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La Catch up culture, un nouveau charlatanisme

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Non, ce n’est pas la sauce rouge pour les frites ni le sport de combat. Si vous commencez par des blagues de collégiens, je vous laisse rédiger cette chronique seuls. Les traductions les plus courantes de catch up sont « rattraper » ou « se mettre à jour ». Catch up culture veut ainsi signifier que les liens et communications amicaux sont fragiles, en permanence dans une course de mise à jour du quotidien des autres.

Comme souvent, un livre peut déborder de son succès de librairie pour provoquer un débat par la popularisation d’une expression relayée dans tous les supports de communication. La référence devient virale si on utilisait une autre expression, celle des réseaux sociaux.

La Britannique Michelle Elman vient de publier en mai 2025 un livre intitulé « Bad friend »  se traduisant par « mauvais(e) ami(e) ». L’auteur nous explique que les relations amicales sont devenues des moments pendant lesquels on raconte sa vie plutôt que vivre son amitié et qu’elles sont devenues de plus en plus fragiles.

Tout raconter mais ne jamais aborder les discussions de fond. Elle complète son analyse par l’apparition des réseaux sociaux qui surmultiplient la tendance sociale dominante des relations amicales fragiles.

Cette relation met constamment à jour la vie d’une personne, chacun connaissant l’histoire des autres par l’exposé de ses vacances, de ses achats, de son sport et de tous ses événements quotidiens. J’ai été au ski, j’ai mangé dans tel restaurant, j’ai rencontré une personne, j’ai visité tel lieu, voici mes enfants et ainsi de suite.

On a l’impression de tout savoir sauf qu’on ne sait finalement rien de l’essentiel, soit la profonde réflexion sur soi de la personne et des événements qui l’alimentent. Et bien entendu la réciprocité est vérifiée pour chacune des personnes, tous écoutent ce que l’une raconte sur elle qui à leur tour lui racontent leur vie.

Jusque-là, rien d’extraordinaire pour cette nouvelle expression à la mode. Mais c’est dans la suite que je vais exprimer ma très forte critique, lorsque l’auteur fait l’inventaire des causes. 

Je me demande ce que découvre Michelle Elman que nous ne sachions pas depuis les prémices de notre vie d’adulte ? Les véritables amitiés s’estompent inévitablement avec le temps et les nouvelles circonstances de la vie. Bravo, un prix Nobel pour cette découverte.

Elle explique que les facteurs sont souvent le mariage et le repli dans l’intimité des familles, des repas entre amis qui ne sont plus des partages, le travail professionnel devenu chronophage avec l’objectif de parvenir à des statuts de plus en plus élevés, la lourde responsabilité des enfants et ainsi de suite.

Bref un constat qui bouleverserait les relations d’amitiés. C’est donc que Michelle Elman considère que tout cela était existant auparavant et qu’on doit déplorer l’apparition des distanciations amicales et des ruptures relationnelles. Elle en conclu qu’il faut les admettre et les intégrer dans une nouvelle vision de l’amitié.

Nouvelles relations d’amitiés ? Où Michelle Elman a-t-elle puisé sa certitude et à quelle époque ? Les adolescents précédents la génération Internet gardaient-ils à vie la même relation amicale, souvent passionnée comme elle est à cet âge ?

Les hommes et les femmes ne s’éloignaient pas de leurs relations amicales pour fonder leurs familles ? Je ne m’étais donc pas rendu-compte combien ils gardaient la même fréquence de rencontres, au café ou ailleurs. J’ai dû passer à côté de la généralisation des vacances en commun.

On pourrait conclure que les gens ne se racontaient pas seulement mais allaient au profond de leurs confidences ? 

Bien entendu que cela était une réalité dans beaucoup de cas (en valeur absolue mais pas en valeur relative) mais à en faire un mode de relations amicales absolu dans la société passée, c’est faire preuve d’amnésie. On a l’impression que Michelle Elman n’a jamais vécu dans ce passé ou on ne lui a jamais raconté sa vérité. La première raison est pardonnable mais la seconde est tout de même étonnante pour une personne qui veut évaluer la société dans ses modifications.

Quant aux réseaux sociaux, ont-il modifié la nature des relations amicales sinon dans la surmultiplication des contacts ? Une relation amicale du passé n’était pas plus ni moins une réunion de personnes qui racontaient leur vie plutôt que faire part de leurs sentiments.

On savait tout de la vie quotidienne des gens ? Tout le monde se racontait et écoutait ce que racontait l’autre ? C’est vrai que chacun demandait à l’autre comment allait sa famille. L’autre rétorquait par, très bien, je te remercie, et ta petite famille va bien ? Et lorsqu’on a passé en revue les cousines, les oncles et tatas, on reprend la boucle interminable sur la date du mariage de la fille, des études des grands garçons et filles et ainsi de suite.

Mais connaissait-on les vrais sentiments et les projets secrets des autres ? Il faut être fou de le penser vu les relations pudiques en société et en famille de cette époque (partout dans le monde). D’où Michelle Elman a-t-elle puisé ses informations sur la nature différente des anciennes relations amicales dans le passé ? 

Moi, je ne vois rien de changé dans cette nature humaine, il y a eu toujours une ambivalence dans la relation amicale en société entre le besoin de fraternité, de partage et d’amour et celui de l’absolue nécessité de prendre des distances suivant les moments de la vie et de ses circonstances. Non, le besoin d’amitié n’a jamais changé, réseaux sociaux ou non, dans cette ambivalence.

La Catch up culture existait mais Michelle Elman l’a généralisée et rendue inhérente au passé. Je lui répondrai que les relations amicales n’ont pas peur des réseaux sociaux ni de l’accélération du rythme de la vie moderne, ils sont assez solides pour perdurer sans qu’on les oblige à se manifester ostentatoirement. 

Se raconter, c’est indirectement un message de partage du sentiment caché. Michelle Elman n’a pas seulement enfoncé des portes ouvertes, elle n’a pas pris les bonnes.

Rappelez-moi qui est Michelle Elman ? Une coach de vie dans certaines émissions de télévision et influenceuse star sur des medias sociaux comme Instagram ou Youtube et d’autres. Un comble !

C’est dire si je suis impressionné par la nouvelle expression d’un débat profond, la Catch up culture, basée sur des études sociologiques sérieuses et portée par une éminente spécialiste de 35 ans.

Boumediene Sid Lakhdar

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