Il est manifeste que l’on ne naît ni musulman, ni chrétien, ni athée ; on le devient par un processus progressif de socialisation et de construction identitaire. La spiritualité, croyances religieuses ou interprétation du monde, n’est pas un trait inné, mais un aspect de la culture qui s’élabore tout au long de la vie à travers des dynamiques complexes.
Cette élaboration peut constituer une quête personnelle — un cheminement introspectif, souvent non linéaire et parsemé de doutes — ou être largement déterminée par l’influence de l’entourage familial, social et culturel. En réalité, la spiritualité se développe souvent à l’intersection de ces deux dynamiques : la recherche individuelle d’un sens et la transmission d’un héritage collectif.
La plupart des individus héritent d’une structure religieuse ou spirituelle par filiation. Dès la naissance, les individus sont plongés dans un environnement familial qui leur transmet des visions du monde, des valeurs morales et des pratiques rituelles spécifiques. Cet héritage comprend des croyances fondamentales, des rituels et des traditions qui façonnent en profondeur la perception du sacré et de la moralité chez l’enfant, bien avant qu’il ne soit en mesure d’en saisir les implications ou d’en questionner la validité.
L’intériorisation de ces valeurs est souvent si profonde qu’elle échappe à toute forme de réflexion critique, ancrant ainsi l’individu dans une continuité identitaire prédéfinie, une conformité. Cette transmission intergénérationnelle prédestine souvent l’individu à une identité spirituelle qui semble naturelle et inévitable, constituant un cadre structurant difficile à remettre en question, tant il devient une composante intrinsèque de l’identité personnelle.
Une quête spirituelle authentique repose nécessairement sur une démarche introspective et une exploration personnelle, une démarche souvent découragée par les sociétés traditionnelles qui privilégient la continuité des croyances collectives perçues comme un garant de l’harmonie sociale.
Dans de tels contextes, l’adhésion aux croyances religieuses est érigée en obligation sociale, et tout écart par rapport à cette norme peut entraîner des sanctions, allant du rejet à la marginalisation. Pourtant, pour qu’une spiritualité soit véritablement authentique, elle doit découler d’un questionnement profond sur soi-même et d’une exploration de multiples perspectives.
Chaque individu devrait être encouragé à s’engager dans cette quête de sens, à remettre en question les croyances transmises, et à développer sa propre compréhension du divin, du sacré, du monde, de l’existence et de la nature.
Encourager l’autonomie spirituelle revient à développer une capacité de discernement critique vis-à-vis des valeurs transmises, à distinguer entre ce qui résonne véritablement avec nos valeurs les plus profondes et ce qui est simplement accepté par conformité. Ce processus de discrimination, d’acceptation ou de rejet constitue le fondement d’une spiritualité personnelle, capable de résister aux aléas et aux transformations des contextes sociaux et personnels.
À l’opposé, une spiritualité résultant uniquement de l’influence du milieu, sans jamais avoir été questionnée, a tendance à être rigide, exclusive et intolérante, surtout lorsque cette spiritualité est perçue comme l’identité ultime de l’individu. Lorsqu’une croyance est posée comme une vérité absolue, elle devient une source potentielle de division, de rejet, et de conflit avec ceux qui adhèrent à d’autres visions du monde.
Une spiritualité librement choisie représente une source puissante de résilience et de force personnelle. Elle permet à l’individu de s’adapter aux changements, de naviguer à travers les crises existentielles, et de trouver un sens qui transcende les contingences de la vie quotidienne.
De plus, une spiritualité construite de manière autonome est susceptible de générer davantage de tolérance, puisqu’elle repose sur la reconnaissance de la valeur intrinsèque de l’exploration personnelle — non seulement pour soi, mais aussi pour autrui. Elle reconnaît le droit de chacun de chercher, de se tromper, de douter et de changer.
L’autonomie spirituelle ne nécessite pas un rejet total de l’héritage culturel ou familial. Elle peut impliquer une réappropriation consciente et critique de certains aspects de cet héritage, en y intégrant des éléments issus de l’exploration personnelle. Cela conduit à une synthèse unique qui reflète l’individualité de la personne, intégrant à la fois le passé et les découvertes contemporaines.
Ainsi, l'individu n'est pas en rupture totale avec son héritage, mais il le transforme en quelque chose qui lui appartient véritablement.
La question n’est pas seulement de savoir si la spiritualité doit être une construction personnelle ou découler d’un héritage familial. Il est évident que c’est dans la tension créative entre héritage et autodétermination que réside la véritable richesse de la quête spirituelle, une quête qui, loin d’être figée, est en perpétuelle évolution.
Cette quête devient alors un processus vivant, où chaque individu est à la fois héritier et créateur, porteur d’une tradition et explorateur de nouveaux horizons. Lorsque la spiritualité reste confinée à la sphère individuelle et privée, elle permet une coexistence harmonieuse des diverses croyances et pratiques au sein de la société, garantissant le respect des libertés individuelles tout en préservant la neutralité de l’espace public.
La sécularisation, en séparant le spirituel du politique, contribue à la préservation des droits de chacun et évite l’imposition de normes religieuses à l’ensemble de la société. Inscrire la spiritualité dans la sphère privée, c’est reconnaître la diversité des cheminements spirituels et encourager une approche tolérante et respectueuse des différences.
Mohand Bakir