J’avais deux ans lorsque le bip bip de Spoutnik parvint à la terre, sept ans pour l’indépendance puis adolescent avec le premier pas de l’humanité sur la Lune de Neil Armstrong. Il n’est pas rare de faire coïncider une vie, même encore inconsciente, avec des évènements qui marquent l’histoire. Le 19 novembre 1977, ce fut le cas, la salle de télévision de la résidence universitaire était pleine à craquer pour voir Anouar El Sadate fouler le tarmac de l’aéroport de Tel Aviv.
Dans notre enthousiasme, nous ne pouvions imaginer que ce pas historique était le premier d’un long périple vers nulle part sinon vers l’injustice et la douleur, ce qu’avaient toujours supporté les Palestiniens.
Les accords entre Israël et les Palestiniens ont ponctué notre vie en s’égrainant à travers les décennies. Plus personne ne semble croire dans notre génération que cela s’arrêterait enfin. C’est même devenu une petite musique d’ambiance en arrière fond de notre existence. Israël a toujours trahi ses engagements et semble vouloir à jamais se complaindre des dangers qui menaceraient son existence, ceux qu’elle a tout fait pour créer et en alimenter la perpétuation.
Quand la cause palestinienne sert l’autoritarisme des régimes arabes
J’ai soixante-huit ans maintenant et j’ai l’impression que ce conflit n’a jamais quitté les actualités de ce monde. Ses moments récurrents, ceux de l’espoir et des signatures de plans de paix sont comme des épisodes d’une série de télévision interminable, de saison en saison. Sauf qu’il s’agit d’une réalité et non d’une fiction, les larmes et le sang ne sont pas ceux d’une tragédie de théâtre
Les conflits dans la région datent depuis la nuit des temps dans un Moyen-Orient qui porte dans la tradition monothéiste la genèse de l’histoire humaine. Faut-il se résoudre à conclure qu’il a été et sera éternellement aussi complexe que humanité ? Faut-il se satisfaire qu’Israël s’acharne à vouloir attiser le feu et maintenir cette légende qui avait fait dire au général de Gaulle «Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples ».
Le conflit oppose deux peuples mais un seul subit le châtiment d’une constante trahison de l’autre. L’histoire de ce drame est celui d’un long parcours de reniement de la parole donnée par Israël. Les accords de paix se succèdent et les Palestiniens sont frappés d’une condamnation permanente où tout est à refaire.
Un conflit à deux, un châtiment pour un seul
Si nous nous plaçons uniquement dans l’analyse du conflit, nous trouvons très facilement la correspondance mythologique grecque car il porte en lui deux caractères, le châtiment et la tâche interminable qu’il exige.
La première image est le mythe du « rocher de Sisyphe » dans lequel la colère des dieux de l’Olympe le condamnèrent à grimper au sommet d’une montagne en faisant rouler un très gros rocher. Mais arrivé à ce sommet, Sisyphe ne pouvait trouver un lieu où le bloquer et celui-ci redescendait et l’obligeait à reprendre éternellement l’effort.
La seconde métaphore est celle du « tonneau des Danaïdes » où les cinquante filles du roi Danaos furent condamnées aux Enfers en remplissant éternellement des jarres percées.
On voit dans ces deux exemples la métaphore en correspondance avec la répétition des traités de paix entre les deux peuples comme châtiment aux Palestiniens. Toujours trahis par la parole d’Israël, ils n’ont à chaque fois aucune autre solution que de reprendre espoir avec le traité suivant qui sera lui aussi trahi par sa non-application et ainsi de suite.
Sauf que si nous nous plaçons du point de vue des protagonistes et non plus de celui des traités de paix, la métaphore trouve ses limites. Car non seulement les Palestiniens ne sont pas responsables du conflit mais sont obligés d’en assumer seuls le châtiment injuste, celui de Sisyphe ou des sœurs Danaïdes.
Mais d’où vient cette malédiction qui semble condamner les Palestiniens au châtiment éternel infligé par Israël ?
L’accord Sykes-Picot, la genèse du mal
Le secret dissimule souvent la préparation d’une action malhonnête car son ennemi est la transparence. Tout part du fameux accord secret Sykes-Picot en 1916, nom de deux diplomates, français et Britannique.
L’intention était le partage futur des vestiges de l’Empire ottoman qui, effectivement, connaîtra sa chute après la première guerre mondiale. L’accord fut officialisé « ouvertement » en 1920 par la conférence de San Remo en Italie.
Ainsi les grandes puissances du moment ont fait ce qu’elles avait toujours fait pour le partage territorial en Afrique et feront plus tard avec le traité de Yalta en 1945 qui redessina leurs zones d’influence. La réunion de Yalta fut secrète comme celle du traité Sykes-Picot.
