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mardi 1 juillet 2025
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Hamid Benchaar : « Mes ouvrages ont été rejetés par des institutions algériennes »

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Dans l’œuvre de Hamid Benchaar, la mémoire est une force vive, un fil conducteur entre l’exil, les espoirs brisés et les rêves obstinés d’une jeunesse algérienne en quête de sens. Né dans les Aurès, il a grandi dans l’Algérie coloniale puis indépendante, traversant les mutations d’un pays en pleine recomposition. Ingénieur de formation, écrivain par nécessité intérieure, il tisse une littérature habitée par la sincérité du vécu et la densité de l’histoire.

De L’Enfant de la haute plaine à Cela commence toujours par un rêve, ses romans sont traversés par des figures en dérive ou en résistance, hantées par l’absence, les silences familiaux, les frontières visibles ou invisibles. Son dernier livre, centré sur Yazid, un enfant séparé de sa mère, nous entraîne dans une Algérie des années 1970 pleine de contradictions : promesse d’un avenir meilleur mais traversée de renoncements.

Dans cet entretien, Hamid Benchaar revient sur les origines de son écriture, la blessure de l’éloignement, la construction d’une voix à travers la langue, et ce rêve d’émancipation toujours vivant malgré les déracinements. Une conversation sensible, où la littérature devient un refuge, un cri contenu, une manière de survivre au silence et à l’oubli.

Le Matin d’Algérie : Votre roman s’intitule Cela commence toujours par un rêve. Que signifie ce titre pour vous ? Est-ce une promesse, une illusion ou une forme de résistance ?

Hamid Benchaar : Ce titre représente d’abord une promesse. C’était un rêve que ma génération s’était engagée à réaliser. Au lendemain de l’indépendance, nous étions nombreux à nous lancer dans des défis avec enthousiasme et détermination.

Le Matin d’Algérie : Le personnage de Yazid, séparé de sa mère à l’âge de cinq ans, porte une blessure originelle. Qu’est-ce qui vous a conduit à explorer cette faille intime ?

Hamid Benchaar : On dit souvent qu’une histoire vraie semble « sortie d’un roman ». Pourtant, la plupart des romans s’inspirent de la réalité. C’est le cas de Cela commence toujours par un rêve, né d’un drame lié à l’émigration. Il s’agit de l’histoire d’un ami de lycée, un architecte algérien, formé par l’école algérienne, qui, après de multiples déceptions professionnelles en Algérie, a voulu vivre le rêve américain en partant en Amérique du Nord.

Le roman explore les conséquences de la mauvaise gouvernance, qui pousse les jeunes à rêver d’autres horizons. En préparant ce livre, je me suis aussi souvenu d’un autre ami qui m’avait raconté, au lycée, un drame personnel : sa séparation d’avec sa mère à l’âge de cinq ans à cause d’un conflit familial, et leurs retrouvailles douze ans plus tard.

Le Matin d’Algérie : La figure maternelle dans votre livre est à la fois réelle et fantasmée. Comment avez-vous travaillé la complexité de ce lien ?

Hamid Benchaar : La figure maternelle est à la fois réelle et fantasmée. Pour Yazid, elle a été l’objet de ses rêves et de ses fantasmes pendant douze ans. Lorsqu’il la retrouve, il s’aperçoit que les images d’enfance qu’il avait soigneusement conservées en mémoire ne correspondent plus à la réalité de cet instant. Il brûlait d’envie de la prendre dans ses bras, de lui exprimer sa tendresse, de lui confier sa frustration, ses souffrances, sa révolte face à toutes ces années perdues. Cette rencontre est un moment clé du roman. Moi-même, j’ai vécu une séparation, celle d’avec mon père, durant toute mon enfance jusqu’à l’indépendance, à cause de la guerre. Mais l’absence d’une mère, comme celle vécue par Yazid, est encore plus douloureuse.

Le Matin d’Algérie : Votre récit se déroule dans l’Algérie des années 1970. Pourquoi cette période précisément ? Et qu’évoque-t-elle pour vous en termes de ruptures et de mutations ?

Hamid Benchaar : Yazid incarne plusieurs personnages qui m’ont marqué à différentes périodes de l’histoire algérienne : les années 1960, dans une Algérie encore marquée par un mode de vie à l’européenne, adopté par certaines familles ayant côtoyé les Européens ; les années 1970, où, lycéens, nous nous préparions pour le baccalauréat et les études universitaires, pleins d’ambition et confiants en nos réussites.

