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L’administration en Algérie : la mamelle de la vache à traire ?

REGARD

L’administration en Algérie : la mamelle de la vache à traire ?

Un régime légitime n’a pas besoin de recourir à la répression.

Pour qu’un Etat puisse exister concrètement sur le terrain, il faut le doter d’un bras c’est-à-dire d’une administration. Une administration protégée par un droit spécifique et animée par des agents recrutés sur des critères méritocratiques, formés dans des écoles spécifiques où ils intériorisent les valeurs de l’Etat à savoir l’idéologie de l’intérêt général. 

C’est dans et par l’idéologie de l’intérêt général que se réalise le consensus nécessaire au maintien du tissu social dans le monde occidental. L’Algérie, après la guerre de libération nationale, recouvre son indépendance en plein chaos administratif et au milieu de règlements de comptes sanglants. Le départ précipité des colons en 1962 a créé un vide à tous les niveaux. Au niveau de l’administration, les petits fonctionnaires sont survalorisés par le départ des fonctionnaires français ou assimilés et à la différence des moudjahidines, ils savent comment fonctionne l’appareil de l’Etat hérité de l’ère coloniale. Il a fallu donc non seulement les garder mais en plus les ménager voire leur offrir un statut privilégié.

La langue française est l’héritage le plus durable et le moins contesté de l’époque coloniale (butin de la guerre de libération). C’est sur les résidus de l’administration française, instrument redoutable de la domination française en Algérie (les Sections Administratives Spécialisées), que s’est construit un Etat « national ». C’est pourquoi, le contrôle de l’Etat et de son administration sont un enjeu capital sinon vital pour les parvenus de l’indépendance. L’enjeu réside dans la maîtrise de l’appareil de l’Etat par le biais d’une mainmise sur les centres principaux d’allocation des ressources.

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Ainsi la couche sociale qui maîtrisera l’administration disposera d’un redoutable instrument de pouvoir. Cette petite bourgeoisie civile a été imposée par l’Armée seule force organisée au lendemain de l’indépendance. Cette volonté d’occuper la place du colon implique forcément une subordination par rapport à lui. A chaque fois que l’on fait de l’Etat ou d’une petite élite, le principal acteur du développement, on suscite l’apathie générale du corps social et les citoyens se détournent des structures sociales et politiques organisées.

On se trouve devant une société éclatée, une classe dominante qui vivant de l’Etat n’a pas le sens de l’Etat mais de celui de ses intérêts. Cette classe a le goût de l’autorité et du prestige, elle ignore celui de l’austérité et de l’humilité. Dans le champ des rationalités néo-patrimoinialismes, la rationalité économique est l’éternelle perdante face aux logiques de patronage, de consommation ostentatoire ou de constitution de réserves de sécurité à l’étranger.

Cette bourgeoisie bureaucratique dénuée de tout esprit d’entreprise  considère l’Etat comme « une caverne d’Ali Baba » où se servir et puiser les ressources servant de patronage politique serait le credo qui la maintiendra au pouvoir. Cette conception  « consommatrice » de la chose publique débouche nécessairement sur la violence, La rivalité politique peut prendre la forme d’un affrontement armé inter clanique. « Quand deux éléphants se battent, c’est l’herbe qui souffre ».

Or, il existe d’autres façons de gouverner qui n’accroissent pas la violence, ne produisent pas de désordre et n’hypothèquent pas l’émergence d’économie productives et d’un ordre social légitime. La vraie question concerne le rôle de l’Etat en Algérie. Comment peut-il générer le développement d’en haut ?  Comment peut-on privilégier l’Etat sans être victime de son pouvoir et de sa bureaucratie ? En somme, l’Algérie touchait une rente importante dont elle n’arrive pas à contrôler l’évolution.

La rente versée à l’Etat a la particularité d’être exogène c’est à dire que sa provenance et sa croissance ne sont pas liées au développement du pays mais dépendent des facteurs externes. L’un des paradoxes de l’économie algérienne est d’être fondé sur une richesse dont l’existence renforce à terme les capacités de financement en même temps qu’elle introduit un élément de fragilité. Il suffit d’une baisse des prix de référence ou des réserves à un moment inopportun pour le développement de son économie menaçant la pérennité de son principal moyen d’existence pour provoquer de graves déséquilibres économiques, politiques voire sociaux.

