4 mai 2024
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La transition : l’ultime combat ? (II)

ANALYSE

La transition : l’ultime combat ? (II)

Le pouvoir rompu aux pratiques machiavéliques ne lâchera pas facilement prise.

En face du Hirak, l’adversaire est conscient de la faiblesse de l’opposition toute réunie et quelques soient les idéologies ou les tendances partisanes. Le Hirak traversé par des courants contradictoires qui l’empêchent de s’organiser, reste une proie facile à déstabiliser et à saisir pour le coup de grâce final.

De ces situations de faiblesse dont il accentue les traits en utilisant tous les moyens que la force met à sa disponibilité, le pouvoir a toujours su jouer des ambiguïtés de la société algérienne pour toujours l’affaiblir et la dominer.

Le pouvoir installé depuis plusieurs décennies et qui se voudrait éternel est rompu au travail de sape, d’autant que les moyens dont il dispose sont énormes. Pour arriver à ses fins, il disposera sans vergogne des moyens humains et matériels immenses de l’armée, de relais de communication classiques et modernes assujettis et prêts à le soutenir, des moyens financiers importants grâce au monopole de l’Etat sur l’ensemble des leviers financiers dont dispose le pays, de moyens humains ayant une main mise sur une administration rompue aux ordres et docile à souhait, des services de sécurité à sa botte, prêts à faire du zèle pour plaire au « monarque », une police politique remaniée pour mieux servir dans l’ombre et suffisamment rompue et formée aux sales besognes, une justice aux ordres qui refuse de s’affranchir de sa tutelle et qui le montre aisément encore ces derniers mois dans la gestion bâclée et tendancieuse de toutes les affaires qu’elle avait à traiter et enfin les relais politiques qui lui sont adossés et qui tiennent leur légitimité grâce à leur fourvoiement clairement assumé.

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A cette batterie de moyens sans commune mesure, le pouvoir avait habitué les Algériens à la brutalité de ses réponses aux questions qui le dérangent, mais surtout aux actions qui peuvent remettre en question sa légitimité usurpée.

L’art de chasser un potentat

Chasser un potentat de son trône suffit-il à crier victoire ? Des exemples de destitutions brutales ont montré que le départ rapide et brutal d’un dictateur ou d’un potentat autoritaire n’est pas toujours en soi une victoire intrinsèque.

Le dernier exemple en date est le départ du Président algérien au printemps dernier. Son départ et le démantèlement d’une partie visible de on entourage sont-ils des conditions suffisantes pour une transition ? Il s’avère que non dès lors où l’on soit quelque peu attentif au déroulement du jeu politique de ces cinq derniers mois. Le départ, aussi brutal soit-il, d’un homme ou même d’un groupe d’hommes ne suffit pas à crier victoire. Cette situation nous renseigne sur un fait indiscutable de ce que l’on appelle « le système » qui demeure une machine lourde où d’énormes intérêts sont en jeu. Les rouages sont suffisamment rodés que tous les individus ou groupe d’individus qui sont éjectés, ne le sont que parce qu’ils constituent un danger imminent pour l’équilibre du système. Seuls les maillons faibles sont éjectés dès lors qu’ils constituent un danger pour la survie éternelle du système

L’on se rappellera que le Chef d’Etat-major de l’armée avait, dans un premier temps, soutenu l’idée d’un cinquième mandat. Le soulèvement du 22 février 2019 et sa persistance l’avait contraint à se repositionner et à faire démissionner l’ancien Président de la République. Le zèle et le ridicule ne tuant jamais, on poussera l’outrecuidance jusqu’à arrêter d’anciens Premiers Ministres et quelques Ministres pour amadouer le peuple en furie. Quelques oligarques proches de l’ancien président paieront chèrement leurs allégeances et leurs connivences connues et reconnues.

Le système pour sa survie sacrifiera quiconque qui pourrait précipiter sa chute. Un individu, aussi puissant soit-il, est toujours assimilé à un fusible qui doit sauter dès lors qu’une surtension traverse le système. Dans une dictature, l’autel des sacrifices reste une réalité et l’histoire de l’Algérie en recèle quelques exemples.

