« Je n’ai pu dormir qu’une heure et quart, en 48 heures » lancera le wali d’El-Tarf lors de son point de presse suite aux incendies d’enfer qui ont ravagé le Parc national d’El-Kala et les monts environnants de la wilaya de Souk-Ahras.
Il a suffit tout juste 48 heures à l’infernal brasier pour que 38 citoyens soient morts et calcinés et que 200 d’entre eux soient blessés, selon le bilan officiel, et pour entendre s’écrier une population déshéritée et livrée à elle-même : « Voilà le Canadair d’Allah ! » suite à une pluie qui s’est abattue sur la région en signe salvateur. Une population tristement accompagnée des petites brigades de la Protection civile qui ne cessent de laisser des martyrs à chaque feu et des éléments de la garde forestière.
Le temps d’un repos, d’une visite inopinée d’officiels en costumes cravates et bien détendus, un autre « feu » s’embrase avec les propos du ministre de l’Intérieur qui ont alimenté le kérosène des réseaux sociaux. Le bombardier d’eaux affrété par l’Algérie au Ministère russe des Situations d’urgences aurait été vu sur le tarmac de l’aéroport d’Alger, cloué au sol pour une question de panne technique « après avoir déversé quelques tonnes d’eaux sur des lieux se trouvant sur le territoire national ». Où au juste ? Quelque part certainement.
Entre le feu et l’eau, le désarroi des populations est à son comble, des humains et leurs modestes biens sont dévastés par le déchainement des 4 éléments de la matière au milieu d’une Nature mainte fois assaillie par les tenants de la « Guerre du feu ».
Une histoire du feu bien algérienne
Entre le « Feu » et la « Terre », il y a une ancestrale histoire algérienne, dont le bois avant sa transformation en bien-être humain, il formait notre immense bonheur d’avoir une richissime couleur que nous portons sur notre bannière nationale.
Au temps de l’occupation romaine, on cherchait dans nos forêts de Numidie, le précieux Citrus (Thuya articulada), un bois aux teintes moirées, parsemé de moucheture, pour la fabrication de meubles hautement appréciés à Rome. Ces mêmes forêts n’ont cessé de fournir aux royautés musulmanes féodales la matière première aux arsenaux navals entre navires de guerre et marchants pour la défense des cités et territoires Fatimide, Almoravide et Almohade.
En 1558, la marine de la Régence ottomane d’Algérie comptait grâce à ce bois 35 galères (actuelles corvettes et frégates) et il provenait des forêts du Sahel entourant Alger, de l’Akfadou de Bejaïa et du Djurdjura et transformé par les mains habiles des ouvriers des arsenaux de Mers-El-Kébir, Collo, Jijel et Annaba.
N’est-ce pas qu’en 1817, l’Angleterre, cette superpuissance navale, offrait au dey d’Alger quelques 200 000 francs d’or de l’époque par an afin d’exploiter des bois de construction dans les forêts d’El-Kala et des Beni-Salah (Souk-Ahras) ou encore, la tristement célèbre Compagnie d’Afrique qui avait offert une redevance annuelle de 25000 livres aux dey d’Alger et bey de Constantine afin d’exploiter la forêt algérienne.
Mais cette histoire bien antique de nos forêts et nos bois ne peut nous faire oublier celle des incendies durant la période coloniale franco-européenne, pour ne pas dire celle de spoliation forestière franco-suisse. Les archives de la colonisation ont inscrit 21 années de dévastations de nos forêts par le feu entre 1863 et 1931. Ce que le discours colonial a nommé par « feu dû à des malveillances » est en fait à caractère politique. Dans Le Bulletin de la Ligue du reboisement de l’Algérie de 1915, nous pouvons lire dans l’intervention de M. Boutilly, Inspecteur des forêts et des eaux d’Alger, que :
« Si en 1913, les incendies de forêts peuvent être en partie imputés à la grande sécheresse due aux fortes chaleurs d’un été extrêmement rigoureux, on ne peut nier qu’il y a une certaine corrélation, entre incendies et les guerres de Turquie et de la Tripolitaine (Libye) qui ont fortement remué le monde musulman. La même observation s’attache à l’année de 1881, fertile en incendies de forêts, au moment où nous entreprenions la campagne de Tunisie ».
