une somme de moyens de défense, d’outils et de recours qui sont propres à notre famille et à notre environnement social.

Pour ma part, en tant qu’auteur, je suis forcément influencé par le legs de mes parents. J’ai la chance d’être le fils d’un grand artiste, compositeur interprète, aujourd’hui décédé, et d’une mère qui a enseigné les lettres toute sa vie et fait découvrir le théâtre à des jeunes qui n’en auraient probablement pas eu l’occasion autrement, j’ajoute à cela leur engagement politique de tous les instants. Je suis conscient d’avoir cette chance, mon penchant pour la création et mes engagements ne viennent pas de nulle part.

Les chiens ne font pas des chats, paraît-il. En revanche, je tiens absolument à insister sur le fait que tout est possible dans la vie et je tire mon chapeau à celles et ceux qui ont réussi à sortir de leur condition pour s’accomplir. Tout l’honneur leur revient.

Le Matin d’Algérie : La structure du roman repose sur des fragments de vie qui se croisent. Avez-vous pensé à un montage particulier, presque cinématographique ?

Hamadi Guella : La structure de mon roman n’était pas figée dès le départ. J’ai écrit une première série de textes que j’ai laissé de côté quelque temps puis j’ai repris la plume pour poursuivre l’aventure. Si j’avais une idée assez claire des personnages que je voulais créer et de leurs péripéties, la structure à proprement parler s’est dessinée au fil du temps.

Par ailleurs, comme vous l’avez remarqué, il y a environ quatre textes qui n’ont pas forcément de rapport direct avec le reste de la trame générale. Ils viennent intervenir comme des escapades poétiques ou loufoques au milieu du tout. Je tenais beaucoup à cela. Ceci dit, lorsque j’ai écrit mes textes, j’ai peut-être utilisé un procédé proche de la conception cinématographique, inconsciemment. En tout cas, la chronologie et l’articulation des différents textes m’a demandé beaucoup de réflexion.

Le Matin d’Algérie : Quels sont les auteurs, les lectures, qui vous ont influencé dans l’écriture de De béton et de plumes ?

Hamadi Guella : Question difficile, j’aurais du mal à faire le lien entre mon style et mes diverses lectures. Si je devais citer un auteur chez lequel j’admire les descriptions et le sens de la formule, sans hésiter, je citerais Honoré de Balzac, en particulier : Scènes de la vie de province.

Dans un registre moderne et complètement différent, et qui a sûrement influencé la structure de De Béton et de plumes, je pense au roman de Ryan Gattis : Six jours. Un autre livre m’a beaucoup parlé récemment, il s’agit de : Les grands, de Sylvain Prudhomme. Je ne sais pas si ce livre m’a influencé mais je l’ai dévoré. Voilà, quelques-uns…

Le Matin d’Algérie : Vous publiez ici un premier roman. Qu’avez-vous appris de ce processus ? L’écriture a-t-elle changé quelque chose dans votre vie, votre rapport au monde ?

Hamadi Guella : Alors j’ai écrit un premier roman, certes, mais j’écris depuis longtemps. Je pense que le goût de l’écriture est une des composantes de ma personnalité. Elle m’accompagne depuis des années, je ne serais pas le même sans elle. Disons que l’écriture, au même titre que d’autres éléments de mon quotidien, fait de moi ce que je suis. Ce n’est pas un coup de tonnerre qui est survenu sans prévenir, cela s’est construit au fil du temps. J’espère continuer aussi longtemps que possible.

Le Matin d’Algérie : Si vous deviez glisser un mot, une pensée, une phrase à celles et ceux qui liront votre livre, qu’aimeriez-vous leur dire ?

Hamadi Guella : Pensez à ce que nous partageons, à ce que nous avons de commun dans nos moments de joie comme dans nos expériences malencontreuses. Et surtout : n’essentialisez pas les gens !!!! Nous valons plus que cela.

Entretien réalisé par Djamal Guettala

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