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dimanche 22 juin 2025
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John Steinbeck en ses trois entrées (II)

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Le monde de Steinbeck en ses trois entrées

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2. Les Raisins de la colère. Dans la fin des années 60’ puis du début des années 70’, avec la chaine nationale unique, nous avions droit aux séries mondiales hebdomadaires et aux rediffusions annuelles de films. 

Pour Dallas, l’Algérie était divisée en deux clans, les  admirateurs de la sympathique Pamela et ceux de  la méchante alcoolique, Sue Ellen (ne le répétez pas, c’était ma préférée). Puis il y avait la séquence politique avec le film de Costa Gravas, Z, abonné à la télévision. Et pour les flots de larmes, c’était la rediffusion du film indien, Les Bracelets d’or

Et nous voilà dans notre sujet, une des rediffusions majeures, un chef-d’œuvre mondial, l’adaptation du roman Les raisins de la colère de John Steinbeck. Le noir et blanc de cette époque sublimait davantage l’effet de ce film que pas un seul algérien ne pouvait prétendre ne pas connaître.

Dans le roman dit social que nous avions appris à l’école figuraient en haut de la liste des œuvres classiques comme ceux d’Émile Zola avec Germinal et de Victor Hugo avec Les Misérables. Pour la période plus contemporaine, Les Raisins de la colère était inévitablement dans les lectures conseillées ou obligatoires.

Dans un premier volet de la série, j’avais présenté un autre chef-d’œuvre du romancier (y en a-t-il un qui ne le soit pas), Des souris et des hommes. C’est l’une des trois entrées dans le monde de Steinbeck (c’est une opinion personnelle, pas celle d’une fiche de lecture scolaire).

Un rappel, Steinbeck est le romancier de la Grande dépression économique des années trente qui avait dévasté les gens humbles, particulièrement ceux de la campagne. Dans Des souris et des hommes, la crise n’était que le fond du récit qu’on devinait mais qui n’était jamais évoquée. Il s’agissait pour Steinbeck de trouver un angle d’approche très suggestif, celui d’un simple d’esprit. Quoi de plus évoquant que d’aborder la vérité sociale avec un personnage qui ne pouvait percevoir le sordide de la situation. Lennie, le simple d’esprit, était l’humanité face à la violence du monde.

Dans Les raisins de la colère l’immersion dans la réalité sociale de la grande dépression américaine est clairement décrite et assumée. C’est elle qui est le personnage principal du roman. Elle sera racontée à travers la famille Joad qui fuit la misère suite à la catastrophe d’une tempête de poussière, une représentation symbolique du malheureux destin qui s’abat sur cette famille.

Steinbeck y rajoute la saisie bancaire qui va les chasser de leur terre. Le décor est planté, au drame général de la crise se greffe l’avidité du monde financier. On sait combien à cette époque il fut l’un des grands responsables. L’auteur américain est dans ce roman réellement dans la critique d’un capitalisme sans limite dans son aveuglement.

Et voilà que la famille Joad, des métayers de la profonde Amérique, qui commencent un long périple à travers les routes pour atteindre la Californie. La terre promise où, pensaient-ils, ils avaient une chance de retrouver, travail, dignité et prospérité. La migration vers l’Ouest, une marque historique du peuple américain, dans sa réalité comme dans son mythe.

Dans ce long voyage parsemé d’épisodes de luttes contre la fatalité, Steinbeck revient à des descriptions singulières à travers chaque membre de la famille, comme dans le roman Des souris et des hommes. Le roman est donc la superposition des caractères humains individuels plongés dans la misère et la description du drame général de la grande crise pour tous les démunis.

Comme on le supposera dès le commencement du long voyage, la déception est lourde à l’arrivée. La Californie n’est pas l’Eldorado fantasmé mais une terre qui n’épargnait pas les populations en masse qui étaient venus le rechercher. 

Cette terre n’était pas le paradis du miel qui coule des arbres et des torrents de rivières qui charrient la richesse pour des plantations d’agrumes, une image si incrustée dans les esprits.

Par cette longue épopée, si le lecteur continuait à douter de l’engagement des idées de Steinbeck dans ce roman, il en aura la certitude dans la lecture des dernières phrases prononcées par Tom Joad, le plus écorché vif des enfants, celui qui refuse la fatalité en voulant se révolter. 

Sortant de prison, il veut continuer la lutte, celle des pauvres gens opprimés. Ces dernières paroles forment l’une des plus célèbres anaphores par « I’ll be there » (je serai là). Certains reconnaitront les paroles de la chanson de Mariah Carey mais c’est sans aucune analogie.

« « Je serai partout dans l’ombre. Je serai partout où tu seras. Partout où il y aura une bagarre pour que les gens puissent manger. Je serai là … 

Partout où il y aura un flic qui frappera un gars je serai là. Je serai là où les types gueulent quand ils deviennent enragés. 

Et je serai là quand les gosses rient quand ils ont faim et qu’ils savent que le souper est prêt. Et quand les gens mangeront les choses qu’ils font pousser et vivront dans les maisons qu’ils construisent. Je serai là aussi ».

Publié en 1939 ce mythique roman lui vaudra le Prix Pulitzer en 1940 puis pour l’ensemble de son œuvre, l’auteur recevra le Prix Nobel de littérature en 1962. Mais paradoxalement, c’est à partir cet instant que John Steinbeck comprendra qu’il est rattrapé, lui aussi, par l’injustice de ce monde.

Si les lecteurs de tous les pays de ce monde reconnaîtront et s’approprieront ses chefs-d’œuvre, il tombe sous le feu d’une critique foudroyante des bien-pensants, intellectuels de la critique  littéraire de salon.

La principale critique était celle d’avoir été un écrivain d’un temps révolu, plus dans les désirs de lecture de la jeunesse. John Steinbeck, selon eux, n’avait plus écrit de roman depuis longtemps avant le Prix Nobel et ses œuvres se sont figées dans l’époque de la Grande dépression. D’autres critiques l’accableront mais il serait fastidieux d’en faire état dans cet article.

Il est vrai que John Steinbeck n’avait pas connu un aussi grand engouement des générations suivantes de jeunes, surtout dans son propre pays. Mais ce sublime romancier aura sa revanche car la critique facile sera submergée par son entrée ultérieure dans le Panthéon des grands. Il est certain qu’il n’est pas prêt d’en être délogé.

Bon, monsieur Steinbeck, j’ai tout de même une toute petite remarque à vous faire. Imaginez l’effroi dans le visage du jeune collégien puis lycéen que j’avais été lorsqu’il avait été mis en face d’un pavé aussi lourd que les devoirs d’une année. J’avais eu des sueurs froides, comme pour Les Misérables de Victor Hugo qui, lui, avait dépassé le plafond avec trois tomes qui avaient chacun l’épaisseur d’une brique d’un maçon. Zola, avec son équivalent dans le roman social, Germinal, avait été plus miséricordieux pour les jeunes, du moins en comparaison.

Mais je vous pardonne car le bonheur de lecture que vous m’avez donné et que vous me donnez encore depuis n’a pas de limite, ni dans le temps consacré, ni dans le plaisir savouré, ni dans la réflexion qui forme les esprits et les citoyens libres.

Boumediene Sid Lakhdar

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