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L’Algérie : « Libération » des détenus politiques ou maintien du statu quo ?

An Algerian protester holds a placard reading "Release prisoners of conscience" during a demonstration against the ruling class in the capital Algiers on October 4, 2019, for the 33rd consecutive Friday since the movement began. (Photo by Ryad KRAMDI and RYAD KRAMDI / AFP)

Les codes du pouvoir algérien sont ce qu’ils sont ; plutôt que d’aborder les questions dans la transparence, il opte toujours pour des méthodes sournoises telles que la rumeur et les ballons d’essai.

Depuis l’indépendance, le régime a perfectionné l’art de la manipulation de l’information et de l’intoxication. Les acteurs politiques, quant à eux, se sont adaptés à ce mode de fonctionnement, réagissant aux indiscrétions distillées à leur intention. Ce jeu d’ombres et de lumières maintient la société dans un état de confusion permanente, empêchant l’émergence d’un débat public sain, tout en se nourrissant d’une science ésotérique : la « systèmologie ».

Ainsi, en ces lendemains du 7 septembre 2024, date de l’historique fraude électorale, plusieurs voix s’élèvent pour aborder la question essentielle de la libération des détenus politiques.

Appels à la grâce présidentielle ou à l’amnistie : Aouchiche, Hanoune et Sadi

Aouchiche, figure montante cooptée en leader du pôle « progressiste », appelle son « Président » de sa « République » à user de son droit de grâce. Son appel complaisant reflète une stratégie rampante visant à obtenir un geste minimal sur la question des détenus. Il mise sur la magnanimité du régime pour sauver la face après une reddition sans honneur et, peut-être, sans autre contrepartie que celle de jouer le rôle figuratif de caution démocratique de la régence.

Louisa Hanoune, vétérane de la scène politique et récemment écartée de l’élection pour un second mandat, plaide pour une large amnistie. Son exclusion du processus électoral illustre la volonté du régime de marginaliser certaines voix qu’il semblait avoir intégrées. En appelant à une amnistie générale, « autour du 5 octobre ou du 70ᵉ anniversaire du 1er novembre », elle s’inscrit déjà dans une dynamique de participation aux échéances électorales anticipées, qui semblent être tenues pour acquises.

De son côté, à la veille du 20 août, Saïd Sadi, figure emblématique du combat pour la démocratie, a appelé à une amnistie générale qui toucherait également les personnalités emprisonnées dans le cadre de la guerre des clans ouverte à la fin du règne de Bouteflika. Son appel vise à dépasser les divisions internes pour instaurer un climat propice au dialogue et à la réconciliation nationale.

Tous semblent rechercher un « apaisement » dont on ne sait s’il donnera un répit à la société ou plutôt à la régence.

Des signes d’un possible « geste » du pouvoir ?

Si tous ces acteurs politiques parlent des détenus, c’est qu’il se peut que le dossier soit à l’ordre du jour des conciliabules entre les décideurs. Les rumeurs circulent sur un possible « gouvernement d’apaisement ». Cette perspective induira-t-elle vraiment un élargissement des détenus politiques à l’occasion du 70ᵉ anniversaire du déclenchement de la guerre d’indépendance ? Le pouvoir pourrait ainsi tenter, une nouvelle fois, de redorer à moindre frais son blason en faisant un geste symbolique sans conséquence sur sa pérennité.

Cependant, cette éventuelle libération devrait soulever des questions fondamentales. Est-il concevable de tenir pour un geste d’ouverture une démarche qui traite les détenus politiques comme une monnaie d’échange ? Le régime, loin de chercher à sortir de sa défiance antisociale, utilise encore le sempiternel stratagème du « pardon » pour gagner du temps et consolider son emprise sur le pays.

Les détenus politiques : de victimes d’un système arbitraire à monnaie d’échange

Les faits sont simples : le régime algérien, usant autant de la force que de sa capacité à pervertir la loi, a constitué un stock de détenus politiques. Des journalistes, des militants des droits de l’homme, des étudiants, des artistes, de simples citoyens, tous arrêtés pour avoir osé exprimer leurs opinions ou dénoncer les injustices.

Cette masse de victimes de l’arbitraire sert, en premier lieu, à intimider la société et à terroriser les individus. Les arrestations arbitraires, les procès inéquitables et les condamnations lourdes ont semé la peur. Chaque Algérien se sent un détenu en puissance et cède à l’instinct individuel de conservation.

Ces otages, qui se comptent par centaines, offrent, en second lieu, la possibilité de mettre en scène un geste qui passerait pour magnanime. Un élargissement qui ne serait pas forcément une libération, encore moins une réhabilitation des détenus.

Au moment jugé opportun par la Régence, les détenus seraient relâchés, sans que cela ne constitue aucune forme de reconnaissance de l’injustice subie, sans réparation des torts, et sans la moindre garantie qu’un tel arbitraire ne se reproduira pas. Cette stratégie permet au pouvoir de se présenter comme clément tout en maintenant un contrôle strict sur la population.

La diversion de la transition démocratique

L’ultime avantage de cette démarche, et pas des moindres, est celui d’instrumentaliser la question des prisonniers politiques comme écran à la question fondamentale de la transition démocratique. En focalisant l’attention sur les libérations, le régime détourne le débat des réformes nécessaires pour instaurer une démocratie réelle. Les libérations ponctuelles servent de soupape pour relâcher la pression sociale, sans s’attaquer aux causes profondes du malaise.

La transition démocratique en Algérie est un serpent de mer. Depuis des décennies, des promesses sont faites, des espoirs sont suscités, mais le système reste inchangé. Les institutions demeurent sous le contrôle du pouvoir exécutif, les élections sont manipulées, et les contre-pouvoirs sont inexistants. Tant que la transition démocratique n’est pas imposée par un rapport de force populaire, les mêmes schémas se répéteront.

