Jeudi 28 janvier 2021
L’Algérie et la France vivent le présent au passé
L’Algérie navigue au gré des vents, sans boussole et sans gilets de sauvetage, sur une mer agitée à bord d’une embarcation de fortune dans laquelle se trouve une population jeune à la force de l’âge, serrés comme des sardines, à destination de l’Europe.
Ils fuient un beau pays arrosé du sang des martyrs béni de dieu, riche à millions et vaste comme quatre fois la France, qui sacrifie l’avenir de ses enfants et de ses petits enfants pour un verre de whisky, une coupe de champagne, ou un thé à la menthe. La remise à flots du navire Algérie suppose évidemment une répartition judicieuse de la population et une exploitation rationnelle de ses ressources humaines laissées en jachère par les politiques économiques suicidaires menées à tambour battant à la faveur d’une manne pétrolière et gazière providentielle en cours de tarissement dans un avenir proche.
Avec la colonisation, l’Algérie s’est trouvée défigurée urbanisée au nord sans industrie créatrice d’emplois, concentrée sur la bande côtière sans agriculture vivrière, centralisée dans la décision, ignorant la population autochtone, et tournée vers la métropole par l’exportation des hydrocarbures et ouverte à l’importation de produits de subsistance.
Ce schéma d’aménagement du territoire initié par De Gaulle dans sa politique de pacification sera poursuivi et amplifié par l’Algérie indépendante dans sa politique d’industrialisation et d’urbanisation à marche forcée. La reprise du plan de Constantine en est la preuve évidente. Industrialiser la bande côtière cultivable relativement bien arrosée et se rapprocher de la métropole pour remplir son couffin. Le regroupement des populations dans les villes permettant de mieux les contrôler en est un autre exemple.
Le transfert du pouvoir perpétuait indirectement le système de dépendance économique et culturelle vis-à-vis de la métropole. Il s’agissait pour la France d’imposer à l’Algérie indépendante un ordre politique et juridique qui garantisse la prééminence de ses intérêts stratégiques. On peut dire qu’elle a réussi admirablement son pari. En imposant des institutions dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société algérienne, et en refoulant l’islam dans le domaine privé pour en faire une valeur refuge des déshérités, le colonisateur préparait en fait la société postcoloniale à l’échec de la modernisation.
Une modernisation menée par l’Etat post colonial sans mobilisation de la nation dans la création de richesses et sans sa participation dans la prise de décision. Le nationalisme s’est révélé qu’un acte illusoire de souveraineté. L’indépendance politique n’avait pas suffi à elle seule à briser les liens de dépendance tissés à travers 132 ans de colonisation.
L’Etat centraliste et ostentatoire dérivé du modèle colonial a suscité le régionalisme, les dérives de l’intégrisme de ceux qu’il enferme dans un nationalisme formel et dans un rituel religieux sans esprit novateur. Si la recherche de l’indépendance fût un principe légitime, les pouvoirs mis en place n’ont pas toujours respecté les aspirations populaires qu’elles impliquaient.
La décolonisation a donné naissance à des entités étatiques artificielles dominées par des régimes politiques autocratiques et despotiques sans légitimité historique ou démocratique qu’ils soient monarchiques, militaires, ou policier veillant jalousement sur leurs frontières c’est-à-dire leur espace de domination politique, économique et culturelle. Pourtant, toutes les frontières sont aberrantes et artificielles mais aucun chef d’Etat arabe ne veut remettre en cause les frontières héritées de la colonisation, chacun tient à sa petite épicerie qu’il veut protéger des supermarchés.
La construction d’un Etat national d’inspiration de la mystique soviétique a permis aux dirigeants algériens d’occulter au nom de l’idéologie socialiste ses apparences avec le modèle colonial français, c’est-à-dire un Etat national comme héritier de l’Etat colonial français. L’Etat français dont les soubassements religieux et idéologiques sont passés sous silence. L’Etat français est le produit de l’histoire du Moyen âge et de la religion catholique romaine.
Un Etat qui ne fait qu’obéir à l’archétype du «Dieu chrétien » ; lequel, omnipotent, et omniprésent se tient hors du monde et dirige celui-ci par des lois et des décrets qu’il lui impose d’en haut. L’Etat est d’ailleurs parvenu à prendre la place du « Dieu chrétien » ou du «veau d’or des hébreux» dans la mentalité occidentale en devenant l’Etat providence.
C’est cette dimension mythologique, très conscientisée en occident, qui sert à le faire fonctionner. Non seulement il dirige et oriente le développement de la société avec un droit dont il est le seul maître, mais il l’impose d’en haut à la société, comme le «Dieu chrétien » impose ses commandements à ses fidèles. L’Etat providence s’est mis à la place du « Dieu chrétien ».
