Signalée comme l’événement artistique de la rentrée, l’exposition Les résistants, que Mustapha Boutadjine étale du 12 septembre au 12 octobre 2024 (à galerie Mahieddine-Baya du palais de la culture Moufdi-Zakaria d’Alger), a, en affiche, privilégié le portrait de Larbi Ben M’hidi, d’un chantre mis en exergue pour mieux honorer la résilience de « femmes et hommes qui se sont battus pour la liberté, la justice, la dignité » (Seddik Hammache, in catalogue, Les Résistants).
Or, c’est justement parce que le martyr contemporain İhsane El-Kadi défend ce même triptyque (liberté, justice et dignité) qu’il croupit aujourd’hui entre les murs de la prison d’El Harrach (banlieue d’Alger).
Dans la nuit du vendredi 23 au samedi 24 décembre 2022, six barbouzes de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSİ) passaient vers 24 heures trente le perron de la résidence de Zemmouri (wilaya de Boumerdes, à 50 kilomètres à l’est d’Alger) pour conduire le patron de presse au centre opérationnel et d’investigation de la caserne Antar de Ben Aknoun, là où il y subira cinq jours de garde à vue avant d’être placé (le jeudi 29) sous mandat de dépôt par le juge d’instruction près le tribunal de Sidi M’hamed d’Alger.
Victime expiatoire d’un long et continuel harcèlement judiciaire le privant désormais de ses libertés fondamentales, l’incarcéré arrivait, dès l’après-midi du 24 décembre, menotté au sein de son agence « İnterface Médias » (pôle entrepreneurial de la station « Radio M » et du webzine Maghreb Émergent).
Chargée d’en perquisitionner les bureaux, le service de renseignement de l’armée s’emparait alors des ordinateurs, disques durs ou documents puis cadenassait les locaux d’un directeur indépendant qui se voyait le jour suivant (dimanche 25 décembre) confirmer la condamnation de six mois de prison (sans dépôt) décidée en juin 2022 (et en appel le 18 décembre) dans le prolongement de la plainte antérieure du ministre de la Communication Amar Belhimer.
Mécontent de sa rubrique de mars 2020 (diffusée sur « Radio M », elle plaidait pour que le mouvement islamiste Rachad, classé organisation terroriste en mai 2021, ait sa visibilité dans le Hirak), il déclenchait la procédure ouvrant le bal des coups fourrés et déboires auxquels İhsane El-Kadi va être continuellement confronté.
Sous contrôle judiciaire (le parquet du tribunal de Sidi M’hamed d’Alger imputant le 18 mai 2021 la charge de « diffusion de fausses informations à même de porter atteinte à l’unité nationale »), l’ex-commentateur sportif fut assujetti à une autorisation de sortie de la wilaya d’Alger et interdit de quitter le territoire national (avec confiscation de passeport).
La veille des législatives de juin 2021, il était arrêté (le 10) et longuement interrogé par la Sécurité intérieure en raison de nouvelles griefs l’accusant d’avoir voulu rouvrir « le dossier de la tragédie nationale » (selon l’une des dispositions de l’article 46 de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale mettant fin à la « Décennie noire »).
Poursuivi en rapport au dossier Zaki Hannache et à la fictive « appartenance à un groupe ou organisation terroriste », le désormais persécuté se présentait le 21 mars 2022 devant le juge d’instruction du tribunal de Larbâa Nath İrathen ; laissé en liberté, il comparaîtra néanmoins le 05 avril suivant, toujours en relation avec le litige (en instruction ou instance) l’opposant à Ammar Belhimer.
Convoqué fin novembre 2022 (par les gendarmes puis la police politique) à cause d’un autre papier synthétisant la dérive autoritaire, le climat de peur et d’oppression en extension depuis l’arrivée à la magistrature suprême d’Abdelmadjid Tebboune (décembre 2019), l’ennemi juré et désigné de ce dernier se retrouvait cette fois vraiment dans l’œil du cyclone.
Durant les années 2020, 2021 et 2022, l’étau militaro-judiciaire avait durablement resserré le nœud gordien des tours de vis (ou tours de vice) coercitifs, compressé les espaces de la surveillance citoyenne, de sorte que les journalistes osant couvrir une manifestation, projeter un reportage compromettant un élu, enquêter sur des affaires de malversation, dénoncer la corruption ou un quelconque dysfonctionnement administratif et industriel tombèrent un à un sous le coup des chefs d’inculpation leur reprochant de vouloir (via l’utilisation ou non des moyens technologiques et comptes électroniques) « fomenter un complot incitant les citoyens à prendre les armes, mobiliser des personnes contre la sureté ou l’autorité de l’État, diffuser de fausses informations susceptibles d’attenter à l’ordre public, de provoquer la ségrégation et la haine dans la société, de porter atteinte aux intérêts du pays, à la sûreté et à l’unité nationales ou à l’intégrité du territoire ».