En 1902, les feux ont dévasté 75 000 ha dont 34000 ha dans les forêts dites domaniales et 32000 ha dans les « zones de protection » autour des forêts totalement dépeuplées d’Algériens, le reste dans les bois communaux et ceux des particuliers. Alors qu’en 1901, 6000 ha de forêts et 3000 ha dans les zones de protection ont été touchés. C’est la région d’Annaba qui a été le plus fortement atteinte.
Sur 74 incendies qui ont été allumés entre la frontière tunisienne et la ligne brisée entre Annaba, Guelma et Tébessa. Entre cette dernière et Souk-Ahras ce sont 1500 ha qui ont été parcourus par le feu.
Des feux de plus en plus violents ont été enregistrés du côté des Beni-Salah où 18000 ha ont été allumés par des incendiaires. A la même année, le massif d’Alger connaitra quelque 140 incendies parcourant quelques 9000 ha, face à cette recrudescence des incendies « la procédure coloniale de la responsabilité collective comme seul moyen de répressions contre les malveillants ».
Durant le mois de février 1922, la sécheresse a détruit 80000 ha de forêts à travers 600 foyers d’incendies dans l’ensemble du territoire de la colonie-Algérie. Plus de la moitié de ces foyers étaient encore centrés dans la région d’Annaba. Nous pouvons aussi lire dans les archives des Services coloniaux des forêts et des eaux qu’entre 1912 et 1931 quelques 346000 ha de forêts ont été dévorés par le feu presque tous les 8 ans.
Les années les plus critiques pour ces forêts algériennes sont celles de 1863, 1865, 1873, 1892, 1894, 1902, 1903, 1919, 1926 et 1931. On n’évoque nullement si cet enfer a fait des victimes indigènes, mais on se lamente durement sur le roi de la forêt d’Algérie : le pin d’Alep qui occupait 42% du territoire forestier.
Il l’occupe encore aujourd’hui. Une année après le Centenaire de la colonisation, un bilan de 1937 nous apprend qu’une « œuvre coloniale » du boisement a eu lieu sur quelque 3 838 459 ha, soit 18,5% de cette surface appartenaient au bassin de la Méditerranée, 21,5% aux Hauts-Plateaux, 13,5% au versant sud de l’Aurès et les 220000 ha restant étaient « considérer comme profondément dégradés ».
Le brasier de la cupidité
Si dès 1945, les incendiaires de l’Etat colonial ont eu recours an napalm de la dévoration de la matière algérienne, l’indépendance politique a ouvert ses portes et portillons aux politiques de l’extermination du patrimoine génétique de nos richesses botaniques. Il y a lieu de se rappeler fortement la date du 26/2/1995, les exécuteurs islamistes télécommandés par leurs « ligues satellitaires » d’outre-Méditerranée, venaient d’assassiner la professeure Khadidja Chenoufi-Aïssa de l’institut d’agronomie d’El-Harrach et mère de trois enfants.
Personne n’avait saisi le message de cette élimination programmée qui a mis fin au cerveau de l’engineering de la génétique botanique en Algérie qui allait achever une banque de données bien salvatrice pour nos futurs générations. Ce sont les mêmes « ligues » qui ont mis fin à l’architecte du programme nucléaire algérien vers la fin des années 70.
Lorsqu’un brasier de l’ampleur de celui qui a effacé de la surface de la terre un Parc naturel comme celui d’El-Kala, il n’y a pas lieu de faire appel à la WWF qui l’a classé auparavant et soutenu certains travaux de recherche au sein de l’Université Badji-Mokhtar d’Annaba, il y a lieu de s’inquiéter sur le devenir de la race humaine en Algérie surtout.
A El-Kala, on vient d’exterminer un patrimoine génétique et fossile de plus de 360 000 ans. Les biologistes et microbiologistes de la même universités le savent largement. Personne ne s’est intéressé à leurs travaux. Ils ont été de tout temps, ignorés par les pouvoirs publics de la très éloignée capitale d’Algérie.
Aujourd’hui encore on ne fait pas attention aux travaux des Meddour Rachid et Sahar-Ouahiba, de l’Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou, ni à ceux des Ziani Mahfoud et Merzag Djallal de l’USTHB- Bab-Ezzouar sur les incendies de forêts et le changement climatique en Algérie.
On préfère l’arnaque des « experts » étrangers. La très, très éloignée capitale d’Algérie est gravement distante de la réalité du pays et de la région. Personne n’a fait attention au « Rapport-alerte » de notre Direction générale des Forêts en date du 22/12/2018. Il est riche en enseignements.