Quelques situations à peu près similaires ont montré qu’un soulèvement populaire pouvait être un véritable tsunami qui avait la force d’emporter dans son déferlement quiconque tentant de lui résister.

Certains potentats n’ont pas résisté à la force d’un mouvement populaire massif et déterminé à en découdre. En plus de l’Algérie, les exemples les plus récents et qui viennent en mémoire sont ceux de quatre pays africains. Il s’agit chronologiquement de l’Egypte de la Tunisie, du Burkina Faso et du Soudan. Quatre pays rompus à la dictature, où l’on ne soupçonnait pas que leurs dictateurs réciproques installés confortablement depuis quelques décennies, pourraient redouter d’être ébranlés et ensuite chassés de leurs confortables trônes.

Tous serraient tellement fort les brides qu’ils ne s’imaginaient jamais rencontrer une force capable de les chasser brutalement et définitivement de leurs conforts acquis et entretenus en semant la peur.

La suite avait montré la difficulté de transitions sereines où l’équilibre des forces pouvaient engendrer un système démocratique profitable à tous.

Seuls les Tunisiens, à force d’un combat acharné de forces coalisées, sont arrivés après une âpre période de conciliabules, de discussions et de compromis partagés à voter une nouvelle constitution admise par une majorité confortable parmi les antagonistes.

Une transition pacifique est-elle possible ?

On peut déjà sans se tromper assimiler la situation qui prévaut depuis le 22 février de période transitoire. Ce qui se déroule actuellement n’est aucunement assimilable aux différentes situations d’avant.

Cette insurrection populaire transcendée par une détermination intransigeante et clairement exprimée est une nouveauté dans le paysage politique du pays. Une alternance claire et définitive est exigée. Le slogan récurrent qui prévaut est celui qui concerne le départ des véritables tenants du pouvoir et qui demeure une exigence indiscutable et non négociable. Toutes les tentatives du pouvoir en place pour calmer le jeu ont demeurées sans effet et n’ont aucunement permis d’atténuer les colères qui surgissent et s’expriment dans les rues algériennes depuis le début du Hirak.

Ni le départ de l’ancien Président de la République, ni l’arrestation de deux anciens Premiers Ministres et de nombreux anciens Ministres soupçonnés de prévarication et ni aussi celles de certains hommes d’affaires soupçonnés de lourdes fraudes n’ont pu servir de monnaie d’échange dans un deal proposé par le pouvoir et jugé par les masses du Hirak comme étant tout simplement une monnaie de singes.

Deux forces s’opposent dans un combat acharné dont la teneur et les orientations changent en fonction du protagoniste envisagé. Un Hirak représentant la majorité hétéroclite du peuple algérien se révolte contre un pouvoir accroché à ses intérêts et qui refuse toute espèce de basculement dangereux pour son maintien aux commandes du pays.

Le Hirak dans son immense majorité et avec une constante détermination reste droit dans ses bottes pour réclamer immuablement une alternance claire et déterminée et qui ne serait visible et reconnue que par le départ effectif de l’ensemble des tenants de ce pouvoir honni par lui.

Le pouvoir, quant à lui, fidèle à son expérience et à une redoutable pratique de la manipulation et de la surenchère, ne cesse de renouveler des propositions qui ne satisfont pas car elles sont jugées soit insuffisantes, soit entachées de ce hale masquant une sempiternelle ruse dont le peuple n’est plus dupe. Ruse vs clairvoyance. Qui l’emportera ? Match rude dont le temps ne compte plus.

Ce jeu de dupes, provoque dans la rue un intense sentiment d’énervement de colère et de lassitude et dont l’expression se matérialise chaque vendredi par des slogans constamment ciblés et répondant directement et clairement aux discours et aux décisions entrepris dans l’intervalle de la semaine écoulée.

Le pouvoir dans sa façade d’unité médiatiquement exprimée commence à montrer des fissures lézardant continuellement cette image d’unité qu’il s’acharne à montrer.

Une nette bicéphalité en son sein commence à être visible. L’unité de façade ne pouvait résister aux affres du temps qui passe et qui peut paraître long et ne peut pas aussi résister aux pressions exercées par le Hirak. Dans ce pugilat où les coups sont rudes, des volontés s’élèvent pour proposer des médiations pour aider à une sortie de crise. 