Niaiserie volontaire

Nonobstant l’ampleur du rejet exprimé le 7 septembre dernier, on peut consentir, à l’insu de notre propre jugement, à considérer que le reflux du mouvement populaire est à ce point marqué qu’il faille voir l’élargissement des détenus politiques comme un acquis d’étape. Dès lors, se posent un certain nombre de questions que nos politiques voudraient vite évacuer.

Les condamnés à mort de Larbaâ Nath Irathen : une injustice criante

La première d’entre elles est celle des quarante condamnés à mort de Larbaâ Nath Irathen. Nos politiques, qui appellent à un geste de la régence, incluent-ils ces détenus dans le lot des victimes de l’arbitraire ? Ou bien la question leur semble-t-elle si épineuse qu’ils préfèrent la commode attitude de les exclure ? Ces jeunes, originaires de Kabylie, ont été arrêtés dans des circonstances troubles.

Le drame de Djamel Bensmaïl : une manipulation étatique ?

Feu Djamel Bensmaïl, artiste engagé, a été lynché à mort en août 2021. Il a été livré par les services de renseignement à la vindicte d’une foule excitée, à qui il a été présenté, à tort, comme l’un des pyromanes à l’origine des incendies dévastateurs ayant ravagé la Kabylie. Son assassinat a choqué la nation. Les circonstances de sa mort restent entourées de zones d’ombre. Des vidéos ont montré l’inaction, voire la complicité, voire l’instigation même, des forces de l’ordre présentes sur les lieux.

Les quarante jeunes condamnés à mort pour son assassinat ont été jugés dans un procès expéditif, sans respect des droits de la défense. Des témoignages évoquent l’usage de la torture pour extorquer des aveux. Ces jeunes sont devenus les boucs émissaires d’un système qui cherche à étouffer la vérité sur les incendies en Kabylie, une opération quasi militaire menée sous faux drapeau.

Djamel Bensmaïl a droit à la justice, mais à une véritable justice. Cela commence par une enquête indépendante sur les circonstances de son assassinat. Qui a orchestré ce lynchage ? Quel a été le rôle véritable des forces de l’ordre ? Qui sont les responsables ?

Les dernières victimes en date : les supporters du MCA

À une autre échelle, les supporters du Mouloudia Club d’Alger (MCA) arrêtés lors de la machination du 21 septembre 2024 doivent eux aussi être considérés comme des détenus politiques. Le football, véritable passion nationale, a souvent été utilisé par le régime pour canaliser les frustrations populaires. Ces supporters, accusés à tort de troubles à l’ordre public, ont été arrêtés pour servir d’exemple et dissuader toute forme de rassemblement spontané.

Le cycle infernal des transactions

L’Algérie a connu de nombreuses transactions de ce type : des libérations contre l’aménagement d’étroits espaces d’expression. Mais à chaque fois, le régime a reconquis les espaces concédés. Les précédents accords ont permis au pouvoir de renforcer sa légitimité tout en muselant des pans de la société.

Peut-être qu’encore une fois, il faille se contenter de ce nouveau marché de dupes. Pourtant, accepter ces transactions sans exiger de garanties pour l’avenir revient simplement à cautionner les pratiques du régime et à perpétuer l’injustice.

#Yetnehaw ga3 est toujours d’actualité

Pour sortir de cette impasse, la société civile et les acteurs politiques devraient unir leurs forces. Les divisions internes affaiblissent le mouvement pour le changement. Il est essentiel de construire une coalition large, incluant toutes les composantes de la société, pour peser sur le régime et exiger des réformes. Le Hirak, sous une forme sourde, a encore frappé fort le 7 septembre 2024. Sa capacité à mobiliser pacifiquement les Algériens pour revendiquer leurs droits est toujours là. Cette dynamique peut resurgir à tout instant, mais nos politiques, plutôt que de la souhaiter, semblent plutôt craindre cette éventualité.

Le moment est crucial pour l’Algérie. La libération des détenus politiques ne doit pas être une simple monnaie d’échange pour le pouvoir en place, mais la conséquence d’un véritable départ de la transition démocratique. Les Algériens aspirent à vivre dans un État de droit où les libertés individuelles et collectives sont respectées.

Il appartient aux acteurs politiques, à la société civile et à chaque citoyen de se mobiliser pour construire l’avenir du pays. Le cycle des transactions et des concessions ponctuelles n’est plus de mise ; il devrait laisser place à un véritable changement.

Le pouvoir doit comprendre que la répression et les manœuvres dilatoires ne feront qu’aggraver la situation. Seule une ouverture réelle, basée sur le dialogue, la justice et le respect des droits de l’homme, permettra de sortir de l’impasse.

Les défis sont immenses, mais l’espoir est permis. L’Algérie possède les ressources humaines, culturelles et économiques pour devenir une démocratie prospère et un acteur positif pour la région. Le courage et la détermination du peuple algérien peuvent surmonter les obstacles.

Il est temps pour tous les Algériens, où qu’ils soient, de se lever pour défendre leurs droits. Les détenus politiques ne doivent pas être oubliés, mais ils ne doivent pas être instrumentalisés.

Chaque voix compte. Chaque action, si petite soit-elle, peut contribuer à changer le cours de l’histoire. L’avenir de l’Algérie est entre les mains de son peuple et seulement de son peuple.

L’histoire a montré que les régimes autoritaires finissent par s’effondrer sous le poids de leurs contradictions et de leur obstination. Il est temps pour l’Algérie de tourner la page et d’écrire un nouveau chapitre de son histoire, fondé sur la justice, la liberté et la démocratie.

Mohand Bakir

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