6 novembre 2024
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Ingérences étrangères oui : mais lesquelles ? s’interroge Saïd Sadi

TRIBUNE

Ingérences étrangères oui : mais lesquelles ? s’interroge Saïd Sadi

Dans une tribune mise en ligne sur sa page Facebook, Saïd Sadi revient sur la contre-révolution et analyse la dernière sortie de Moncef Merzouki, président de la tunisie post-Ben Ali. Lire ce qu’écrit Saïd Sadi.

« Le raidissement du système ne laisse aucun autre choix que la poursuite résolue du combat unitaire et pacifique. L’autisme des dirigeants contraste avec l’intérêt que suscite le mouvement populaire auprès de notre environnement immédiat. 

Pour exemple, la dernière réaction de Moncef Marzouki mérite attention.

Fidèle à un tempérament éruptif, l’ancien président tunisien, qui a assuré la transition après la chute du président Ben Ali, vient de publier une contribution incisive sur sa page facebook. Il faut espérer que cette sortie, venant d’un dirigeant qui a exercé les plus éminentes charges, alimente le débat dans cette période si sensible pour la région nord-africaine, notamment ses trois pays centraux que sont le Maroc, l’Algérie et la Tunisie.

On peut y lire que le régime de Bouteflika a soutenu la contre-révolution quand, après la tragédie de Sidi Bouzid, le peuple tunisien avait décidé d’en finir avec un régime despotique qui l’avait asservi et saigné pendant près d’un quart de siècle.

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L’ancien opposant de Ben Ali révèle aussi que seuls deux pays, la Turquie et le Qatar, ont apporté leur soutien à la révolution des jasmins avant de signaler que les Emirats Arabes Unis, qui ont contribué à la dislocation de la Libye, ont joué, et jouent toujours, un rôle des plus troubles dans la région.

Moncef Marzouki est médecin psychiatre. Nous nous sommes rencontrés au début des années 80 dans des activités d’Amnesty international où nous avions animé des conférences et travaillé dans divers ateliers sur les dérives et tentations qui peuvent entraîner un praticien détenu dans des compromissions éthiques graves s’il n’est pas solidement formé. Ce rappel est destiné à témoigner que si des choses peuvent être dites sur Marzouki, et les Tunisiens ne s’en sont pas privés, sa rigueur intellectuelle reste difficilement contestable. Ses révélations peuvent donc être considérées comme factuellement fiables.

On se souvient qu’après la chute de Ben Ali, Bouteflika, manipulateur invétéré, avait tenté de rattraper ses intrigues en recevant l’islamiste Ghannouchi avant même le président en exercice… un certain Marzouki. Faute d’avoir sauvé le roi de Carthage et sa sulfureuse épouse, il lui fallait travailler à renforcer l’influence des frères musulmans dans le nouveau pouvoir pour entraver l’alternative démocratique pour laquelle s’était soulevé le peuple tunisien.

Le pouvoir algérien qui a fait de la non-ingérence son crédo diplomatique a donc soutenu des forces contre-révolutionnaires (une forme de déclaration de guerre aux peuples) dans un pays proche et frère sans avoir informé les citoyens ni même son parlement croupion.

Combien de fois des puissances étrangères ou des factions antidémocratiques ont-elles été appuyées par Alger contre leurs populations à l’insu des Algériens, uniquement pour étouffer les contagions progressistes ?
Inversement, combien de puissances étrangères ont travaillé et travaillent encore chez nous pour freiner ou empêcher l’émergence d’un pouvoir transparent conforme à la volonté du peuple ?

Moncef Marzouki qui n’a pas toujours su résister aux accointances tacticiennes signale, à juste titre, que les Emirats Arabes Unis, cherchent à établir, souvent avec l’assentiment saoudien, une forme d’annexion doctrinale sur le sous-continent nord-africain, perçu, à raison, comme une matrice démocratique alternative pouvant faire pièce à un Moyen-Orient idéologiquement hégémonique. Pour ces monarchies, les référents identitaires singuliers comme les virtualités démocratiques de notre région représentent au mieux un projet antinomique de leurs conceptions sociétales au pire un poison civilisationnel qu’il faut neutraliser sans état d’âme.