Il est fondamental de mentionner que devant certains travaux de haute qualité scientifique dans les domaines de la végétation et de l’environnement en Algérie, la lecture politique n’incombent aucunement à ces compétences nationales du savoir. Elle intéresse par la gravité des interrogations que doit poser la société civile militante et non la superficielle société incivile mercantile. Il est question d’une démocratie de la recherche scientifique qui existe et devrait s’élargir d’avantage et qu’il est intéressant de revendiquer tout haut, faisant face à l’attentisme de la kaddarya de « divins Canadairs », des barakas d’un « Sidi-Beriev », des prophéties taoïstes de « Lalla Shinhong-5 » ou du maître japonais « ShinMaywa-US-2 » qui viendraient déverser leurs eaux bénites pour éteindre les feux de l’ignorance et de l’aveuglement collectif.
C’est à travers leur étude de terrain sur les stratégies de gestion des incendies des forêts en Algérie datant de janvier 2016 que les chercheurs de l’université de Tizi-Ouzou, nous apprennent qu’entre 1985 et 2010, il y a eu 42555 foyers d’incendies ayant parcouru 910640 ha de forêts.
A travers analyse temporelle des bilans des feux de forêts durant 25 années, nous apprenons que durant la seule année de 1994 (bien au début de la décennie-Rouge) quelques 271598 ha de forêts ont été calcinés dans la lutte cotre la horde islamiste et que 2292 foyers d’incendies ont été enregistrés par les deux organismes habilités, à savoir la DGF et la Protection civile. Durant cette période qui débute, selon nous, par l’année de l’Infitah Chadliste aux politiques de la Banque impérialiste mondiale jusqu’à celle de la « Réconciliation nationale » avec la bourgeoisie compradore, le risque des feux de forêts a bien été signalé entre extrêmement élevé pour les wilayas de Tipaza, Alger et Boumerdes et très élevé pour les wilayas de Blida et Tizi-Ouzou montrant une réelle « Guerre du feu » encerclant les centres névralgiques de la décision politique.
En terme de stratégie actuelle de la gestion des incendies, la lourde charge est attribuée à la seule DGF, qui est chargé de la prévention, de la prévision et de la lutte contre les feux de forêts. Que peut faire une DGF entre sensibilisation et surveillance, les postes de vigies, les brigades mobiles forestières, l’ouverture et l’aménagement de Pare-feu qui sillonnent nos forêts et que lors de l’intervention de ses hommes, on leur donne des pelles, pioches, batte à feu et quelques véhicules avec des citernes de 600 litres d’eau, La Protection civile n’intervient que lorsqu’il est question de feux d’enfer avec… des moyens, lourds certes mais bien classiques destinés aux interventions urbaines.
Ce n’est pas des avions espagnols du type Thrush 710P à l’origine d’usage agricole qui allaient solutionner tout ce déboire public, ni le Canadair CL-215T qui mettra fin à une gestion stratégique qui ne repose que sur deux textes législative, à savoir la Loi n° 84/124 du 23/6/1984 et du Décret n° 87/45 du 10/2/1987, en mettant aux archives les fameux textes sur la Défense civile.
Il y a une documentation scientifique algérienne qui relève bien « les difficultés rencontrés en matière de prévention » et ceux « en matière de lutte » de même que sur la restauration et l’aménagement forestier. Ce n’est pas aux scientifiques de trouver des solutions pour des institutions politiques qui ont désertés la forêt algérienne, la laissant accessible à des mains porteuses de « produits hautement inflammable » et des produits d’une guerre qui ne dit pas son nom !
« Merci pour votre attention au feu !! »
C’est ainsi que nos deux chercheurs de Tizi-Ouzou ont tenus à remercier leurs lecteurs. Mais sous les feux de la rampe les populations désabusées, les éléments de la forestière et les « Titans » de la protection civile, ceux des martyrs de l’ANP et des « Kamikazes » de la Kahrif-Sonelgaz poursuivront leurs attentes jusqu’à ce que la cupidité politicienne emplira le nord de l’Algérie de cendres permettant aux sables du Sahara de prendre place sur le littoral, faisant de cette Algérie le plus grand pays désertique d’Afrique.
Mohamed-Karim Assouane, Universitaire