Lundi 30 avril 2018
La pagaille mentale
La société algérienne est traversée par des courants violents.
Toute société est travaillée par deux courants opposés : l’un prédomine, crève l’écran, représente parfois pour elle le caractère de l’évidence, l’autre évolue plus discrètement dans les coulisses. Marginalisé, il se dessèche et meurt sans faste, ou bien au contraire, il émerge soudain en pleine lumière grâce à une synergie collective extraordinaire, devenant à son tour la marque d’une époque. Malheureusement, en Algérie, ce second cas de figure a peu de chances de se produire. Mais pourquoi? Car, en plus d’être minoritaire par rapport au courant «pathogène» dominant, le deuxième courant, censé véhiculer une certaine modernité, est ravagé par des remugles de fatalisme !
En effet, on observe facilement aujourd’hui qu’il y a une diminution, sinon une sorte d’obnubilation générale de la sensibilité citoyenne chez nous. Les nôtres supportent bien l’incohérence, vivotent dans la pagaille mentale, ne parvenant guère à ressouder la désarticulation existante entre leurs affects et l’objectivité.
Or, ceux qui ne dialoguent pas en permanence avec leur sensibilité ne pourront jamais susciter du progrès. Celui-ci est d’abord relié à la prédisposition psychique spontanée de tout un chacun à accepter l’idée du changement. Il réclame le droit à plus de liberté, plus d’évasion, plus de créativité, plus d’expression dans tous les domaines de la vie.
En outre, la première particularité d’un progressiste, c’est qu’il n’a plus peur de la parole, qu’il est prêt à étaler tout ce qu’il pense sur la table, dans le respect de la vision des autres, qu’il peut agir, si le besoin s’en fait sentir, en «éclaireur» pour guider son peuple vers le salut, quitte à se sacrifier lui-même. «Les grandes crises, écrit l’essayiste français Nicolas Baverez, comme les grandes guerres, exigent une stratégie claire et un leadership fort». Ce leadership ne devrait pas, en ce qui nous concerne, rester au stade de la théorisation stérile mais se conjuguer sur le terrain.
Aussi, la diffusion des électrons de la sensibilité aura-t-elle l’avantage de nous conduire à un examen de conscience scrupuleux sur notre responsabilité solidaire en politique et en société. Ensuite, – car il ne faut pas s’arrêter longtemps à l’autoflagellation de nous-mêmes -, nous devrions tous considérer que notre crise en Algérie reflète un blocage généralisé des voies du débat.
Sans tomber dans les travers des hérauts du pessimisme qui ne cherchent qu’à accrocher un converti potentiel à leur palmarès d’échecs par une formulation souvent exagérée, voire trompeuse du kaléidoscope de la dépression nationale, on devrait s’efforcer de trouver le condiment idoine à même d’éveiller notre conscience en léthargie.
A cet effet, la qualité première du progressiste doit être la simplicité, c’est-à-dire : épurer son langage de toute surcharge sémantique, recherche, complexité, parler au cœur et aux tripes des foules, les inciter au mouvement, à la mobilité…, au renouveau. Les sociétés modernes ne sont, peut-être, plus meilleures que la nôtre, même si nous sommes enclins à le croire présentement, nous n’avons aucun droit à faire de ce stéréotype suranné un postulat universel indémontable.
L’économie de la connaissance, la volonté et «l’action citoyenne positive» de tous les jours suffiront, sans doute, à nous sortir du désordre et à nous élever au rang des nations émergentes.