Dès le départ, cette histoire s’est faite sur le dos des Palestiniens car dans cette affaire ils étaient chose insignifiante. Ces partages avaient un but colonial par découpage territorial, le peuple palestinien ne comptait pas.
La succession de conflits locaux ont eu pour conséquence de multiples redécoupages. Le territoire des Palestinien se réduisant de plus en plus en peau de chagrin. Mais le plus notoire est que ce qui ne devait être au départ qu’une concession pour l’établissement d’une colonie juive est devenue trois décennies plus tard un État.
Dans cette affaire, le peuple Palestinien a vu non seulement son territoire historique fondre mais il lui a toujours été interdit de fonder un État souverain à son tour sur la parcelle qu’il lui restait.
C’est dire si les efforts des Palestiniens ont été considérables pour affronter l’obstination d’Israël à revendiquer un droit exclusif sur cette terre par les juifs qui considèrent être la leur depuis quatre mille ans et qu’ils en auraient été chassés.
Si tous les peuples de la terre se mettaient à vouloir récupérer ce qui a été leur territoire (ou supposé l’être) il y a quatre mille ans, nous serions condamnés à une planète en explosion guerrière permanente.
Pour Israël, le droit ne se conçoit que pour ses intérêts
Le premier pas avait pourtant été fait par la Commission Peel en 1939. Le Livre Blanc de Malcolm Mac Donald propose un gouvernement mixte arabo-juif avec une attribution des terres à chaque partie. Une proposition qui déclenche cette idée des deux États même si elle fut rejetée et restée lettre morte.
La véritable concrétisation de l’idée de deux souverainetés viendra en 1947 avec la résolution 181 de l’ONU qui propose de partager la Palestine en deux États, l’un juif et l’autre arabe avec un régime international pour Jérusalem.
Mais les résolutions de la communauté internationale n’ont jamais été considérées par Israël comme une question de droit qui s’impose à lui. En réponse Israël déclare son indépendance en 1948 en créant un État qui va prendre le contrôle d’environ trois quart du territoire de la Palestine. Pour Israël, le droit n’est valable que lorsqu’il le réclame à son avantage.
Plus de la moitié de la population palestinienne n’a eu d’autre choix que l’exil. L’Égypte et la Jordanie se partagèrent le contrôle de ce qui reste en territoire de la partie arabe attribuée par la résolution 181.
Puis en 1967, suite à un conflit armé gagné à son avantage, Israël s’arroge le droit d’annexer ces territoires, soit Gaza, la Cisjordanie et la partie sensible qu’est Jérusalem-Est. Un second exode massif s’en est suivi.
La résolution 242 du Conseil de sécurité propose à son tour une paix « durable et juste » par le retrait des territoires occupés et le retour des exilés. Puis vint ensuite la résolution 338 en 1973 du Conseil de sécurité qui demande aux parties le début de négociations.
En 1974, l’Assemblée générale de l’ONU confirme les droits inaliénables du peuple palestinien à l’autodétermination et invite l’OLP à participer aux travaux de cette Assemblée en lui attribuant la qualité d’observateur.
Israël a toujours rejeté avec mépris le droit international pas plus qu’elle ne respectera les accords signés de sa mains, ils sont pléthoriques. Cet article ne les énumérera pas car ils ont toujours la même issue, la trahison de la parole donnée.
En ce moment une barbarie s’abat sur la population de Gaza et Israël continue avec arrogance à ignorer le droit international humanitaire.
L’État d’Israël, la bonne conscience de l’Europe
Israël a toujours mis en avant la souffrance historique du peuple juif et l’épouvantable épisode de l’holocauste. Ce sont des tragédies humaines impossible à renier mais à force de mettre en avant ce douloureux passé ce pays a fini par en faire une excuse, un paravent qui protège toutes ses fautes. On ne peut plus rien dire de la politique israélienne sans être traité d’antisémite. Israël va donc perpétuellement en faire un chantage affectif pour quiconque ose d’un seul mouvement des lèvres contester sa politique de colonisation et guerrière.
L’Europe s’est payé une bonne conscience à bon compte sur le dos des Palestiniens, par deux fois. La première avec la très célèbre déclaration de Lord Arthur Balfour, secrétaire britannique aux Affaires étrangères. Il informe Lord Lionel Rothschild, financier du mouvement sioniste, que le gouvernement Britannique envisage son appui à l’établissement en Palestine d’un foyer national juif.
La seconde, beaucoup plus importante est le lendemain du génocide envers les juifs perpétré par les nazis mais avec des appuis collaborationnistes de toute part dont le plus important est celui du gouvernement de Vichy.
Le peuple palestinien est-il condamné à vie à subir ce chantage d’une histoire qui n’est pas la sienne, en vécu et en responsabilité ? Est-il condamné à subir les conséquences de ce rachat de bonne conscience par l’Europe ?
Boumédiene Sid Lakhdar, Enseignant retraité