Cette période était cependant difficile, sous un régime autoritaire qui nous privait de liberté d’expression et de voyage. Nous vivions sous la surveillance d’un régime militaire et de ses services de sécurité. Il y avait des pénuries, non seulement de produits de première nécessité, mais aussi de biens culturels. Malgré cela, notre jeunesse et nos rêves nous portaient.

Après l’obtention de mon baccalauréat, je suis parti pour mes études d’ingénieur. De retour en Algérie, j’ai effectué mon service militaire, où, petite anecdote, j’étais dans la même brigade que l’écrivain Yasmina Khadra. Après l’armée, ce fut le travail et les retrouvailles avec mes camarades de lycée. Cette période, relativement tranquille, a duré une bonne partie des années 1980, jusqu’au choc du 5 octobre 1988. Jusque-là, aucun de nous n’avait envisagé de quitter l’Algérie. Mais les bouleversements politiques, avec une ouverture démocratique illusoire, et surtout la montée de l’islamisme, ont poussé certains à se poser des questions.

Le Matin d’Algérie : À travers Yazid, on perçoit le désarroi d’une jeunesse confrontée à la fin des idéaux. Est-ce un constat qui résonne avec d’autres générations ?

Hamid Benchaar : Le désarroi de ma génération a commencé à l’entrée dans la vie active, à la fin de l’expérience Boumédiène. Nous allions de déception en déception : problèmes de logement, insatisfaction professionnelle, tracasseries bureaucratiques, projets avortés dès leur lancement, initiatives bridées.

En dehors du travail, c’était le vide culturel. En somme, c’était la mort de nos idéaux de bâtir une Algérie portée par ses enfants post-indépendance. Le désarroi des générations suivantes est d’une autre nature : chômage, difficultés de logement, malgré des progrès significatifs. La « mal-vie » est accentuée par l’ouverture au monde via les télévisions satellitaires et les réseaux sociaux. Les jeunes ont l’impression que la vie est ailleurs, en Occident.

Le Matin d’Algérie : Vous décrivez subtilement la montée de l’islamisme et les glissements de la société. Comment avez-vous abordé ces transformations sans tomber dans le manichéisme ?

Hamid Benchaar : Tout a commencé sur les campus, où des groupes tentaient d’imposer aux filles un code vestimentaire strict et d’interdire les événements culturels, ce qui provoquait des affrontements avec les étudiants résistants. Puis, la société civile a été touchée par ces pressions, amplifiées par les victoires électorales de ces groupes, entraînant intimidations, menaces et peur parmi ceux qui ne partageaient pas ces valeurs.

J’ai vu des proches changer du jour au lendemain, certains abandonnant une carrière prometteuse, leur famille, leurs convictions. J’ai cherché à retracer ces bouleversements avec authenticité, en décrivant les étapes qui ont conduit à la décennie noire, ravageant des vies et poussant nombre d’entre nous à l’exil. Mon but était de relater la vérité, sans jugement, aussi dure soit-elle.

Le Matin d’Algérie : Ce roman est aussi celui du retour au pays, d’une tentative de réconciliation avec un passé refoulé. Écrire était-il pour vous une manière de « revenir » ?

Hamid Benchaar : Je n’ai jamais coupé les liens avec l’Algérie. Je retourne régulièrement au pays, seul ou en famille, et j’ai suivi son évolution. Lorsque j’ai commencé à écrire, après une carrière professionnelle en France et en Amérique du Nord, j’ai retrouvé en Algérie non seulement mon passé, mais aussi une source d’inspiration. Aujourd’hui, libéré des contraintes professionnelles et familiales, je passe plusieurs mois par an en Algérie.

Le Matin d’Algérie : Cela commence toujours par un rêve semble marquer une forme de maturité littéraire. Comment le situez-vous dans votre parcours, après Dans la gueule du loup, Un été algérien, Le faux barrage et L’Enfant de la haute plaine ?

Hamid Benchaar : L’Enfant de la haute plaine, mon premier roman, est une sorte de biographie qui montre ce qu’a vécu ma région des Aurès pendant la guerre d’indépendance. Il met en lumière l’importance de l’école algérienne et l’acharnement de mon père pour m’y faire admettre, alors que j’avais largement dépassé l’âge de la scolarisation.

L’indépendance et l’école m’ont sauvé. Cela commence toujours par un rêve est le roman de la génération de l’indépendance, qui a vécu enfant le colonialisme et la guerre, puis adolescent la liberté, où tout semblait possible. C’est un roman intime, dans lequel beaucoup de mes amis de l’époque se sont reconnus.