Poursuites et sanctions infondées se succédaient à un tel rythme que les dissidents politiques ou détenus d’opinion cohabitaient derrière les barreaux avec les prisonniers de droit commun.
Adepte des débats contradictoires et de la critique constructive, İhsane El-Kadi les rejoindra après son ultime analyse du 17 décembre 2022. İntitulée « Algérie : Affrontements feutrés au cœur du pouvoir », elle conjecturait que, n’envisageant pas de reproduire le processus d’autonomisation du modèle Bouteflika (particulièrement via le soutien financier des oligarques), la haute panier de l’ANP prenait soin de ne plus « reconstruire à l’identique le mécanisme de délégation de pouvoir au président de la république coopté dans l’urgence des évènements (et de) la déferlante populaire de 2019 ».
Rappelant le pouvoir quasi-patrimonial de l’État-major « sur le choix de l’incarnation présidentiel » (une sélection frontalement combattue par les hirakistes), le chroniqueur soulignait qu’il s’occupait de « l’inversion du rapport de force ».
Le locataire d’El Mouradia ayant d’ailleurs jusque-là « présenté tous les gages pour se cantonner dans un format différent de celui contre lequel s’est rebellé son défunt prédécesseur », le mensuel des gradés El Djeich formulait d’autant plus « un bilan dithyrambique de (ses) trois années » qu’il n’avait aucunement cherché à marcher sur les plates-bandes de la colline des Tagarins, à réduire leur « (…) option naturelle à la continuité », c’est-à-dire leur rôle de « pilier du pouvoir politique ou de dépositaire de la fonction présidentielle ».
Répondant parfaitement aux « tests de loyauté », le bien-fondé Tebboune bénéficiait, deux années avant l’échéance présidentielle du 07 septembre 2024, du « soutien de l’armée pour briguer un 2e mandat ».
İhsane El-Kadi estimait toutefois que ce feu vert opérationnel pouvait être contredit à cause d’une initiale accession au trône axée « (…) sur la répression du Hirak et le bâillonnement de l’expression et de l’activité politique », sur des « maltraitances et cas de tortures durant les gardes à vue », sur un appareil sécuritaro-judiciaire mobilisé à outrance pour tenir en laisse et en joue la population, sur un « État de siège permanent » accentuant sans relâche « la pression sur les Algériens ».
Leur concéder de la respiration démocratique pour « soulager les forces de sécurité et les tribunaux », voilà le message d’un homme doutant de la capacité du chef de l’État « à porter une telle perspective », à introduire du jeu et je à l’intérieur du champ politique. À ses yeux, l’absence de ces indispensables postulats ou réquisits risquait, « au moment de confirmer l’assentiment du second mandat », d’inquiéter des faiseurs de Roi curieusement dédouanés des étouffements post-Hirak.
En l’imputant au seul président encarté, l’éditorialiste commettait l’erreur de jugement à l’origine du couperet final. Ridiculisant le pion Tebboune, après une affirmation gageant de la récupération des 20 milliards de dollars repris à la « İssaba » (bande de prédateurs maffieux qui gravitaient autour de Bouteflika), le tweet du 23 décembre 2022 ne fut que le « pré-texte » autorisant opportunément les ordonnateurs du régime militaro-industriel à appliquer l’article 95 bis dont la charge discrétionnaire permettait de poursuivre et de condamner à dix années de cachot l’un des emblèmes de l’impulsion sociale réprouvant la cinquième reconduction tacite de Bouteflika.
En Algérie, le pouvoir prétendument bicéphale ne possède qu’un cerveau moteur, celui du corps militaire garant de la stabilité et du mode contraignant de gouvernance. L’incriminé El-Kadi désirait, sous couvert de la contribution citée plus haut, certes évaluer l’hypothèse du second adoubement mais ce sont bien des agents des renseignements intérieurs qui dépouilleront son agence d’Alger-centre et emporteront les objets ou éléments confisqués à l’intérieur de trois véhicules balisés.
Favorable au choix (en prévision de la Présidentielle d’abord fixée à décembre 2024) d’un candidat de consensus issu du Hirak, l’éditorialiste agaçait de plus en plus les pontes de la coordination nationale, lesquels inciteront leur candidat fétiche (Tebboune) à le traiter (le 24 février à la télévision) de khabardji (indic), soit de traître à la solde des Occidentaux.