Il omet cependant de dire que les soutiens turc et qatari ne sont pas aussi désintéressés que peut le laisser entendre son écrit. Aujourd’hui, les deux courants tunisiens qui se disputent les faveurs de l’internationale des frères musulmans et qui ralentissent, autant qu’ils le peuvent, l’accomplissement de la révolution citoyenne, sont directement perfusés par Ankara et Doha.

Par ailleurs, son panarabisme qui a progressivement mué en mystique arabo-islamique, brouille la lucidité, jadis remarquable, de celui qui avait écrit un retentissant « Arabes si vous parliez ». Pour Moncef Marzouki, « la révolution démocratique pacifique algérienne » doit être soutenue car elle sera un souffle accélérateur pour la révolution tunisienne et, plus généralement, ajoute-il, elle aura un effet d’entraînement libérateur sur toute la région. Cette louable constatation est aussi amortie par les postures post-coloniales qui justifient ce soutien par le fait que l’Algérie va se débarrasser « du colonialisme et de l’arbitraire ». Exit l’intégrisme. Nos pays ne seraient donc en rien menacés par un fondamentalisme tentaculaire.

Cependant, malgré son caractère partisan voire, par certains aspects, sectaire, l’intervention de Marzouki a le mérite de soulever implicitement un problème de fond qui impacte directement la révolution algérienne et nos deux voisins.

Grace à la permanence de la mobilisation citoyenne, où la femme joue un rôle fondamental, la Tunisie lutte, avec une opiniâtreté qui force le respect, pour finaliser sa révolution démocratique dans des environnements sécuritaire et économique particulièrement précaires. Le Maroc qui peine à accomplir sa mutation vers la monarchie parlementaire promise au lendemain de la disparition de Hassan II est englué dans une crise rifaine qui en dit long sur les stigmates de ses faux départs au lendemain de l’indépendance. Enfin, l’Algérie démocratique et sociale joue actuellement son destin historique face à un régime sourd. Et c’est son grand mérite de n’avoir demandé aucune aide et rejeté toute tutelle. De ce point de vue, elle a emprunté ce qu’il y a de meilleur à la révolution qui a libéré le pays et qui a déclaré n’être inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni à Washington. Il y a des filiations qu’il faut savoir assumer et honorer.

Devant ces contraintes géopolitiques, économiques, sociales et culturelles, les régimes en place, autoritaires ou autocratiques, se suppléent sans vergogne contre leur peuple. De leurs côtés, les factions islamistes tissent des réseaux quasi-mafieux avec la bénédiction de puissances étrangères dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles ne sont pas des étalons de démocratie. Les courants démocratiques nord-africains, eux, sont interdits de contacts. Pire, l’autocensure les a convaincus que leur relation était incestueuse.

Pourtant, les seules options politiques et historiques qui peuvent revendiquer un minimum de légitimité sont celles qui œuvrent à un rassemblement démocratique. 
Aujourd’hui, la révolution algérienne porte spontanément l’emblème nord-africain dans la rue. Il y a quelques semaines, les foules du stade de Casablanca ont crié leur soutien à leurs frères de l’est. Depuis février, les intellectuels tunisiens suivent notre combat avec autant de ferveur et de fébrilité que s’il y allait de leur propre destin. 
Enfin, il y a une vingtaine d’années de cela un ami tunisien m’avait remis le document qui avait sanctionné la réunion de Tanger organisée en avril 58 par les trois mouvements nationalistes (Destour, FLN et Istiqlal alors uniques représentants des trois nations). Je l’ai exhibé à chaque fois qu’une opportunité géostratégique en faveur de la construction démocratique régionale se présentait dans notre contrée. Malgré les inévitables pesanteurs inhérentes à l’époque (guerre froide, décolonisation) la finalité générale des débats mérite toujours d’être rappelée : il y est stipulé que les libérations des trois pays n’ont de sens que si elles se parachèvent par la construction d’une fédération des Etats nord-africains.
La révolution en cours gagnerait à ne pas perdre de vue la dimension régionale de sa lutte. C’est l’une des conditions de son succès.

Le 22 mai 2019
Said SADI

 

 




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