L’opposition démocratique dispersée ne donne aucun signe d’une maturité alliant le courage à l’intelligence pour s’autosaisir à la vue de cette nouvelle donne et réfléchir à une autre alternative que celle qui consiste à inonder les médias de commentaires vides de sens et sans conséquences. La Politique est comme la nature, elle aussi a horreur du vide. La faiblesse de l’opposition reste l’une des vagues les plus favorables sur laquelle le pouvoir surfe avec maestria.

Le véritable combat de l’opposition actuellement devrait être d’abords celui de retrouver sa véritable place dans ce jeu politique et de renverser cette fâcheuse tendance du rejet qu’elle subit de la part du Hirak. Cette nouvelle donne de l’existence et de la persistance de ce formidable élan politique sera une ultime occasion à saisir si elle veut être et demeurer un acteur dynamique et efficace pour trouver une place de choix dans cette transition qui ne veut pas dire son nom.

Elle doit aussi élargir sa base en associant d’autres partis politiques qui inscrivent globalement leur positionnement politique dans la mouvance du courant démocratique. Les associations de toutes obédiences et qui ont pignon sur rue sont aussi un véritable vivier et doivent être associées au combat pour que cette fois-ci l’alternance soit une réalité et non un vain mot. La reconquête du Hirak reste la voie obligée pour que l’opposition sorte de ses atermoiements stériles qui l’ont durablement affaiblie.

Fini les querelles de chapelles. Le devoir est dans la recherche des meilleurs compromis pour l’élargissement d’une base qui serait une véritable force pour arracher le pouvoir à ses tenants actuels et le rendre au peuple pour un meilleur vivre ensemble dans une démocratie librement réfléchie et construite par tous.

Le combat ne sera pas facile et les futurs affrontements peuvent y laisser des traces. L’adversaire est clairement identifié, sa force et sa résistance pour ne rien lâcher sont connues de tous. Sa farouche détermination à se cramponner le rendra brutal, dangereux et sanguinaire. Tirer sur la foule est une perspective qu’il n’écartera pas, rompu comme il est à l’emploi de la force à des degrés graduels. Le passé assez proche nous renseigne sur le peu de considération qu’il témoigne au peuple pour qui il n’a aucun respect et envers qui il éprouve et cultive un mépris jamais égalé.

La clairvoyance ou l’aveuglement ?

De ce constat où la peur et la colère peuvent prendre le dessus, il demeurera donc indispensable que le Hirak reste unis dans sa constance et sa détermination. Les slogans épars de vendredi dernier où certains commencèrent à brandir des nouveaux slogans clivant appelant à la désobéissance civile pourraient être cette occasion tant attendue pour un dérapage qui serait le prétexte à une prise en main brutale de la situation par l’armée et ses services de sécurité.

Décréter un état d’exception ou un état d’urgence qui mettrait fin définitivement à l’élan pacifique est peut-être cette occasion tant attendue pour reprendre le dessus et revenir à une situation « normale ».

La synergie entre le Hirak dans sa globalité, la société civile avide de liberté et l’opposition démocratique élargie reste la condition nécessaire et indispensable pour donner au soulèvement populaire toutes ses chances d’aboutir à un basculement salutaire où la démocratie vaincra définitivement.

C’est aux partis politiques de l’opposition démocratique de se refaire une virginité en saisissant cette occasion en or que le peuple algérien leur sert sur un plateau en or. Le Hirak occupe les rues et par cela impose un rapport de force favorable au basculement de la situation. Les hésitations et les atermoiements ne doivent plus être de mise, car cette occasion en or ne perdurera pas et ne se renouvellera éternellement.

Pour les oppositions démocratiques, il leur incombe de s’armer de cette clairvoyance qui leur avait tant manquée. Il est plus que nécessaire de s’atteler à redresser la barre ou se jeter à l’eau avant que le navire ne sombre et n’entraine tout le monde dans son naufrage

Auteur
Mathias-Muhend Lefgoum

 




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