14 novembre 2024
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 La riposte contre Trump, l’illégitime et le légitime

TRIBUNE

 La riposte contre Trump, l’illégitime et le légitime

L’homme est un déplorable accident dans la longue histoire institutionnelle américaine. Détestable, vulgaire, immature, hors de contrôle et d’une grande dangerosité envers son pays et le monde, pour autant le droit et son éthique doivent s’appliquer d’une manière égale, à lui comme à tout citoyen. Il y a donc une forme de réplique illégitime à son égard comme il en existe une autre parfaitement légitime.                

Suite aux actes violents d’intrusion dans le Capitole dont on accuse le Président d’en être à l’origine indirecte, deux ripostes ont été lancées contre lui. Donald Trump a définitivement mis les deux genoux à terre après qu’il ait reçu un coup de massue sur la tête avec son échec aux élections.

Il s’agit de celle des principaux réseaux sociaux, dont celui qui a porté la parole de Donald Trump pendant quatre ans, ainsi que celle de nombreux hommes politiques de son propre camp qui ont tiré la dernière salve.                                                   

Les premiers par la fermeture du compte, ce qui le condamne au silence pour un éventuel rebondissement politique ultérieur. Les  seconds par la procédure constitutionnelle de destitution qui n’a d’intérêt après son départ que d’arriver à prononcer l’inéligibilité dans le futur (même si l’aboutissement au Sénat est loin d’être certain).                                                                                                                                             

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Dans cette affaire il ne s’agit pas d’illégalité à l’encontre du Président mais de la question de la légitimité de la riposte. Les deux sont inégales dans leur traitement, ce qu’il faut argumenter.

La dangereuse et illégitime censure

La justification du blocage du compte privé du Président (pour celui de la Maison Blanche seuls certains messages furent effacés) par les deux principaux réseaux sociaux, Twitter et Facebook, est l’appel à la sédition par la « marche » de ses partisans contre les institutions de l’État, dans un climat qui ne pouvait que provoquer l’étincelle pour le pire, ce qui est arrivé. 

Les réseaux sociaux argumentent leur décision de censure, non pas par l’attitude politique du Président, mais par la violation des conditions d’utilisation que Donald Trump, comme tout utilisateur, accepte en s’inscrivant.

Mais le droit est d’abord l’émanation de la volonté d’un peuple, de ses valeurs, de son éthique et de ses principes souvent arrachés de haute lutte. Il est donc avant tout une émanation de la volonté politique et sous le contrôle judiciaire pour son application.

Il ne peut y avoir un autre état de droit que celui édicté par la volonté générale qui serait légitime à censurer et condamner les écarts à ses règles. Les grands patrons des réseaux sociaux ne sont pas investis du pouvoir de censurer le Président d’un État.                                                                        

Il y n’y a pas plus dangereux pour la démocratie que ce pouvoir privé exorbitant. Déjà par le passé nous avions assisté à de très nombreuses actions graves dans la manipulation de l’information et des élections. Aujourd’hui nous en arrivons à la censure de la parole d’un Président d’un État même si le compte est enregistré à son nom personnel.

Il faut commencer par rappeler pourquoi ces réseaux sociaux ont une telle puissance. Car si leur pouvoir devient aujourd’hui incontrôlable, il ont accédé à celui-ci avec de bonnes et légitimes raisons. En fait ils avaient apporté un espoir si immense pour l’humanité et la démocratie qu’elles avaient baissé leur garde dans leur vigilance.

Les réseaux sociaux, naissance d’un idéal de liberté mais…

Depuis longtemps le pouvoir des grands opérateurs de l’Internet est critiqué pour s’être arrogé une puissance qui les met hors du droit commun sans pour autant qu’il soit aisé de les en condamner sur le plan strictement légal à l’exception de quelques actes dont on détient la preuve de l’irrégularité.

En trois décennies, ces opérateurs sont devenus encore plus puissants que les États, détenteurs pourtant de la souveraineté nationale. Leur puissance est phénoménale mais, il faut le reconnaître, ils ont permis un bond considérable à l’humanité, dans ses communications, ses avancées scientifiques et éducatives autant que dans le domaine de la création et de la liberté.

