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La fabrique d’ennemis

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La fabrication d’ennemis par certains régimes cherchant à conserver le pouvoir est un phénomène récurrent dans l’histoire politique. Elle s’appuie sur une idéologie stratégique et des marqueurs identitaires pour créer une menace, réelle ou imaginaire.

Ce procédé n’est pas limité aux dictatures ; certaines démocraties l’ont aussi utilisé dans des contextes de crises ou de tensions internationales, où un ennemi extérieur sert à unifier temporairement la population autour du pouvoir en place. Mais cette construction repose toujours sur une volonté politique de manipuler et contrôler l’opinion publique Ce procédé repose sur la construction d’un « autre » perçu comme une menace, interne ou externe, qui sert à mobiliser le soutien populaire, détourner l’attention des problèmes internes et justifier des mesures autoritaires. Ce mécanisme, bien que souvent associé aux régimes totalitaires, peut également être observé dans des démocraties.

La création d’un ennemi peut être un mécanisme toxique de pouvoir qui fragilise la société à long terme, en instaurant la division, en brisant la confiance sociale et en alimentant la violence. La production d’ennemis systémiques provoque souvent des conflits sanglants, un recul des libertés et l’affaiblissement des institutions démocratiques.

Ainsi, la fabrique des ennemis est une stratégie politique ancienne et universelle utilisée par des régimes divers pour maintenir leur emprise sur le pouvoir à travers la peur et la manipulation de la population. Un regard critique, historique et sociopolitique est essentiel pour comprendre cet usage et prévenir ses dérives.

Pourquoi fabriquer un ennemi ?

L’ennemi agit comme un mécanisme de différenciation du « nous » et de « l’autre » et permet de consolider l’identité nationale ou collective autour d’une menace identifiée.

Il sert souvent à cimenter un régime en difficulté en mobilisant les peurs collectives ou en fournissant une explication facile à des crises économiques, sociales ou politiques.

La figure de l’ennemi est aussi une échappatoire pour les autorités en panne de légitimité, leur permettant de détourner l’attention publique et d’imposer un ordre répressif sous couvert de sécurité.

Exemples historiques

  • Régime nazi d’Allemagne (1933-1945) : Hitler a fabriqué un ennemi multiple : les Juifs, les communistes, les démocraties, prétendant qu’ils étaient une menace pour la pureté raciale allemande et la survie de la nation. Cette fabrication a justifié la suppression des opposants et les campagnes génocidaires.
  • Dictatures militaires d’Amérique latine : Beaucoup ont exacerbé des conflits contre des ennemis intérieurs, notamment des communistes ou des guérilleros, pour justifier la répression politique violente.
  • Guerre en Irak après le 11 septembre 2001 : L’administration américaine a utilisé la peur d’armes de destruction massive et des ennemis supposés (comme Saddam Hussein) pour justifier une intervention militaire importante, malgré des preuves insuffisantes.

Mécanismes et outils de fabrication

  • Discours et propagande : Construction d’un discours politique martelant la figure de l’ennemi (médiatisation, discours officiels, écrits).
  • Symboles et mythologiques nationales : Le recours à des références historiques et culturelles servira à légitimer la peur de l’ennemi.
  • Manipulation psychologique : Exacerber les peurs collectives avec des fausses informations, des théories du complot, ou la stigmatisation.
  • Légitimation de la violence : Le régime se donne le droit de recourir à la répression, la censure, la surveillance accrue au nom de la sécurité nationale.

Il est des États qui, pour survivre, doivent toujours brandir un spectre. Sans ennemi déclaré, ils vacillent, perdent leur ciment, s’effritent. Alors, ils se mettent à fabriquer de toutes pièces ce dont ils ont besoin : une menace, un monstre, un « autre » à désigner, à craindre, à haïr. 

La mécanique est ancienne. Les empires, les régimes autoritaires, mais aussi certaines démocraties fragiles, recourent à ce stratagème. L’ennemi devient l’outil politique par excellence : il soude la population derrière ses dirigeants, détourne l’attention des crises internes, justifie la répression ou l’extension de l’appareil sécuritaire.

La recette est simple et éprouvée :

*Désigner d’abord une cible, souvent une minorité, une puissance étrangère, une idéologie.

* Marteler ensuite le récit par les médias, l’éducation, la propagande, pour que l’imaginaire collectif s’en imprègne.

* Entretenir enfin la peur par des rappels réguliers : discours solennels, incidents amplifiés, rumeurs savamment distillées.

Ainsi, l’ennemi n’est pas toujours réel, mais il devient socialement vrai. Et c’est cela qui compte pour le pouvoir.

On croit lutter contre une menace extérieure, alors qu’on alimente surtout la survie d’un système. L’histoire est riche d’exemples : la Guerre froide et son rideau de fer invisible, les régimes dictatoriaux accusant « l’étranger » de tous les maux, ou encore certains États modernes qui fabriquent le « terroriste » comme figure permanente de justification. 

La fabrique d’ennemis est donc une industrie politique : elle tourne sans relâche, produit à la chaîne des figures hostiles, et distribue au peuple une peur empaquetée, prête à l’emploi. Mais derrière chaque ennemi ainsi forgé se cache la même réalité : l’incapacité ou le refus d’affronter les véritables problèmes internes — inégalités, corruption, injustice, absence de perspectives.

Un pouvoir qui a besoin d’un ennemi pour exister finit par devenir lui-même le véritable danger. Car il confisque la conscience critique, il infantilise la société, il entretient la guerre permanente contre des fantômes. Et à force de créer des ennemis, il ne sait plus fabriquer de citoyens.

Bachir Djaïder

Journaliste, écrivain 

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