De plus, il suffit de considérer les graves dysfonctionnements dont souffre actuellement l’Algérie pour se persuader qu’une forte croissance de revenu en devises ne mène pas nécessairement au développement économique.

Le fait que les recettes pétrolières vont pour l’essentiel au gouvernement qui décide de leur répartition et de leur affectation, fait en sorte que le revenu est moins perçu comme la contrepartie d’efforts productifs que comme un droit dont on peut jouir passivement du moment qu’il est octroyé en dehors de la sphère interne de la production.

La question qui reste pendante est de savoir, dans quelle mesure, le pouvoir en Algérie, est-il ou peut-être productif, c’est-à-dire dans quelle mesure, pouvoir et production se nourrissent mutuellement. Pouvoir et production sont les deux coordonnées de base de toute communauté quel que soit le degré de son « développement » économique ou politique. Car il ne peut y avoir de pouvoir sans production et toute production s’inscrit dans une pratique de pouvoir.

La qualité du pouvoir se déduit en grande partie de la qualité de sa légitimité et c’est la légitimité du pouvoir qui en facilite sa productivité. La légitimité du pouvoir se fait mieux et plus facilement à travers sa légitimité qu’au moyen de sa violence.

Dans ce cas, le risque est grand de voir les bénéficiaires de la rente se désintéresser de toute activité réellement productive. La légitimité implique en premier lieu une certaine relation de réciprocité politique entre dirigeants et dirigés, entre employeurs et employés, relations vécues comme plus ou moins légitimes selon son degré de réciprocité.

Plus la légitimité de ce pouvoir est profonde, plus le pouvoir est en mesure de faire l’économie de la coercition. C’est la légitimation du pouvoir en place qui en assure sa force. Car la violence ou du moins une partie est une indication de l’impuissance du pouvoir. La mise en production du pouvoir s’opère par des inégalités économiques instituées, reconnues et légitimées. Tout rapport de pouvoir comme toute production s’inscrit dans une logique de relations d’inégalités qui différencie les membres d’une communauté. Le rapport entre pouvoir et production se fait au travers de la mise au travail de ces relations d’inégalités. 

Plus le pouvoir est légitimé, plus la violence est implicite, invisible. Ce n’est que lorsque la légitimité d’un ordre politique ou économique donné est en crise que la violence refait surface et que le pouvoir se défend par la force ouverte. La montée de la violence est donc la manifestation de l’incapacité des élites dirigeantes à mettre productivement au travail leur pouvoir. D’un point de vue général, plus l’Etat est contre la société, moins il y a production, moins il y a adhésion et plus il y a frustration et humiliation.

Or, l’humiliation est peu productive économiquement mais remplit un rôle important pour le maintien au pouvoir dans la mesure où elle démontre l’arbitraire qu’elle contient. Le problème de la productivité est un problème d’organisation donc de management donc de managers.

Cette analyse met en œuvre qu’on le veuille ou non la responsabilité de l’organisation c’est à dire des dirigeants qu’ils soient des dirigeants politiques ou des dirigeants d’entreprises. Le problème de l’entreprise en Algérie est également un problème de climat moral parce qu’il y a confusion entre l’économie et le social.

En effet, les mesures économiques visant à développer la production et à rentabiliser la gestion ont souvent un effet antisocial car elles favorisent la concentration des richesses et du pouvoir de décision entre les mains d’entrepreneurs, plus soucieux de productivité et de rentabilité que de paix ou de justice sociale. En sens inverse, les mesures sociales qui visent à une grande justice dans la répartition sociale et à une amélioration du sort des couches modestes de la population coûtent de l’argent à la société et l’appauvrissent d’une certaine manière. 

D’une manière générale, les mesures économiques sont considérées anti sociales et les mesures sociales antiéconomiques et la politique au sens noble du terme nous semble-t-il est l’art difficile d’établir dans une société donnée à un moment donné un certain dosage entre les mesures économiques et les mesures sociales. F

aire de la politique en Algérie, signifie seulement lutter pour conserver le pouvoir ou lutter pour le conquérir, pour soi-même ou pour son groupe pour les privilèges qui y sont attachés. « Nous n’avons point d’Etat, nous avons des administrations » Anatole France. Nous accusons un retard de plus de trois siècles.

 

Auteur
Dr A. Boumezrag

 




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