26 juillet 2024
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La seconde République tarde à naître

Que nous inspire encore le 1er Novembre 54 ?

La seconde République tarde à naître

« Difficile de regarder le 1er Novembre dans les yeux« ! On ne peut guère apporter une contradiction soutenable à ce constat fait par notre confrère Chaouki Mechakra sur sa page facebook. En effet, les motifs ne manquent pas- la liste est fastidieuse et effrayante- pour justifier une sorte de « profil bas » que sont tentés d’adopter tous ceux qui ont encore une haute idée de ce que fut le 1er novembre 54, la Toussaint rouge, qui lâchera la bride avec le mors pour une longue épopée de sept ans et demi. Une épopée, vécue par les Algériens, en tant que guerre de Libération, avec ses morts, ses veuves, ses mutilés et torturés, et, du côté français, comme « événements » ou opérations de « maintien de l’ordre ». Le terme « guerre d’Algérie » ne fit son apparition dans le jargon médiatique et officiel français que bien récemment.

Sous le ciel où se passa cette guerre, la mémoire semble de plus en plus défaillir, le souvenir froissé, l’histoire officielle écrite pour légitimer le pouvoir en place, l’Etat-nation remis en cause par des mouvements générés par la « centrifugeuse » bureaucratique et jacobine, et l’espoir déchu de sa position naturelle, celle qui est censée faire de lui le moteur de la vie.

Plus d’un demi-siècle après la fin de la guerre de Libération nationale, au terme de laquelle a été arrachée vaillamment l’indépendance du pays des mains d’une puissance coloniale membre de l’OTAN, les Algériens font une halte au milieu de mille interrogations et d’une masse de frêles espoirs. En 1954, notre peuple n’était armé que de cette volonté de se libérer d’un joug séculaire, quoi qu’il lui en coûtât. Soixante-trois ans après le déclenchement de la lutte armée et plus d’un demi-siècle d’indépendance, les Algériens se sentent légitimement en droit de procéder à un bilan sur la gestion du pays sur les plans politique, social, économique et culturel. Il ne s’agit nullement de se livrer à de chimériques et abjects règlements de comptes- dans un système global gagné par l’absurdité, où tout le monde a quelque part failli. Il s’agira plutôt de tenter de tirer les leçons qui pourraient aider à comprendre le présent et à dissiper, autant que faire se peut, les nuées opaques qui continuent d’assombrir le ciel algérien.

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Malgré son caractère bref et expéditif, la déclaration du 1e novembre 1954 a tracé les grands traits des profondes aspirations du peuple algérien- libération de la patrie et fondation d’une république démocratique et sociale -que sont venus prolonger et consacrer les principes adoptés au congrès de la Soummam moins de deux ans après les coups de feu de la Toussaint. Que sont ces principes et ces espoirs devenus, cinquante-cinq ans après? Drivée au gré de l’équipe qui a vu son étoile poindre quelques mois avant l’Indépendance avec la force des armes, l’Algérie a été soumise à un système « socialiste » d’embrigadement, qui a cassé les ardeurs et les ressorts de la société. Ce système baignait dans une idéologie réductrice, celle de l’arabo-islamisme, qui a voulu annihiler les richesses culturelles et sociales du pays. Cette forme de « castration » psychologique, jointe à la rente pétrolière qui a vu son graphe monter en valeur exponentielle et ses clientèles monter en influence, a neutralisé, via le parti unique, toutes les énergies du pays et ses valeurs ancestrales basées sur le travail et la solidarité.

Du même coup, ce sont les valeurs de novembre même qui allaient progressivement être remises en cause, perverties et oblitérées. Tant que cela a été possible, on acheta le silence et l’acquiescement des populations avec une politique qui se vante d’avoir ses moyens, ceux de l’argent et de la corruption. Des concepts populistes et loin de la réalité du terrain furent scandés à la télévision, dans les journaux gouvernementaux (il n’en avait pas d’autres!) et même dans les livres scolaires: les Trois révolutions, l’illusoire équilibre régional et, bien entendu, le soutien des prix à la consommation ainsi que l’encouragement ‘ »involontaire » à l’exode rural. Le soutien des prix n’était pas, en fait, une illusion. C’était plutôt un cadeau empoisonné à une population qu’on invita à manger son blé en herbe. On créa le Sou El Fellah, non pour qu’il soit approvisionné par les agriculteurs, mais pour forcer ces derniers à s’y rendre et y faire leus achats; l’État, par la grâce de la manne pétrolière, leur a fait déloyalement concurrence et a soutenu les producteurs étrangers. Les conséquences immédiates furent l’abandon du travail de la terre et la naissance du trabendo qui fera convoyer des camions de sucre et de lait en poudre- soutenus par l’État généreux et populiste- jusqu’au Mali et Niger. Le mouvement continue aujourd’hui avec les carburants qui sortent vers les pays voisins. En tout cas, la situation que nous vivons en 2017 n’est pas totalement étrangère à ces errements « révolutionnaires ». On décida pour nous par un système de despotisme qui était loin d’être éclairé.

