Je ne sais pas ce qui vous est reproché mais vous êtes signalé comme « élément perturbateur qui doit être surveillé de près ». C’est ce qu’indique votre fiche signalétique.
Si ce n’était la gravité de la situation, telle signalétique prêterait à rire. Lui qui a fait le collège de la Casbah d’Alger et le lycée Émir Abdelkader, en premier de la classe, avec une note de discipline jamais inférieure à 15/20, voilà qu’un pouvoir de brigands le désigne comme agitateur. C’est le monde à l’envers.
– Que va-t-il se passer alors ? Vous me rendez mon passeport ?
– Non ! Le passeport vous est confisqué et je vous prie de déposer vos autres papiers : passeport français, carte d’identité …
– Mais…
– Il n’y a pas de mais qui tienne, vous me les laissez obligeamment ou je fais appel à des costauds pour vous les enlever de force, lui dit-il, se faisant désagréable et menaçant.
Vaincu, Ibrahim retire son passeport et sa carte d’identité français de sa sacoche et les lui remet.
– Les voici ! Je fais quoi maintenant ?
– Vous retournez chez vous.
– Chez moi, c’est Paris depuis quarante ans, Monsieur !
– Ah non ! Pour nous, c’est votre lieu de naissance, en Haute Kabylie. Mais si vous avez une autre adresse à nous communiquer, vous avez tout intérêt à ce qu’elle soit juste pour que l’on vous retrouve très vite, dès que la police aura mené son enquête. Vous pouvez me la donner pour la transmettre aux services chargés de l’instruction. Ça nous évitera de perdre du temps pour vous chercher.
La machine à broyer du citoyen est en route. Abattu, Ibrahim reste assis pendant de longues minutes. Il revient à la réalité quand il s’entend dire :
– Monsieur, j’en ai fini avec vous, vous pouvez disposer.
Sans quelconques salamalecs complémentaires, Ibrahim sort et s’en va, à pas incertains, vers son destin…(à suivre)
Kacem Madani