L’Algérie est un champion du monde du dépôt légal. Parmi les droits d’auteurs les plus remarquables, celui du « parlementaire nommé ». À ce droit méritant d’innovation se rajoute la médaille d’or pour un talentueux oxymore.
On lit dans l’article 118 de la constitution algérienne « un tiers des membres du Conseil de la nation est désigné par le Président de la république ». Impossible, il doit y avoir une erreur, je me précipite pour lire d’autres articles et savoir si ce sont bien des parlementaires.
L’article 112 me confirme qu’ils le sont bien par l’appartenance à l’une des deux chambres du Parlement et que ce dernier « élabore et vote la loi souverainement ». Il faut se rendre à l’évidence, une partie des législateurs algériens sont désignés et non élus, c’est stupéfiant,
L’article 113 me le confirme « Le Parlement contrôle l’action du gouvernement ». C’est effectivement l’autre pouvoir fondamental des parlementaires avec le droit de légiférer.
Reste à vérifier si le Président de la république est concerné par le vocable « gouvernement » car dans la majorité des démocraties parlementaires dans l’histoire et dans le monde, le Président (ou le monarque) n’a théoriquement pas de rôle exécutif sinon par un usage détourné.
L’article 91 précise que le Président nomme le Premier ministre et l’article 93 qu’il nomme les ministres du gouvernement sur proposition du Premier ministre. Il est donc bien le chef de l’exécutif et ainsi le Parlement contrôle son action. Il n’y a aucun doute sur ce point.
Résumons, nous avons une constitution qui nous affirme que c’est le Président de la république qui nomme ses contrôleurs constitutionnels et politiques. J’aurais tellement aimé pouvoir nommer mon contrôleur des impôts et mes jurys d’examens et de concours dans ma vie universitaire.
Comme je n’ai pas la compétence pour comprendre le haut niveau du comique, je me propose de débattre avec les lecteurs pour qu’ils m’éclairent et éprouvent mes réflexions, sans obligation de les approuver.
Je commence par la remarque que je devine être la première dans leur esprit, « Monsieur, d’éminents constitutionnalistes du pays ont élaboré cette constitution, vous ne pouvez mettre en doute la compétence de ces experts ».
Absolument irrecevable car la Constitution, Loi fondamentale d’un pays, n’est pas une affaire d’experts mais celle d’un projet politique qui en donne les fondements et les grandes orientations. Les experts juristes sont inféodés au projet politique.
Ils sont à sa disposition et ne sont là que pour proposer une architecture et des articulations référencées pour la plupart dans de multiples textes des démocraties du monde. Mais il est vrai également qu’une assemblée nationale constituante n’a pas existé, comment voulez-vous qu’ils respectent le cahier des charges du projet politique ?
Si je suivais le raisonnement de mes contradicteurs, nous serions dans une république des experts, pas dans une république par la souveraineté populaire. Si au moins les experts ne buvaient pas un verre de trop avant chaque séance préparatoire. La nomination de parlementaires par celui qu’ils contrôlent, je n’aurais jamais pu même m’imaginer que cela puisse exister.
Mes lecteurs contradicteurs ajouteraient certainement « Pourtant beaucoup d’institutions de contrôle de la constitutionnalité des lois sont le fait de gens nommés, c’est bien le cas de la Cour suprême aux Etats-Unis ou du Conseil constitutionnel en France. Ils sont toujours suspectés de prendre des décisions en conformité avec les opinions de celui qui les a nommés car ils les a choisis dans la même mouvance politique ».
Si vous le dites vous-mêmes c’est qu’il y a bien une anomalie que vous avez perçu. Votre vigilance est toujours en alerte lorsqu’il s’agit d’anomalies concernant « l’occident décadent » comme le dit le grand ami des Algériens, le démocrate Poutine.
C’est tout à fait exact et aucune démocratie n’a véritablement trouvé un autre système pour supprimer cette anomalie. On pense bien à l’hypothèse d’une élection des juges des hautes instances mais la soumission aux points de vue de leurs électeurs serait encore plus manifeste.
C’est ce qu’on reproche aux juges élus aux Etats-Unis, il était impensable de reproduire le même schéma au niveau de la Cour suprême.
Puis il y a une grande différence avec notre cas présent. Face à une interprétation erronée du texte, de son silence ou de son ambiguïté et que cela mène vers de graves dérives par la jurisprudence ainsi établie par la haute instance, les parlementaires ont tout à fait le moyen juridique de modifier la Constitution.
La modifier demande un niveau d’accord beaucoup plus important que la simple majorité mais c’est possible. Il y a donc un garde-fou juridique sérieux.
Est-il alors possible et raisonnable d’attribuer à des personnes non élues le droit de modifier le texte fondamental de la république ? Ce ne serait plus la république ou la démocratie, ce serait autre chose. Et c’est bien ce que la constitution algérienne propose, une autre chose.
La troisième remarque possible de mes lecteurs contradicteurs serait « Monsieur, le Président est élu au suffrage universel, il est donc légitime à le faire puisque c’est la volonté du peuple ».
Non, absolument pas car la Constitution algérienne, par son article 15, rappelle elle-même un principe fondamental de toutes les démocraties, la séparation des pouvoirs.
Que le chef de l’exécutif désigne des parlementaires est une situation éminemment contradictoire avec la séparation des pouvoirs et donc avec l’article 15 qui le proclame. Il serait difficile de trouver plus contradictoire que cette possibilité.
Malgré tout cela nous échappons au pire. Les « parlementaires désignés », notre oxymore de départ, ne pourront effectivement jamais légiférer sur notre bonheur, sur nos sentiments, nos aptitudes intellectuelles ou artistiques ou sur nos amours et peines.
Ces éléments ne sont pas du domaine du droit mais de celui de la subjectivité, du « sujet », donc de notre propre domaine de liberté qu’il appartient à chacun de définir et de construire. Ils échappent à la constitution. À toute déraison il y a donc un antidote puissant qui nous protège, l’intime.
Au fond, un législateur nommé, un législateur tiré au sort, vainqueur d’une épreuve sportive ou d’un concours musical, peu nous importe puisque ces considérations subjectives citées relèvent de notre liberté.
Et puis, tout ne peut être comique dans la vie, hélas.
Sid Lakhdar Boumediene