L’histoire avait pourtant bien commencé puisque les réseaux sociaux ont eu leur part de mérite dans l’appui à la recherche de la démocratie dans une grande partie du monde (et la garde encore si des régulations interviennent). Les dictatures, si elles existent encore pour des centaines de millions d’êtres humains, ont vu pour beaucoup d’entre elles s’atténuer leur mainmise sur l’information, les consciences et l’action militante.                                                                                                                   

Mais il y a un revers de la médaille. Ces hyper-espaces de la communication ont acquis un territoire mondial hors de contrôle des législations des États démocratiques. Et comme il en fut toujours le cas dans l’histoire des démocraties, les empires hégémoniques internes finissent par détruire la démocratie. 

Toutes les libertés humaines doivent donc être régulées par les lois et les principes éthiques d’un État aux institutions démocratiquement édifiées. C’est la base, les réseaux devront revenir à leur juste place dans les démocraties.

Les grands patrons des réseaux sociaux privés ne peuvent faire taire un chef d’État ou le destituer, ce serait un système en complète contradiction avec le principe démocratique de l’élection et un chemin vers la dictature. Quel que soit l’horrible personnage et ses dérives, ce n’est pas aux entreprises privées de lui barrer la route. Elles n’en ont aucune légitimité.

Le faux argument de la plateforme privée d’échanges

L’argument essentiel des réseaux sociaux qui se sont toujours justifiés contre cette accusation est « nous ne sommes pas des médias où nous intervenons dans le contenu éditorial mais des plateformes où nous mettons à disposition des moyens techniques d’échanges. Ce sont les internautes qui assument leurs propos, dans un cadre privé, ouvert ou non au public selon leur choix».

Il découle, selon ces plateformes, que les échanges ne sont pas l’expression d’une organisation publique ni d’un débat public. Elles sont donc libres d’édicter des conditions d’utilisation que les internautes doivent accepter pour s’inscrire sur le réseau social. Elles sont ainsi, selon elles, dans leur droit de fermer un compte ou supprimer un message si le contenu est contraire aux conditions d’utilisation. C’est tout à fait recevable sur le plan juridique s’il n’y avait pas deux points de grande réserve à la nature privée du débat. 

Le premier est que ces plateformes sont devenues des lieux dont la résonance est considérable dans le débat public. Elles ne peuvent plus, en considération de leur réussite planétaire et monopolistique, se dégager de toute responsabilité et décider, de leur propre initiative, qui serait censuré et qui ne le serait pas. L’exemple de Donald Trump nous montre à quel point ce pouvoir est gigantesque et détourne la démocratie.

Le second est que, malgré tout, espace privé ou non, ces entreprises sont soumises aux lois des États et ne peuvent abriter des irrégularités que les modérateurs évitent souvent de sanctionner sous le justificatif de l’espace privé. Les réseaux sociaux sont engorgés de messages contraires aux conditions d’utilisation et aux lois des États. 

Ces derniers ne réagissent pas dans une juste riposte immédiate car la tâche immense les dépasse et qu’ils se verraient accuser d’intenter une censure contre la libre expression. Les poursuites et fermetures par l’autorité judiciaire restent relativement rares en proportion de l’océan de communication par les messages. Il faut le reconnaître, même la bonne volonté des réseaux sociaux ne suffit pas à tout contrôler. C’est pourtant leur responsabilité à le faire. 

Ainsi, elles font souvent la sourde oreille et déclarent qu’il n’y a pas, de par le caractère privé des échanges et la non production éditoriale, de soumission à la responsabilité habituelle d’un directeur de la publication (il n’y en a d’ailleurs aucun de déclaré) comme il est inscrit dans toutes les législations des pays à niveau démocratique comparable. Elles viennent pourtant de censurer le Président d’un puissant État, le plus puissant, et ne semblent pas avoir eu de problème à se proclamer directeur de la publication. C’est une contradiction flagrante qui nous permet de rejeter leur argumentaire.                                                                        

Encore une fois l’Europe tente ces derniers temps de rédiger un texte remettant ces plateformes dans le droit, c’est-à-dire dans la responsabilité d’un directeur de publication identifiable. Mais cela fait tant de tentatives que je n’en vois pas le bout à très court terme. Il est indéniable que cela doit arriver à plus long terme car il en va de la démocratie dans le monde.

