26 avril 2024
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La légende du Palestinien errant   

REGARD

La légende du Palestinien errant   

Le choix du nom d’Abraham pour placer l’Accord Israélo-Emirati et ceux qui le suivront sous les bons augures de l’Histoire en le faisant passer comme une lettre à la poste dans le système mental des peuples arabo-musulmans, procède d’une bonne connaissance de la psychologie des foules.

Sachant l’ultra-sensibilité de ces peuples aux stimuli religieux, les auteurs du choix les préparent de la sorte à un discours destiné à les rallier à l’idée que l’alliance avec Israël est la meilleure assurance-vie pour leurs pays, et que c’est le seul moyen disponible et disposé à contrer militairement l’expansionnisme iranien. 

L’unique clause de cet Accord révélée le jour même de son annonce est celle en rapport justement avec cette ultra-sensibilité : tout musulman désireux de visiter le troisième lieu saint de l’islam (al-Qods) avant de quitter ce monde pour aller au paradis pourra bientôt le faire à partir des Emirats. Avec cette clause, l’implant est posé.

C’est le premier message de la « com » destinée à accompagner, comme une musique de film, les péripéties de l’« Acccord Abraham » et les retombées financières de l’explosion de l’industrie du tourisme religieux qui va s’ensuivre dans les deux pays. Les ulémas de service ne tarderont pas à entonner les airs de joie des retrouvailles des trois religions autour de la symbolique abrahamique.

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La Palestine ayant été le point de départ ou d’arrivée des trois religions monothéistes, elle a été choisie pour mettre en orbite un mythe fondateur de la fraternité abrahamique qui va réunir Juifs, Chrétiens et Sunnites dont elle formerait une seule parentèle, avant d’ouvrir aux autres peuples l’ère adamique. 

La stratégie concoctée par les Américains, les Israéliens et les Arabes du Golfe vaut à court et moyen terme, mais que deviendra-t-elle le jour où elle aura rempli ses objectifs, c’est-à-dire faire tomber le régime théocratique iranien et le remplacer par une démocratie ? 

La realpolitik qui anime présentement les pays du Golfe pourrait devenir celle du nouvel Iran et l’amener à « normaliser » à son tour ses relations avec l’Amérique et Israël. Qu’en découlera-t-il ? Ça dépend pour qui. 

Pour Israël, habitué à projeter des plans sur des millénaires et non à tirer des plans sur la comète comme les Arabes et les Iraniens, elle sera toujours bonne car rien, à perte de vue, ne se profile à l’horizon qui soit capable de réconcilier les sunnites et les chiites dont la haine réciproque est aussi âgée que l’islam censé en avoir fait des frères. Aussi voudra-t-il les garder tous les deux et rester le fidèle allié de chacun sur la base de principes vieux comme le monde : « Diviser pour régner » et « L’ennemi de mon ennemi est mon ami ».

Pour les Arabes, par contre, il est à craindre que l’algèbre n’ait raison aussi en géopolitique : plus par moins, ou moins par plus, donne toujours moins, c’est-à-dire un résultat négatif dans les deux cas.

Il faut se rappeler que les Juifs vivaient en grand nombre dans l’ancienne Perse et l’ancienne Arabie (y compris à la Mecque et surtout à Médine). Ils avaient de très bonnes relations avec le shah et cherchent à les rétablir avec l’actuel régime, s’il est intéressé, ou avec le prochain. A l’instar de la Turquie de Mustapha Kamel Ataturk le laïc et du Pacha Erdogan l’islamiste. 

Les Palestiniens, quant à eux, peuvent attendre encore quelques décennies, siècles ou millénaires. Ils devraient d’ailleurs en profiter, plutôt que de passer leur temps à bricoler des projectiles à jeter sur les Israéliens en attendant de Dieu la victoire, pour ouvrir une réflexion de fond sur ce qui a fait la supériorité des Israéliens sur eux et sur l’ensemble du monde arabo-musulman. 

Ils devraient apprendre de leur longue expérience de peuple sans terre, et un tour du monde chez les autres nations les auréolerait à leur tour d’une légende du « Palestinien errant », à condition qu’elle ait été couronnée par une moisson de prix Nobel équivalente qui imposerait définitivement au monde leur respect.

En mars 2006, j’écrivais en conclusion à mon livre « L’islam sans l’islamisme » : 

« L’actualité mondiale est dominée en ce début d’année par les remous qui agitent le monde musulman : affrontements sanglants entre chiites et sunnites en Irak, images télévisées montrant des foules musulmanes défilant dans les rues pour dénoncer les caricatures du Prophète, interrogations soulevées par la victoire électorale de Hamas en Palestine, déclaration d’officiels iraniens faisant savoir qu’en cas d’agression contre leurs installations nucléaires ils perturberaient le marché pétrolier et utiliseraient leurs missiles de longue portée, pressions sur la Syrie, refus du Hezbollah libanais de renoncer à ses moyens militaires, dopage moral du mouvement islamiste embusqué dans les pays arabo-musulmans dans l’attente d’élections régulières qui lui donneraient imparablement la victoire… 

Ces évènements sont-ils les signes patents d’une « renaissance », ou une fois encore la désolante étendue séparant « l’infini du désir » du « très fini de la réalité » dont parle Nietzsche ? Annoncent-ils un islam en symbiose avec le monde, ou les signes avant-coureurs d’un affrontement généralisé entre lui et l’Occident ? 

Les musulmans doivent prendre conscience que leurs faiblesses sont en eux et qu’ils ne les surmonteront que par une profonde et réelle réforme intellectuelle et politique. Ce dont ils manquent avant tout, c’est d’une très forte résolution d’être, d’une puissante détermination à devenir quelque chose qui compte, d’une volonté civilisationnelle comme celle qu’affichent avec intelligence le Japon, la Chine et l’Inde. C’est cette volonté qui, lorsqu’elle repose sur la légitimité politique, le consensus social et des méthodes rationnelles, est à la base du succès. 

Au lieu de se cacher à tout propos derrière Dieu, ou de l’impliquer dans leurs maladresses et leurs erreurs de jugement selon le modus operandi de la pensée traditionnelle, au lieu de déverser leurs émotions et leurs impuissantes colères sur les plateaux de télévision ou de chauffer à blanc les foules par les procédés habituels de la « boulitique », les musulmans en général et les Arabes en particulier devraient se dépêcher d’engager ces réformes qui feraient enfin d’eux ici-bas des nations respectables à tout point de vue. Et ces réformes ne doivent pas consister à passer des pratiques despotiques tramées dans le secret des palais, à l’ « anarchie hurlante de la rue » (p. 526-527)

Qu’est-ce qui a changé depuis ?

 

Auteur
Nour-Eddine Boukrouh

 




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