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Houda Mejdoub : «Guérir par la parole, écrire contre l’oubli»

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Dans cet entretien exclusif avec Le Matin d’Algérie, Houda Mejdoub, lauréate du Prix Comar Découverte 2025, revient en détail sur son roman Écoute-moi ma fille, explique les sources d’inspiration, les thèmes majeurs de son œuvre et sa vision de l’écriture et de la parole comme remèdes aux blessures familiales et sociales.

Une plongée authentique dans la Tunisie d’aujourd’hui à travers le prisme de la mémoire, de l’amour et de la culpabilité.

Le Matin d’Algérie : C’est une histoire essentiellement fictive. Tous les personnages sont-ils le fruit de votre imagination ?

Houda Mejdoub : C’est une histoire essentiellement fictive. Tous les personnages sont le fruit de mon imagination mais je les ai imaginés à partir des portraits de gens que j’ai côtoyés de près ou de loin, à partir de mes lectures, des films que j’ai regardés ou des histoires dont grouillent les réseaux sociaux… Bien sûr, le rôle de l’écriture est d’accentuer ces traits et de créer le monde imaginaire dans lequel ces personnages vont évoluer.

Seules les figures du grand-père et de la grand-mère mère ont une dimension un peu autobiographique. Si Béchir et Khalti Fatma, deux enseignants débonnaires à la retraite qui ont inculqué à leurs filles l’amour des livres rappellent à bien d’égards mes propres parents. J’ai écrit ce roman, entre autres, pour leur rendre hommage.

Le Matin d’Algérie : Pourquoi avoir choisi Alzheimer comme thème central ?

Houda Mejdoub : Alzheimer qui s’attaque à la mémoire, qui nous dérobe nos souvenirs et nous fait oublier jusqu’aux noms et aux identités des êtres les plus chers est un véritable calvaire pour le malade et pour ses proches. Dans mon roman, c’est ce qui va déclencher deux mouvements salvateurs : celui de l’écriture, unique rempart contre l’oubli et la disparition des souvenirs et celui du pardon, car en libérant la parole longtemps tue, les malentendus, les gaffes du passé, les fêlures de l’enfance parviennent à s’exprimer et permettent par conséquent l’installation du dialogue et du pardon.

Le Matin d’Algérie : Le titre Écoute-moi ma fille est très évocateur. Que signifie-t-il dans votre récit ?

Houda Mejdoub : Écoute-moi ma fille est la demande pressante que vont formuler deux mamans dans ce roman à l’égard de leurs filles respectives. Il exprime l’urgence d’établir ce contact de l’écoute et de la parole avant qu’il ne soit trop tard, avant qu’Alzheimer n’engloutisse tous les souvenirs et n’empêche les aveux. Des aveux nécessaires pour que s’allège le poids de la culpabilité et des non-dits.

Le Matin d’Algérie : Comment décririez-vous la relation entre les trois générations de femmes dans votre livre ?

Houda Mejdoub : L’aïeule est une ancienne institutrice dévouée à son métier, maman un peu débordée de trois filles, elle n’a pas su gérer la psychologie difficile et spéciale de son aînée et toutes deux ont beaucoup souffert de cette incapacité à communiquer sans trouver moyen d’y remédier. Cette même fille, aussi paradoxal que cela puisse paraître, va réitérer le même modèle avec sa propre fille bien qu’elle se soit juré qu’elle lui serait la meilleure des mères. La petite-fille a vécu longtemps avec le sentiment du rejet à la fois de ses parents que de son mari. On intériorise parfois, contre notre gré, un schéma d’éducation qu’on a longtemps réprouvé et on le transmet contre son gré aussi.

Le Matin d’Algérie : Croyez-vous au pouvoir guérisseur de la parole ?

Houda Mejdoub : Oui. Je crois fermement aux remèdes miraculeux de la parole et je pense qu’on peut panser et guérir tous les maux par des mots bien choisis qui sortent à la fois du cœur et de l’esprit. Il faut choisir une parole qui à la fois console et réconforte mais aussi qui sait expliquer, raisonner, tempérer, modérer, relativiser… C’est sans doute pour cela que le divan du psychiatre ou du psychologue procure un immense bienfait ou que l’hypnose est conseillée pour libérer ce qui gêne, ce qui bloque, ce qui fait honte…

Le Matin d’Algérie : Quelle place tient la mémoire dans votre roman ?

