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Khaled Bouali, le souffle tragique d’un théâtre étouffé

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 Quatre années depuis que Khaled Bouali, dramaturge, poète, nouvelliste et veilleur d’ombres, a quitté la scène de ce monde. Son fils Amedyaz écrivait alors : « Depuis une heure et demie, mon père, mon modèle, mon maître, est passé de la vie à la mort… Ses idées, son savoir, ses expériences ont disparu avec lui. »

Et pourtant, ses mots restent. Vivants. Vifs. Incisifs. Comme une pièce en suspens, dont le dernier acte ne se jouera peut-être jamais.

Dans cet entretien inédit, Khaled Bouali nous parlait avec la franchise blessée de ceux qui ont trop vu, trop espéré, trop attendu.

Le théâtre, ce peuple debout

« Cela dépend de l’état d’âme… mais en tant que citoyen algérien, pris dans le tumulte, je reviens toujours au théâtre, cet art qui se frotte à la vie, à la sueur du peuple», nous disait-il.

Khaled Bouali n’écrivait pas pour plaire. Il écrivait pour témoigner, pour déranger. Enseignant à l’université, puis à l’École des arts dramatiques de Batna, il croyait dans le verbe incarné, dans la scène comme lieu de lutte.

Jugurtha : l’histoire muselée

L’un de ses textes majeurs, Jugurtha, a bien failli ne jamais voir le jour.

Khaled Bouali racontait dans un entretien inédit : « Le théâtre régional de Batna me l’a commandé dans le cadre de ‘Alger, Capitale de la culture arabe’. Mais on m’a imposé un mois et demi de délai, en arabe classique. On voulait m’empêcher d’écrire. J’ai accepté le défi»

Le texte est livré. La pièce est jouée. Mais très vite, le silence. Pas de tournée, pas de festival, pas de prix. « On a supprimé le prix de la création du texte, alors qu’il s’agissait de la seule œuvre originale de l’année», avait-il souligné.

Et pourtant, ce Jugurtha-là parlait aux vivants.

« Il y a bien sûr de la fiction, comme dans toute œuvre. Mais le héros numide y est convoqué dans toute sa grandeur tragique. »

Un livre, un cri

En 25 ans, Khaled Bouali n’a publié qu’un seul recueil : El Bab el Akher (La Dernière Porte), aux éditions Chihab. « Ce livre marque, à mon humble avis, un tournant dans la nouvelle arabe contemporaine. »

Ses autres textes, poèmes et pièces, attendent encore. En vain. « Les éditeurs évitent ce qui ne rapporte pas : poésie, théâtre. Le vrai problème, c’est l’absence d’une politique culturelle digne de ce nom», nous avait-il confié

L’homme de la place publique

À Batna, à Alger, on l’a vu en première ligne à des sit-in d’artistes. Parfois accusé d’être meneur, toujours solidaire.

« Nos revendications ? Un changement radical. Théâtre, cinéma, radio, télévision : il faut tout repenser. Redonner sa place à l’artiste», crânait-il avec conviction.

À Alger, devant le Théâtre national, il réclame haut et fort : « Un statut pour l’artiste. Et des hommes compétents, engagés. Je n’ai jamais compris cette hypocrisie autour de la Journée de l’artiste, alors que ses droits sont bafoués. »

Un rêve à voix haute

Lui, l’écrivain rétif aux honneurs, se permet un vœu fou :

« Je voudrais être président. Ou ministre de la Culture. Ou directeur du TNA. Sans prétention. Juste pour montrer que le changement est possible. Depuis l’indépendance, on attend. »

Il disait cela sans amertume, sans orgueil. Comme un homme qui croit encore que l’art peut sauver ce qu’il reste à aimer.

Portrait d’un passeur de mémoire

Khaled Bouali se définissait ainsi, sur les réseaux sociaux : « Zamil fi al-wujoud – un compagnon d’existence, venu dans ce monde sans le vouloir. »

Mais ce monde, il l’a traversé les yeux ouverts, le cœur cabossé, la langue en feu.

Aujourd’hui, ses mots nous reviennent comme une musique lointaine, entre théâtre tragique et chronique lucide. Ils nous rappellent que certains artistes ne quittent jamais vraiment la scène. Ils demeurent dans le silence des coulisses, dans la mémoire des justes, dans la respiration des lecteurs.

Khaled Bouali, dramaturge oublié par l’institution, mais célébré par ceux qui savent écouter l’histoire autrement.

Djamal Guettala  

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