Vilipendé avant même la tenue du procès prévu en première instance le dimanche 12 mars 2023, il tombait donc trois semaines plus tard sous la vindicte des articles 95 et 95 bis du Code pénal punissant « d’un emprisonnement de cinq à sept ans et d’une amende de 500.000 DA à 700.000 DA quiconque recevra des fonds, un don ou un avantage, par tout moyen, d’un État, d’une institution ou de tout autre organisme public ou privé ou de toute personne morale ou physique, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, pour accomplir ou inciter à accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l’État ».
Soumis à la loi inhérente à la réception de financements perçus de l’étranger, le fondateur et directeur d’ « İnterface Médias » était condamné, le dimanche 02 avril, à 05 ans d’enfermement, dont 03 fermes. Contraint à une sanction de 10 millions de DA et à un dédommagement d’un million de DA à verser au profit de l’autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV), il payait cash ses pertinents commentaires ou pieds de nez.
Titrant, « En Algérie, le duel inégal entre le président et le journaliste İhsane El-Kadi », le quotidien La Croix du 02 avril 2022 notait que l’ex-militant kabyle du « Printemps berbère » (avril 1981), avait, à 22 ans, déjà testé la prison d’El Harrach. Quarante-deux années plus tard, ce sexagénaire paraphait encore (le dimanche 26 mars 2023) la tribune « Les régimes du Grand Maghreb ne convergent que pour réprimer leurs peuples ».
Quatre jours plus tard (jeudi 30 mars 2023), Reporters sans frontières (RSF) remettait 13.000 enveloppes (signatures des pétitionnaires) à l’ambassade d’Algérie de Paris. Le jeudi 11 mai 2023, le Parlement européen mettait également l’accent sur son cas en adoptant la résolution C9-0242/2023 sur le respect des droits humains et la liberté de la presse en Algérie.
En conformité à l’article 144, paragraphe 5, et l’article 132, paragraphe 4, de son règlement intérieur, ses représentant demandaient la relâche immédiate et inconditionnelle du brimé rédacteur ainsi que de toutes les personnes (journalistes, défenseurs des droits de l’homme et syndicalistes) écrouées et inculpées pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression.
İls sommaient les autorités algériennes de mettre un terme à leur arrestation et séquestration, de respecter l’article 54 de la Constitution, de ne plus bloquer les organes d’investigation ainsi que les visas et accréditations des reporters étrangers, de s’aligner sur les normes internationales en matière de droits de l’homme, « en particulier sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que l’Algérie a ratifié ».
Malgré la vaste mobilisation, l’impassible Tebboune restait sourd aux doléances des diverses institutions (PE, RSF ou ONG) ou de la réaction de 10 intellectuels (Étienne Balibar, Joyce Blau, Noam Chomsky, Annie Ernaux, Elias Khoury, Abdelatif Laabi, Ken Loach, Achille Mbembe, Arundhati Roy, Youssef Seddik) l’interpellant le 30 mai 2023 par presse interposée. Dans cette tribune du Monde, ils s’inquiétaient de la situation sécuritaire et judiciaire en Algérie, de l’acharnement qu’y subissaient les voix discordantes souhaitant « rêver d’un véritable État de droit » et non du « vaste cachot qu’est en train de devenir (un pays) se referm(ant) comme un piège redoutable sur les opposants politiques».
Amaigri et affaibli par cinq mois de supplices, le dernier des Mohicans (İhsane El-Kadi) ne courbait cependant toujours pas l’échine devant un régime harceleur cherchant à le broyer, notamment en planifiant l’agonie de son entreprise ; non rémunérés, les 25 salariés se résigneront à abandonner la maintenance d’un site devenu inaccessible au moment où s’intensifiait le nettoyage des foyers résiduels du Hirak.
Trois semaines après la motion adoptée par le Parlement européen (dimanche 04 juin 2023), le parquet près la Cour d’Alger (tribunal de Sidi M’hamed) requérait 05 ans de prison à l’encontre du journaliste (peine maximale acquiescée en première instance par le délégué du ministère Public). En délibéré, le délit fut, le dimanche 18 juin 2023, alourdi à sept ans de prison dont cinq fermes (plus deux années de mise à l’épreuve).