Le Matin d’Algérie : Quels thèmes ou obsessions reviennent malgré vous dans vos romans ? La mémoire, l’exil, les relations familiales sont-ils des axes que vous cultivez consciemment ?

Hamid Benchaar : La mémoire joue un grand rôle dans mon écriture. Mes romans s’inspirent de ce réservoir, qu’il s’agisse de souvenirs personnels ou d’événements vécus par des proches. Un ami m’a dit que mes livres sont si authentiques qu’ils pourraient être perçus comme l’histoire de n’importe quel lecteur.

L’exil, que j’ai moi-même vécu, ainsi que beaucoup d’Algériens, y compris ma famille, est omniprésent. Les contradictions de notre société, ses turbulences politiques et morales, sont aussi des sujets récurrents. Certains de mes ouvrages ont été rejetés par des institutions algériennes pour avoir abordé des thèmes sensibles. Cela commence toujours par un rêve a été sélectionné par le Salon du Livre d’Alger, avant d’être censuré.

Le Matin d’Algérie : Vous êtes ingénieur de formation, consultant en technologies de l’information. Comment ce double profil technique et littéraire cohabite-t-il en vous ?

Hamid Benchaar : Privé de livres pendant une grande partie de mon enfance, faute d’avoir appris à lire, j’ai rattrapé ce retard une fois le français maîtrisé. Cette passion pour la lecture a éveillé en moi l’envie d’écrire. Avant d’être orienté vers les mathématiques au lycée, je rêvais d’études littéraires, peut-être de devenir journaliste ou écrivain. Mais la commission d’orientation en a décidé autrement. Plus tard, durant la décennie noire, en voyant le sort des journalistes, j’ai compris à quel danger j’avais échappé.

Le Matin d’Algérie : Votre style mêle sobriété et émotion retenue. Travaillez-vous beaucoup vos textes ? Quelle place occupe l’écriture dans votre quotidien ?

Hamid Benchaar : À Montréal, les cafés sont des lieux conviviaux, propices à la réflexion et à l’écriture. On peut y passer des heures sans être dérangé. J’écris généralement le matin. Après un premier jet, je reprends mes textes ou les fais relire par un ami proche. Lorsque j’étais consultant en technologies de l’information, je profitais de mes déplacements professionnels, dans des hôtels à l’extérieur de Montréal ou du Canada, pour écrire.

Le Matin d’Algérie : Que souhaitez-vous que le lecteur retienne de cette histoire ? Un message, une émotion, une image ?

Hamid Benchaar : L’émotion avant tout. Le rôle d’un écrivain est de faire voyager le lecteur, de susciter des émotions, et non de raconter des banalités. Mes romans, parfois durs, reflètent une réalité souvent plus cruelle. Les histoires que je raconte sont communes à beaucoup de mes compatriotes. Toutes ne se terminent pas de manière aussi dramatique que celle de Yazid, du moins je l’espère. L’émigration vers le Canada a souvent apporté des illusions, suivies de déceptions. Je ne cherche ni à transmettre un message ni à faire la morale.

Le Matin d’Algérie : Enfin, si vous deviez adresser une phrase à un jeune Algérien d’aujourd’hui, confronté au doute ou au déracinement, que lui diriez-vous pour qu’il continue à croire en ses rêves ?

Hamid Benchaar : Pendant des années, j’ai été désarmé face au désarroi des jeunes Algériens, notamment le phénomène des harragas. Aucun pays n’a connu autant de bouleversements en si peu de temps. Chaque génération semble étrangère à la suivante. Économie planifiée, puis de marché, et enfin parallèle ; francisation, arabisation, anglicisation : il y a de quoi perdre son latin ! Mais depuis quelque temps, j’ai de l’espoir. Le doute s’estompe face aux changements que j’observe lors de mes séjours au pays, et face à la désillusion de ceux qui ont tenté l’exil. À un jeune, je dirais : « Crois en tes rêves, car aujourd’hui, en Algérie, ils sont à nouveau possibles ».

Entretien réalisé par Djamal Guettala

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2 Commentaires

  1. Nul n’est prophète en son pays dit-on – preuve que l’Algerie force ses forces vives à l’ expatriation et surtout la rationnelle. Quel dommage!

  2. Il ne fallait pas proposer vos ouvrages car ils ne savent que lire le coran.
    Tous celles et ceux qui peuvent lire des livres sont soit en prison, chassés du pays ou sous interdiction de quitter le pays.
    Il ne reste que leds incha allah et les mach allach pour ildolatrer leur prochain du moment a el mouradia.

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