23 novembre 2024
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Kabylie : il ne faut pas simplement lui octroyer des droits, il faut l’aimer

TRIBUNE

Kabylie : il ne faut pas simplement lui octroyer des droits, il faut l’aimer

Lorsque des Algériens brandissent le drapeau qui est l’emblème berbère, et qu’on les incarcère, c’est qu’il y a deux interrogations. Pourquoi en sont-ils arrivés à le brandir avec rage alors que ce devrait être en tous moments de joie ? Et pourquoi en est-on arrivé à justifier l’intolérable consistant à les incarcérer alors qu’ils affirment une part de l’identité algérienne ? 

Il y a deux catégories de positions face à la question de la fracture identitaire nationale. Celle qui, selon ses partisans, évite de mettre de l’huile sur le feu, et celle qui regarde le problème en face depuis cinquante ans.

J’avais résolu, dès mon jeune âge, d’affronter la réalité dans ce qu’elle est et non dans l’idéalisation nationaliste qui nous a menés droit dans le mur pour bien d’autres choses également que la fracture identitaire.

Il faut être sourd, muet et inconscient pour ne pas lire correctement les écrits, écouter les discours et conversations et percevoir les regards lorsqu’il s’agit de l’identité linguistique et culturelle.

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Tout le reste est hypocrisie, de celle des sourires, embrassades et youyous dans les mariages où les rancœurs font beaucoup plus de bruit que la musique, pourtant à déchirer les tympans. J’avais effectivement tendance à ne voir et entendre que ce qui était caché derrière le bruit et les épanchements. Et plus il était fort pour camoufler le reste, plus ce reste était grossièrement audible autant que visible.

Eh bien, c’est pareil pour le rapport entre la Kabylie et les autres régions. Tout va bien, nous sommes tous des Algériens et ainsi de suite, dit le bruit qui camoufle le reste.

Et à chaque fois, par périodes, c’est la même chose, une grosse irruption de colère, des manifestations et de la répression. Jusqu’à ce qu’on se dise de nouveau qu’on s’aime, qu’on est des frères et ainsi de suite.

Et puis l’histoire, un jour, nous rappellera à son souvenir. Elle n’aime pas les fracture et a cette fâcheuse tendance à les élargir comme le fait le temps avec sa pluie, son vent, ses gelées et ses tremblements de terre.

C’est à l’humain de colmater ces fractures pour éviter les ruptures irréparables, pas à la croyance à je ne sais quelle méthode Coué du nationalisme béat. Les lendemains de cette méthode sont toujours lourds et la gueule de bois douloureuse.

Aimer la Kabylie, ce n’est pas seulement lui accorder le droit d’avoir des radios, des médias et l’inscription de la langue dans la constitution, il faut l’aimer.

Et cela est beaucoup plus difficile. Par aimer, je n’entends pas le fait d’aimer la beauté de la région, ses montagnes, ses villes et ses bords de mer. C’est accepter la différence et lui permettre de brandir fièrement qu’elle est, elle aussi, une part identitaire et officielle de l’Algérie.

Il faut l’aimer du plus profond de soi et pas seulement comme une identité exotique à qui on demande de nous faire un numéro avec l’accent de Kaci Tizi Ouzou, de faire du couscous baignée d’huile ou de nous exécuter une danse locale avec ses robes traditionnelles.

Aimer, c’est affronter une différence, entrer dans un monde qui peut vous faire hésiter parce que vous ne le connaissez pas, on ne vous l’a pas appris sinon par des clichés, souvent condescendants ou proprement inacceptables.

Aimer c’est évoquer la « fourchette » uniquement pour partager un bon repas en rigolant plus fort que des adolescents, et non pour mépriser et insulter avec cette image déplorable.

Aimer, c’est savoir dire qu’on n’est pas sensible à tel ou tel aspect de la différence. Il n’y a rien de plus hypocrite à avoir une unanimité en tout. C’est le fait de ceux qui ne s’aiment pas et qui sont trop polis pour le montrer.

Il faut le dire comme on le dit, sans gêne, à ceux qui vous sont proches. Et la Kabylie n’est pas seulement proche, elle est nous.

Mais il faut également la persuader, droit dans les yeux et sans aucune hésitation, qu’Oran donnera une raclée à la JSK au prochain match. Et qu’on n’est pas intimidé par les champions du Soudan. Faut pas exagérer, même l’amour a ses limites.

Tout ceci ne sont, bien entendu, que des paroles si on n’y ajoute pas des résolutions fermes et pas de façade qui sont inutiles, car elles ne feraient pas un barrage suffisant lorsque l’histoire viendra nous rappeler à ses souvenirs.

Et, personnellement, si je ne peux intermédier pour l’amour des personnes, je peux au moins exposer mon sentiment sur deux propositions qui me semblent indispensables.