La nouvelle vague de solidarité ne fera pas davantage bouger les lignes, ne fragilisera nullement la digue que constitue l’Agence officielle presse service (APS) missionnée en Algérie dans le souci de sonner la charge contre le Comité national pour la libération des détenus d’opinion, Reporters sans frontières (RSF) et le Parlement européen. Elle considérait sa résolution du jeudi 11 mai comme « un ramassis de contre-vérités et de faux jugements » démontrant l’intention répétée ou la « volonté obstinée de nuire à l’image de l’Algérie ».
Convoquant, en vertu de la sacrosainte souveraineté, la rhétorique de la dénégation, ces caisses de résonnance satellisées que sont les associations dites de la société civile, ou le Haut conseil de la jeunesse, exprimaient leurs indignations et évoquaient un ramassis d’allégations mensongères. Épuisé le 12 octobre 2023, le dernier recours devant la Cour suprême sonnait l’échec des différentes requêtes transmises en mains propres ou indirectement à Abdelmadjid Tebboune. Celle adressée le 3 mai 2024, à l’occasion de la célébration de la Journée internationale de la liberté de la presse, demeurera pareillement sans réponse.
Pensant que la pression internationale (médiatique et politique) aura induit plus de mal que de bien, aggravé la situation du plus célèbre prisonnier d’opinion, un collectif de personnalités « exclusivement algériennes » (Élias Zerhouni, Fellag, Hafid Derradji, Louisette İghilahriz, Ali Djerri, Noureddine Melikechi, Yasmina Khadra, Maïssa Bey et Kaouther Adimi) communiquait (le 13 janvier 2024 dans les colonnes du quotidien El Watan) une dépêche ouverte au président, le conjurait d’user de sa bonne grâce. Après la présentation d’usage, « Nous sommes des journalistes, artistes et intellectuels algériens », les neufs messagers plaçaient naïvement le destin d’İhsane El-Kadi entre les mains du principal calomniateur, lui écrivaient dans le souci « d’attirer (son) attention sur le sort (de cette) figure de proue, (d’)user de (ses) prérogatives pour lui accorder la grâce présidentielle, lui rendre sa liberté, lever le poids considérable qui pèse sur sa famille (…) ses proches (et) sur l’image de l’Algérie ».
Sans résultats probants, les appels à la mansuétude ou plaidoyers se métamorphosaient en vaines bouteilles jetées dans la mer des lettres mortes. Peu enclin à l’indulgence ou à élargir l’horizon des possibles, le nonchalant Tebboune préfère de loin une presse servile, ferme les yeux sur les formatages de procédures perverses et approuve la traque menée contre des activistes à absolument neutraliser.
Casser les opposants (en mesure de confiner à la portion congrue le taux de participation d’un scrutin joué d’avance), voilà la préoccupation majeure de la garde rapprochée du favori à sa propre succession.
Après un tour de manège électoral d’une vingtaine de jours, Tonton Tebboune a donc obtenu le pompon convoité sans même avoir eu besoin de se mettre debout sur son cheval de bois car la foire aux vanités reste en Algérie l’attraction phare de cette ubuesque fête foraine où les derviches tourneurs du haut commandement militaire assure la rotation du plateau circulaire qui donne la meilleure des assises à leur protégé.
Atteint de procrastination aigue, le septuagénaire totémique de la « Nouvelle Algérie » corsetée et cramoisie a endossé le costume de l’automate vitrine affichant l’image affective et statique de la condescendante bonhomie.
Point Zéro de la circonvolution labyrinthique et de la violence symbolique, son paternalisme paravent sert à adoucir les agissements malsains des agents de l’État profond disposés à borner la circulation des idées innovantes et agissantes, à assécher les lieux où elles peuvent fleurir hors des sentiers battus de la mortifère restriction.
Le plébiscité à 95% rempile et empile d’extravagantes promesses assertant (sans doute dans l’optique d’amadouer les argentiers du BRİCS) que l’Algérie des généraux deviendra « la deuxième économie en Afrique ».
Sans crédibilité apparente, ses affirmations ne valent que pour celles et ceux mentalement disposés à les valider. Le vétéran du théâtre, Slimane Benaïssa, fait en apparence partie intégrante de ces inféodés croyants, surtout depuis le samedi 17 août 2019, jour où il complétait la liste des membres composant l’İnstance de dialogue et de médiation (installée le 25 juillet et coordonnée par l’encarté Karim Younes).
Logeant au cœur du « Comité des sages » (un conseil consultatif), donc du système, le dramaturge avait lui-même posté, le 4 juillet 2016, une lettre ouverte à Abdelaziz Bouteflika, missive réclamant des explications sur les tenants de l’incarcération de son fils Medhi (producteur cloîtré fin juin 2016 à cause de l’occupation de locaux sous scellés).