L’inculture générée par la gestion autoritaire du pays et la dévalorisation de l’École alimentera largement l’intégrisme religieux qui défiera la clandestinité et l’État à partir des universités dès le début des années 1980.

Si la spontanéité et le mouvement naturel de ce qui fut appelé la  »légitimité révolutionnaire » a eu des hauts et des bas dans certains aspects de la politique de développement- réalisation des infrastructures de base, nationalisation des hydrocarbures, une vigoureuse politique de la santé,…- il n’en a pas été de même avec le volet politique où toute forme de contestation a été brimée et interdite. Pour les jeunes qui ont vécu pendant les années 1970, la psychose et la hantise de la sécurité militaire sont encore présents aujourd’hui dans leur esprit.

La limite d’une politique volontariste, « néo-patrimonialiste », comme la nomment les sociologues, a été atteinte en octobre 1988. Même si les calculs qui ont présidé au mouvement relèvent, en toute évidence, des manœuvres du sérail, le ferment populaire de la contestation violente était là, mûr pour une explosion tenant d’un sentiment d’une profonde revanche sociale.

Les manœuvres du pouvoir pour se maintenir et recoller les morceaux aboutirent, en décembre 1991, à un processus électoral qui a failli emporter le pays tout entier. La montée des périls atteindra son apogée avec le terrorisme qui a mis l’Algérie entre parenthèses entre 1992 et 1999.

Au cours de la même période, le pays marchanda sa cessation de payement par le rééchelonnement de la dette et les plans sociaux dictés par les créanciers. Misère, terrorisme, exode rural, dévalorisation inquiétante de l’enseignement, constituèrent le lot des Algériens quarante ans après l’indépendance. Ce fut un véritable nœud de vipères qui se ligua contre le pays.

À partir des 1999, la pression terroriste baissera progressivement grâce à la lutte de l’armée sur le terrain et à la réaction patriotique et citoyenne.

Cette période connaîtra également une nette augmentation des recettes pétrolières, lesquelles ont permis de réaliser de grandes infrastructures (barrages hydrauliques, autoroutes, stations de dessalement de l’eau de mer,…), sans pour autant changer la nature rentière de l’économie nationale. La crise des prix du baril sur le marché mondial, à partir de juillet 2014, a mis à nu les faiblesses structurelles de l’économie algérienne, fait sauter la « ceinture de chasteté » faite d’une démagogie qui avait installé une prospérité factice, et conduisit les Algériens à se poser les mêmes questions que celles soulevées trente ans auparavant, avec les mêmes ingrédients, mais le poids démographique en plus, cette fois-ci.

Sur le plan politique, une forme de « glaciation » continue à grignoter le peu d’acquis engrangés par le mouvement d’Octobre 88, à savoir le pluralisme et la liberté d’expression. Les élections, par une forme de triste perversion, n’ont servi qu’à légitimer cycliquement le système en place. Cependant, l’on ne peut passer sous silence le fait que le dommageable formalisme dans lequel est emmuré le pluralisme politique tient, en grande partie, d’un patent déficit culturel qui fait que, aussi bien chez les électeurs que chez les candidats, la notion de représentation politique fait l’objet de vils marchandages.

Face à l’impatience des Algériens de voir leur destinée changer résolument de cap afin d’avoir accès au rang de peuple émancipé, honorer le combat des aînés et mettre fin à toutes formes de rente- aussi bien de légitimité historique que de pétrole-, les autorités politiques, ce qui reste de l’élite éclairée du pays, les « fragments » de la fragile société civile, n’ont réellement de choix que de s’investir plus ardemment dans les chantiers des réformes dans tous les secteurs de la vie nationale. Si, par malheur, le mouvement de redressement et de rédemption tarde à s’esquisser, l’esprit de Novembre, déjà bien malmené et vilement exploité, risque de se volatiliser dans les limbes anhistoriques. Ce seront alors, pour notre malheur, les chances du redressement du pays, dans ce que nous pourrons appeler la « seconde république », qui risquent de se compromettre. Le serment de novembre 54 et de juillet 62 interdisent, logiquement, de s’offrir une telle fatalité et de tels horizons d’impasse.

Auteur
Amar Naït Messaoud

 




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