Construire une vraie régionalisation

Elle n’est pas la fin de la nation, au contraire elle l’évitera, car la fracture est déjà béante. Il faut impérativement arriver à cette forte déconcentration et autonomie jusqu’à un point jamais osé ou interdit de prononcer.

Une langue et une culture ancestrales sont ce qu’il y a de plus fort chez les êtres humains. Il est impossible de contourner cette vérité intangible sous prétexte d’une nation unitaire. La nation en a pris un gros coup, elle est fracturée, presque dans sa rupture finale et définitive.

Au contraire, cette décision apaiserait les sous-entendus, les rancœurs et les frustrations. Elle aboutirait à une sérénité, de celle que vivent les êtres humains lorsqu’ils sont en adéquation avec leur âme profonde et la terre qui est la leur.

La peur de perdre une langue et une culture est également ce qui crée des réactions irrationnelles    et, forcément, des actes incontrôlables. Le maintien d’une langue est le fait de l’avancée de l’humanité et de ses bouleversements constants. L’une triomphe sur l’autre par les guerres, par l’économie, la puissance éducative et scientifique ou tout simplement par la démographie. Mais cela est à long terme, nous verrons bien, pour le moment il faut tout faire pour que les langues et cultures nous enrichissent et apaisent les communautés.

Le francophone algérien de ma génération a ressenti absolument la même chose comme nous ressentons tous l’hégémonie de plus en plus pressante de l’anglais, y compris en Algérie.

Mais il y a une chose incontestable, une langue et sa culture véhiculée ont besoin d’un environnement anthropologique pour se développer sinon, au mieux, de se maintenir.

Il faut donc que cette région ait tout à fait le droit à l’utilisation du berbère dans les actes et la communication officiels, à l’école et dans les inscriptions urbaines. Quant aux médias, c’est à peu près déjà le cas, je le pense.

Un jour, un Kabyle m’avait insulté lorsqu’il avait lu mon expression « environnement anthropologique ». Il m’avait répondu « Vous voulez nous enfermer dans des réserves, comme les Indiens ».

Il n’avait manifestement pas compris que c’était une expression très ancienne en linguistique et que c’était l’une des revendications d’un parti politique d’opposition. L’environnement anthropologique est celui dans lequel on baigne à la naissance, avec ses racines parentales, éducatives et urbaines, ni plus ni moins. Il faut les renforcer aux actes publics de la gestion régionale, c’est tout ce que cela veut dire, pas autre chose.

Arrêter d’invoquer la stupide antériorité historique

Lorsque l’arabisation est venue me surprendre au lycée, par des professeurs venus de je ne sais où autant qu’un niveau intellectuel acquis de je ne sais quelle éducation, ils m’ont tous les jours fait cette leçon « Tu dois retrouver tes racines ancestrales, l’arabe et sa culture, on va te remettre sur le bon chemin ».

Moi, je ne savais pas de quoi ils parlaient ni pourquoi ils voulaient me mettre sur le droit chemin de mas racines. J’étais l’Algérien le plus heureux de vivre dans ce pays de soleil, mon enfance a été merveilleuse et jamais je ne m’étais posé auparavant la question existentielle de mon origine.

Eh bien, c’est la même chose pour les deux communautés qui s’envoient à la figure, l’une la prestigieuse culture arabo-musulmane, l’autre l’ancestrale origine berbère de l’Afrique du Nord, non moins prestigieuse.

Basta ! Que chacune vive son héritage et tout le monde sera heureux et serein. Je me fiche de cela, ce que je redoute c’est la bêtise et, celle-là n’a pas de délimitation territoriale et identitaire, c’est une mauvaise herbe qui pousse en tous territoires.

Ibnou ceci ou Massi cela, je m’en fiche absolument, ce qui m’intéresse ce sont mes compatriotes, vivants, de mon monde, et qu’ils jouissent dans le bonheur de ce qu’ils sont. Pour l’histoire, fondamentale pour se cultiver, je suis assez grand et lettré pour la rechercher et l’interpréter moi-même, sans intermédiation.

Mais encore, je suis juriste et essaie d’être humaniste, la personnalité juridique d’une personne n’est pas liée à ses antécédents généalogiques. La naissance sur ce beau territoire (ou ailleurs, de parents originaires de ce bel endroit) suffit à attribuer des droits et imposer des obligations identiques à tous puisque ce sont les identifiants de la personnalité juridique.

En conclusion, aimer n’est pas facile, en toutes circonstances. Mais aimer lorsqu’il y a des différences, c’est encore plus de preuves qui attestent de cet amour.

Alors qu’on redonne à nos compatriotes la même raison d’aimer comme je leur témoigne mon affection depuis des décennies.

Et s’ils ne m’ont pas entendu depuis trois décennies d’action et d’articles, c’est qu’ils sont sourds d’avoir trop crié pour la JSK.

Leur prochaine défaite avec Oran leur redonnera l’ouïe pour m’entendre. 

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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