Désarmé, désemparé et intrigué, ne sachant à quel saint se vouer, trouvant que la sanction ne méritait pas une privation de liberté, il s’adressait à l’époque à un impotent atteint de surcroît d’une surdité identique à celle d’Abdelmadjid Tebboune.
Une fois la progéniture blanchie (peut-être grâce à une intervention de la sphère décisionnelle), l’auteur de Boualem zid el gouddam (Boualem va de l’avant-1974) se fourvoyait au milieu d’une instance montée de toute pièce pour préserver les acquis de la « Famille révolutionnaire », s’impliquait en alléguant vouloir trouver une solution à la crise, en disant craindre « une rupture avec les fondements de la Constitution », en trouvant « l’idée de transition catastrophique », en signalant vouloir éviter le marasme libyen et maintenir jusqu’au bout « le caractère pacifique de la révolte (…) c’est-à-dire jusqu’à l’élection du nouveau président de la République qui se chargera de tout modifier (…) » (Slimane Benaïssa, in TSA, 21 août. 2019).
Cinq ans plus tard, celui qui se considérait « un relais, un trait d’union, entre le Hirak, qui représente la voix du peuple, et le pouvoir » (İbidem) aura contribué à planifier la feuille de route menant Tebboune au sommet du pouvoir. Passablement persuadé qu’en Algérie « Ce sont les politiques qui décident du sens que doit avoir et prendre une réflexion (…) », que les intellectuels « ont été contraints (…) d’être au service du pouvoir (…), de justifier toutes les aberrations politiques commises (…) en produisant toute la littérature en faveur de la mission pour laquelle ils ont été engagés » (Slimane Benaïssa, in El Watan, 30 janv. 2014), le compromis reconnaissait en 2016 « qu’au sein d’une jeunesse algérienne historiquement détachée de la lutte de libération, l’échelle des valeurs avait changé ».
Chez eux, poursuivait-il, « (…), cette guerre c’est du passé, c’était il y a un siècle. Non parce qu’ils la méprisent, mais parce qu’ils sont inscrits dans une autre notion de temps. Nous n’avons pas les mêmes horloges dans nos têtes. İls (…) parlent une autre langue que nous » (Slimane Benaïssa, in Liberté, 04 juillet 2016).
Né trois années avant l’İndépendance, İhsane El-Kadi a su, comme eux, se départir des formatages de la martyrologie ambiante alors que, venu exhiber en Algérie, dans le cadre du 70e anniversaire du déclenchement de la révolution armée, les faciès de moudjahidate ou moudjahid de la Casbah d’Alger (Hassiba Ben Bouali, Djamila Bouhired, Djamila Amrane et Ali La Pointe), Mustapha Boutadjine surfe sur le paradigme de renouveau politico-culturel dans ou par l’authenticité révolutionne, arrivé à ce jour à son paroxysme.
À qui s’adresse donc son ami Benaïssa dans l’éditorial de la monstration Les résistants (montée avec l’appui de Chaouki Adjali et Tarik Ouamer-Ali) lorsqu’il vante le charisme militant de Nelson Mandela, Frantz Fanon, Fidel Castro, Che Guevara ou Nasser, sanctifie des « voix puissantes issues du parcours révolutionnaire de l’Algérie » ?
Certainement pas au franc-tireur de Maghreb émergent envers lequel l’enfant du quartier de La Glacière (Boutadjine) semble n’avoir aucun égard. C’est pourtant bien son portrait-mosaïque que l’exgraphiste du journal L’Humanité devrait imposer ou apposer s’il veut vraiment démontrer que créer des grands formats à partir de bouts de papier coupés sur des magazines sert aussi à témoigner d’une « révolte contre les injustices», à se situer in vivo en phase avec les néoopprimés de la dictature in vitro.
Ne pouvant plus communiquer directement avec ses avocats, İhsane El-Kadi a des visites familiales toutes les deux semaines, reçoit du courrier à dose homéopathique et évite la déprime en s’estimant chanceux de ne pas être, au bout du bout, totalement invisible.
Les nondits et la duplicité de la plupart des intellectuels algériens n’augurent malheureusement pas de changements notablement démocratiques dans le pays de la supposée « Mecque Révolutionnaire » (référence ici aux propos décalés ou anachroniques de Rima Hassan, la Palestinienne de la France insoumise).
Saadi-Leray Farid, sociologue de l’art et de la culture