Cette logique centralisatrice qui tend à l’uniformisation de la société s’appuie sur une survalorisation d’un fond culturel gréco-romano-chrétien, s’oppose à la logique de la société algérienne laquelle est plurielle, obéissant à d’autres représentations, et à un autre modèle de souveraineté. En France, c’est le roi avec l’appui du clergé qui s’est imposé aux seigneurs féodaux.
Cet Etat providence vise à substituer à l’incertitude de la providence religieuse, la certitude de la providence étatique.
Etant propriétaire des gisements pétroliers et gaziers, l’Etat a donc le droit de s’approprier la rente qui l’a confortée dans la gestion de l’économie et de la société. Cet « Etat providence » assurait le contrôle et la répartition des ressources à partir essentiellement de la rente issue des hydrocarbures et de l’endettement qu’elle procure. Aujourd’hui, l’Etat providence en Algérie vit une crise de légitimité doublée d’une crise financière. D’un côté, il est contesté par une frange importante de la population et de l’autre il est bousculé par l’amenuisement de la rente pétrolière et gazière qui ne parvient pas à le maintenir en vie.
L’Algérie et la France vivent le passé au présent, elles en sont malades, d’une maladie qui semble incurable. Ni l’Algérie, ni la France ne veulent regarder ce passé ensemble. Ils se voilent la face : « Cachez-moi ce sein que je ne saurai voir, disait un personnage de Molière.
Il s’agit de sortir de la prison du passé et d’engager les relations sur la route de l’avenir. Un avenir hors de tous réseaux occultes dont les jeunes font les frais. Les algériens au milieu de la méditerranée, les français dans les rangs du terrorisme international produit des oligarchies financières qui avancent masquées dans un monde sans état d’âme où l’argent sale coule à flots’.
En fait, il s’agissait pour la France d’imposer à l’Algérie indépendante un ordre politique et juridique qui garantisse la prééminence de ses intérêts stratégiques. C’est pourquoi, le rapport entre contestation et répression, domination et émancipation est récurrent en Algérie. Dans la tourmente qui enfante de nouvelles sociétés ou qui les étouffe dans l’œuf, les situations semblables créent des jugements semblables. L’obstination de la France coloniale a produit le FLN, l’intransigeance du FLN au pouvoir a donné naissance au FIS.
Pour les dirigeants nationalistes algériens, une fois l’indépendance acquise, l’islam devait céder la place au socialisme « matérialiste » tout en décrétant l’islam religion de l’Etat et les frais de fonctionnement des mosquées prises en charge par l’Etat. En traitant les « autochtones » de « bougnols », des « moins que rien », (fainéants-nés, des voleurs-nés, des criminels-nés, des menteurs-nés), la France a fait de l’humiliation et de la soumission des techniques de maintien de l’ordre colonial.
Le régime politique algérien ne va-t-il pas instituer le mépris et l’arrogance comme mode de gouvernance ?
L’histoire se répète, les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets. « L’histoire est terrible avec les hommes et d’abord elle leur bande les yeux en leur faisant croire que le pire n’est pas pour eux ».
La colonisation française a débuté avec le pillage du Trésor d’Alger (La Régence), l’indépendance a commencé avec la disparition des fonds et des bijoux collectés au titre de la Caisse de solidarité nationale sous prétexte de renflouer le trésor public pour finir par la dilapidation et le détournement de mille milliards de revenus pétroliers et gaziers par les gouvernants condamnant leur propre peuple à une pauvreté certaine. La révolution algérienne qui a démarré avec la mort d’un instituteur français tué par le FLN dans les Aurès s’est terminée avec l’assassinat d’un instituteur algérien par l’OAS en Kabylie. C’est là tout un symbole. Les régimes déclinants résistent à la critique verbale.
« La force de l’histoire contre la force des armes ». En imposant un schéma institutionnel dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société indigène, et un modèle économique étranger aux réalités locales des populations, le colonisateur préparait en fait la société postcoloniale à l’échec de la modernisation politique et au développement économique. Les services secrets français ont joué un rôle important. Ce n’est pas un pur hasard que la plupart des ambassadeurs qui sont passés par Alger se retrouvent le plus souvent à la tête de ces services Aujourd’hui, la France a-t-elle perdu pied en Algérie pour que son ambassadeur déclare avoir été surpris par le peuple algérien ?
Depuis quand le peuple algérien fait partie de l’équation politique de la France ? Le peuple algérien n’est pas un peuple guerrier, il n’a envahi aucun territoire, la violence n’est pas inscrite dans ses gênes, c’est un virus que la France coloniale a injecté sur son corps innocent. La syphilis de triste mémoire.
La société autochtone était saine, instruite et pieuse avant l’arrivée des troupes françaises porteuse des gènes de la violence. Qui ignore la guerre de « cent ans ». Certainement pas la France et encore moins l’Angleterre. Le peuple algérien est un peuple rebelle mais fier. Ce qui le caractérise, c’est sa patience, son pacifisme, sa résilience.