25 novembre 2024
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La reddition de l’hiver » de Kamel Bencheikh : une musique verbale étourdissante !

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La reddition de l’hiver » de Kamel Bencheikh : une musique verbale étourdissante !

«La reddition» : capitulation ou résistance ? Et si l’ennemi était le temps qui passe dans un profond silence ?

Kamel Bencheikh sait mieux que personne traduire en mots l’émotion prise dans le vif d’un souvenir, d’une pensée, d’une étreinte, d’une réflexion… Son écriture est habituellement tournée vers la poésie, il suffit de se remémorer « Prélude à l’espoir » paru aux éditions Naaman. Ce recueil de poèmes écrit dans sa jeunesse révèle déjà un délire d’écriture qui dévoile le charme évanescent d’une musique verbale étourdissante.

Les poésies accumulées sur son bureau pourraient faire l’objet de plusieurs recueils. Mais non ! De versificateur, Kamel Bencheikh veut pour l’instant caresser les mots sans rythme et sans rime. Il franchit le pas et se glisse dans l’univers des prosateurs pour nous proposer «La reddition de l’hiver».

Dans ce recueil, l’auteur rassemble seize nouvelles qui, au premier abord, peuvent paraître « candides ». Cependant, le lecteur averti se rendra certainement compte que l’expression est faussement ingénue. 

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Poète il est, poète il restera : le recueil commence par deux nouvelles qui s’apparentent à une poésie en prose justement. « Les mots, voilà la hantise du barde. Il adosse les mots les uns aux autres, il les tourmente, il les rudoie, il les maltraite. » Le verbe torture aussi ce barde qui recherche, dans ses textes, la quintessence de la « joie » conçue comme une élévation toujours en suspens, rarement atteinte ; la quête éternelle du poète se figure dans l’instant fugace relatée dans ces nouvelles : cette « joie », telle une rencontre longtemps attendue, émoustille le regard puis disparait en laissant son empreinte indélébile comme le regret d’une vie.

Qu’est-ce que la joie sinon l’instant fugitif d’un regard perdu ? Un regard étiolé par le temps jusqu’à devenir une mélancolie. Cette écriture de Kamel Bencheikh, qui semble s’adresser à une femme, n’est pas à prendre au pied de la lettre : elle déchire celui qui n’a pas pu, ou n’a pas su saisir la joie : « Je me satisfaisais de mes lieux communs fielleux et de mes poncifs affligeants ». Le temps qui passe, dépeint au fil des pages, retrace le ravissement espéré, cette quête de l’émerveillement maintenant hors d’atteinte.

Kamel Bencheikh est incontestablement un écrivain qui aura toujours besoin de rejoindre la poésie, la toucher du doigt, au moins le temps du dernier hiver exalté dans ces textes comme l’ultime instant de la mémoire relatée. C’est ainsi que le chemin de ses mots nous conduit toujours au seuil de la mort, celle de Cheikh Kaddour. Ce vieil homme vivra jusqu’au bout la crainte de ne pas atteindre le printemps. Dans cette nouvelle, l’écriture se complait à conter, avec une simplicité déconcertante, l’angoisse de cette fin inéluctable avant d’avoir vécu une dernière fois l’apparition magique des fleurs printanières, comme un baume pour apaiser ses derniers tourments d’homme fatigué. Un printemps, juste un dernier…  L’hiver démoniaque n’en finit pas ! C’est par sa fenêtre que Cheikh Kaddour verra deux jeunes gens réitérer, bien malgré eux, les actes manqués de la jeunesse… alors que la pendule continue son tic-tac inexorable. 

Puis, nous entrons avec la nouvelle suivante, « Lille, longtemps après » dans le spectre du temps figé, celui du silence pesant dans lequel rien ne se passe : « Me voilà assis sur la durée du temps offert par le spectacle de ces arbres rapiécés. Et par l’écoulement de cette rivière inexistante. Le paysage attend que je me trompe (…) » Est-ce que ce voyage onirique est une allégorie ? C’est à se demander si le pays de ses ancêtres, ou la « ville vulnérable (…) qui [le] fuit » se réveilleront un jour de la léthargie qui les musèle. La tourmente se poursuit avec « Mes tortionnaires bien aimés » que le lecteur saura apprécier. 

Le fil conducteur du temps et du silence allégorique est poursuivi dans la nouvelle qui retrace un souvenir d’enfance, rappelant que le narrateur n’avait « aucun pouvoir de décision » pour esquisser son destin. Qu’est-ce que la vie ? Ne serait-elle pas in fine un conte, un mythe ? Le recueil se termine par « Et Dieu créa des montres ». Ce dernier texte sonne le glas de la société longtemps apathique…

Les différents textes qui composent ce recueil se succèdent avec en toile de fond les instants du passé vécus comme une suite de réminiscences donnant un goût d’inachevé. Serait-ce l’échec d’une génération qui n’a peut-être pas su être visionnaire ? En tout cas, une vie ne peut être vaine. Le narrateur de la treizième nouvelle, au soir de sa vie, écrit une lettre à ses petites filles pour leur raconter Tolstoï « … Si un soir, il me reste encore un peu de force et de temps, les souvenirs, sans aucun ordre, pêle-mêle… les souvenirs me reviennent en foule… ». C’est ainsi que le grand-père narre « dans la confusion et l’anarchie, sans aucun ordre précis » sa propre vie, laissant à cette jeune génération l’amour de l’art et de la lecture.

Les nouvelles de «La reddition de l’hiver » établissent un rapprochement entre le songe et la création poétique. Si leur lecture donne une impression de disparité, ces textes restent sous-tendus par des questions existentielles profondes calfeutrées, nichées, dans une écriture recherchée, à reconstruire, et qui mérite amplement le privilège de l’instant de lecture. 

Auteur
Hédia Bensahli

 




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