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«La Punition» de Tahar Ben Jelloun

Littérature

«La Punition» de Tahar Ben Jelloun

Cinquante ans c’est le temps nécessaire qu’il aura fallu pour que Tahar Ben Jelloun nous livre son histoire personnelle, « La Punition ».

Il est vrai que Tahar Ben Jelloun n’est l’auteur marocain qui a pour habitude de descendre en flamme la monarchie, ou du moins ses travers autoritaires. Contrairement à de nombreux auteurs comme Mohammed Kheireddine ou Mohamed Choukri, il est resté très silencieux sur la situation politique et les nombreuses violations des droits de l’homme dans son pays. Ceci pourrait –peut-être expliquer cela. En ce sens : La Punition pourrait donner sens au manque d’engagement de l’auteur.

Ce récit intimiste sorti chez Gallimard retrace l’envers du décor de la monarchie marocaine sous Hassan II. Ici l’auteur nous livre son expérience sous forme d’un récit sobre, pleine de retenue.

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Tout part d’une manifestation. Tahar Ben Jelloun payera sa participation à ce mouvement de protestation. On est encore aux premières années du terrible règne de Hassan II.

Le 16 juillet 1966, il est convoqué par l’armée au camp d’El Hajeb, l’ordre est venu d’un général en personne. La convocation en main le voilà qu’il se présente tout craintif. En réalité, son tort c’est surtout d’avoir pris part à une manifestation que la police de « sa majesté » a réprimé dans le sang, comme souvent dans ces contrées totalitaires.

A la caserne d’El Hadjeb, Tahar Ben Jelloun va connaître la faim, les brimades, les humiliations gratuites, la promiscuité, la violence. « Je m’appelle Aqqa ; ici c’est moi qui commande, adjudant-chef Aqqa, n’oublie pas ce nom, ça sonne comme la mort ». Le décor est planté. Le futur écrivain retient qu’il a été privé de journaux, de radio,… Mais pour commencer, il y a ce foutu rasoir qui doit passer sur la tête de tout nouveau conscrit. Il a valeur de punition avant le grand bain.

Le sous-off sort un ciseau et taille dans la tignasse du jeune Tahar. « Le soldat asperge ma tête d’eau, prend un rasoir, y glisse une lame et se met à raser mon crâne. C’est douloureux ». L’auteur en est marqué. Il n’avait aucunement d’ailleurs envie de devenir soldat. Il accuse le coup comme les autres, il se tait. Il sait qu’avec « ce genre de bruts, on ne discute pas ».

Les conditions de vie des bidasses de l’armée royale sont austères. Très austères.

« Il neige sur Ahermoumou. Nous avons très froid. Les logements des officiers sont chauffés. Un gars de Sefrou nous le confirme : il a passé la nuit chez le lieutenant L. qui aime les garçons. Il a réussi à lui tirer les vers du nez en couchant avec lui. » Son «enfer » dans l’armée va durer 19 mois. Des mois de violence brute, de solitude, de privations diverses. C’est ce que retient l’auteur. Qui d’ailleurs sera sauvé par sa passion de l’écriture, la poésie. «… oui je suis une petite nature comme m’a dit au début Aqqa, petite nature, fragile, civilisée, haïssant le fait de m’être transformé en une sardine dans une boite où je suis collé à d’autres sardines. C’est ça le drame ». Mais dans cet enfer, il a reçu un livre, un seul : «Ulysse » de l’écrivain américain James Joyce. Ce sera sa planche de salut « alors qu’il est dans un cadre qui annihile tout ce qui pouvait rappeler la culture, l’intelligence ».

La punition est un récit puissant, il rappelle combien certaines expériences sont marquantes. L’auteur qui n’a pas pour habitude de parler de son parcours s’est laissé à une traversée des années avec une certaine retenue.

La Punition, de Tahar Ben Jelloun, chez Gallimard.

Auteur
Kassia G.-A.

 




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