Houda Mejdoub : Les souvenirs qui peuplent la mémoire de tout un chacun peuvent être une source de blocage psychologique comme ils peuvent être source de bonheur et de richesse. Tout dépend des expériences vécues et de notre degré de résilience et de résistance. Dans mon roman, cette mémoire a été tantôt une entrave pour avancer, tourner la page et envisager la vie avec optimisme. Tantôt un royaume bienheureux qui porte l’odeur et le goût du paradis perdu.

Dans tous les cas, on ne peut pas faire table rase de son passé. On doit l’assumer avec ses réussites et ses faiblesses.

Le Matin d’Algérie : La culpabilité est-elle un thème majeur dans votre livre ?

Houda Mejdoub : Oui. La culpabilité est un sentiment très lourd à porter. Dans mon roman, il se transmet de mère en fille comme une tare familiale. Le problème c’est que chacune était animée des meilleures intentions et croyait bien faire. La culpabilité est une conséquence directe du manque ou de l’absence de communication entre les membres de cette famille. Dans certaines situations, on manque de courage et on garde un silence qui nous enfonce, qui nous compromet et qui nuit à notre crédibilité aux yeux de ceux qui nous aiment…

Le Matin d’Algérie : Votre roman a-t-il une part autobiographique ?

Houda Mejdoub : Oui. Il y a une part autobiographique dans ce roman. Beaucoup de lecteurs qui me connaissent m’ont contactée pour me dire qu’ils avaient reconnu Si Salah et Tata Fatma — mes parents — dans les personnages de Si Béchir et de Fatma. La maison à Jradou rappelle aussi celle où j’ai vécu à Lizdine, un petit village de Menzel Temim, où mes parents ont passé leurs années de roulement en tant qu’instituteurs. Cette passion des livres, qui imprègne profondément les personnages de Ghalia et d’Inès, reflète également mon propre vécu. Chez nous, les livres étaient partout, et ils étaient aussi essentiels que la nourriture ou que l’air que nous respirions… C’est de l’autobiographie.

Le Matin d’Algérie : Comment décririez-vous votre style d’écriture ?

Houda Mejdoub : Qui a dit que « le style, c’est l’homme » ? Je crois que le style, c’est comme l’empreinte digitale. Il se doit d’être unique et reconnaissable même quand le nom de l’auteur est absent. J’aime cette manière d’écrire et je ne sais pas écrire autrement. D’ailleurs, je suis incapable de la qualifier. Je pense que c’est le travail des critiques littéraires.

Le Matin d’Algérie : Que représente pour vous ce Prix Comar Découverte ?

Houda Mejdoub : Un immense bonheur. Un rêve de petite fille qui se réalise. Une promesse tenue à papa. Une trace de mon passage sur terre. Un cadeau à mes enfants. Une reconnaissance d’un talent.

Le Matin d’Algérie : Comment s’est passée votre collaboration avec la maison d’édition Arabesques ?

Houda Mejdoub : Arabesques est une grande maison d’édition. Son directeur Si Moncef Chebbi est un homme d’une grande culture et aux conseils très judicieux, sans compter le côté humain et très affable de la personnalité. Je ne garde que des impressions positives de notre première expérience ensemble.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous un nouveau projet d’écriture ?

Houda Mejdoub : Oui. J’ai déjà fini d’écrire un recueil de nouvelles. Je ne me suis pas encore décidée sur le titre. Je vais bientôt le confier à Arabesques.

Le Matin d’Algérie : Quel message souhaitez-vous transmettre avec Écoute-moi ma fille ?

Houda Mejdoub : Une leçon d’amour. L’amour sous toutes ses facettes : maternel, paternel, filial, l’amour des livres, de la nature, du pays, de son prochain…

Entretien réalisé par Djamal Guettala

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