L’hypocrisie de Twitter et des autres

Ce n’est pas le point essentiel du débat mais il rappelle combien les arguments des dirigeants des réseaux sociaux ne sont fondés sur aucune éthique de sincérité. Donald Trump n’avait jamais dévié de ses propos et de sa posture pendant les quatre années de son mandat, Twitter et Facebook tentent de nous faire oublier leur réveil tardif aux conditions générales d’utilisation.

Particulièrement la plateforme Twitter qui a profité de l’addiction de Donald Trump qui publiait des dizaines de messages par semaine. Ce fut l’un des dix comptes les plus suivis dans le monde avec des millions d’abonnés. Or on sait que la base des revenus d’un réseau social est la publicité qui est alléchée par l’importance des flux d’échanges du réseau social.

Les réseaux sociaux comme les médias ont lâché le Président lorsqu’il a perdu le pouvoir et s’est retrouvé définitivement « démonétisé ». Ces réseaux se sont soudain aperçus que ses propos étaient dangereux et illégaux ?

L’attaque du Capitole n’aurait à mon sens jamais réveillé les consciences de ces opérateurs si un mouvement de désapprobation profond du pays n’était pas venu les en dissuader. Car la « marque Trump » était encore profitable après son départ s’il n’y avait pas eu le dernier incident, fatal pour lui. 

L’homme était destiné à prendre une part importante dans l’opposition d’extrême droite et, probablement à se représenter aux élections présidentielles. Un personnage rentable pour les réseaux sociaux pour de longues années encore si le drame n’était pas survenu.

L’impeachment, une riposte légale et légitime

Heureusement que la démocratie s’est ressaisie et a repris le seul chemin qui légitime le pouvoir des élus, seuls représentants de la volonté populaire.

Les démocrates, majoritaires à la Chambre des représentants, avec l’appui de quelques voix républicaines, ont adopté pour la seconde fois une résolution de projet d’impeachment, c’est-à-dire de destitution. La première n’ayant pas abouti car les républicains au Sénat faisaient encore bloc dans leur majorité pour soutenir Donald Trump.

C’est au Congrès qu’il revient de prendre cette grave décision car destituer un Président élu ne peut s’imaginer dans une démocratie que par les élus du peuple et pour de très graves motifs de violation du droit dont le Président est le plus haut garant. Il avait juré, lors de son élection, de respecter et protéger la constitution.

Nous avons donc là tous les ingrédients du droit et de la légitimité politique. La demande de la Chambre des représentants a été adressée au Sénat qui jugera des résultats d’une commission d’enquête qu’il mettra en place et écoutera les plaidoiries des deux camps pour prendre sa décision.

Il est toujours utile de rappeler que les États-Unis sont un pays fédéral et que si la souveraineté du peuple s’exprime par la majorité des élus, cette décision doit être validée par l’accord des États. Chaque État, quelle que soit sa population possède un même nombre de représentants.

C’est un système qui nous surprend mais c’est la logique des États fédéraux qui fondent les institutions et la démocratie par un mécanisme approprié à leur choix dicté par l’histoire et l’immensité du territoire pour les premiers colons. En fin de compte, la parole aura été donnée au peuple puis aux États, rien de contraire à la démocratie, populaire et territoriale.

En conclusion générale, il faut donc toujours se garder de sortir des règles du droit, de son éthique et de la démocratie, pour contrer les dangers qui le menace comme ceux des folles élucubrations de Donald Trump.                                                             

Les dictatures s’installent toujours par l’argument de vouloir sauver les libertés et la démocratie. On ne les verra jamais avancer en annonçant qu’elles veulent les museler. Et d’ailleurs, souvent l’intention est sincère et louable au début, puis le visage de la terreur apparaît car le pouvoir absolu a sa propre esthétique.

Et les réseaux sociaux se dirigent vers ce pouvoir absolu si la démocratie ne les rappelle pas à ses conditions.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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