L’Algérie était plus qu’une colonie, c’était «un morceau de la France». La France ne pouvait se « dépiécer» sans de profondes déchirures qu’il fallait panser aussitôt avant qu’elles ne s’infectent.
C’était là le rôle dévolu aux services secrets français. Il était impensable à la France de laisser les Algériens construire seul leur propre Etat, de disposer de leur économie, de choisir librement leurs dirigeants. Il est dans la pratique française de coopter les dirigeants de ses ex colonies; ce qui ne fût pas le cas des britanniques pour leurs propres colonies qui disposent, il faut le dire, d’une expérience plus grande et d’une connaissance plus avertie des mentalités des peuples arabes.
Le royaume britannique permettait à ses sujets de choisir leurs propres dirigeants. Il faut dire que l’empire britannique était plus expérimenté et plus avisé que l’empire français.
Dans les faits, l’Etat indépendant continue l’Etat colonial, il reste séparé du peuple et proche de la métropole. Qu’est-ce que l’indépendance d’un pays ? Est-ce la continuité, la rupture ou le legs de l’Etat colonial ? Tenter une réponse à ces questions est une opération bien périlleuse. L’histoire officielle nous apprend que le pouvoir colonial avait atrophié l’initiative privée, empêché le développement autonome, marginalisé les autochtones. La réalité d’aujourd’hui nous interpelle.
Le pouvoir post-colonial n’a-t-il pas poursuivi la même politique ? On croit savoir que la colonisation a été toujours placée sous le signe de l’économie dirigée et que de l’Etat colonial à l’Etat national ne s’est opéré qu’un certain déplacement du centre relais. Ce qui n’était qu’un centre administratif devient capitale d’où un certain recentrage politique.
L’acquisition de l’indépendance politique ne signifiait pas pour autant ni l’indépendance économique, ni l’abdication de la France coloniale.
L’indépendance politique n’avait pas suffi à elle seule à briser les liens de dépendance tissés à travers 130 ans de colonisation. En effet, une fois mis au monde, l’Algérie subira un traumatisme qui la
plongea dans un coma profond.. Après une longue nuit d’un sommeil artificiel sous l’effet de l’administration de psychotropes que sont les revenus pétroliers et gaziers, le peuple algérien s’est réveillé par miracle dans un sursaut national salvateur.
Il s’est aperçu que le cordon ombilical qui le relie à la France n’est pas coupé. Il déduit qu’il n’est pas tout à fait libre..
Dr A. Boumezrag
Le fil conducteur de toutes vos contributions nous ramène sans cesse, soit à des complots ourdis par l’ennemi, comme si ce n’était pas dans son rôle de nous affaiblir et que ce ne serait pas du notre de les déjouer, soit à je ne sais quelle malédiction, qui retournerait la fameuse allégorie du maître et de l’esclave de Hegel, tel cet ancien esclave incapable d’assumer sa propre liberté qui, dès que libéré prend peur et court se réfugier dans le giron protecteur de son ancien maître.
Le recours fétichiste à la psychologie permet souvent de faire l’économie d’une analyse rationnelle des faits, qui aurait permis de situer dans les dérives idéologiques du Mouvement National lui-même, les causes profondes de cette aliénation qui, depuis près d’un siècle, obère la lutte de notre peuple pour sa libération totale. Il faudrait remonter aux années 1930 pour observer la dérive nationaliste arabe du Mouvement National dirigé par Messali, sous l’impulsion du théoricien du nationalisme arabe, Chakib Arslan, auteur du concept de la « Al Umma al arabiya, min el Muhit illa el Khalidj », dérive qui, progressivement, est passé de la Nation algérienne de cette réalité forgée par l’Histoire, la culture et la géographie physique et humaine qui la rattachent à l’Afrique du nord, à la chimère de la Nation algérienne, partie intégrante d’une Nation arabe dont le Machreq arabe et le Maghreb arabe ne seraient que les deux versants d’un seul et unique territoire. La libération de cet espace composite serait, bien entendu, l’œuvre de quelque Zaïm autoritaire et charismatique, nouveau Messie en charge du retour à l’âge d’or! Simultanément, dès sa création en1931, Abdelhamid Benbadis, chef de Association des Uléma algériens, d’inspiration islamique réformiste, dans la lignée de Jamal al-Din al Afghani et de Mohammad Abdhuh, tout en proclamant sa fidélité à la France coloniale, affirmait « l’Algérie est notre patrie, l’arabe est notre langue et à l’arabité nous nous rattachons », profession de foi reprise, plus tard, à leur compte par les tenant du nationalisme arabe en Algérie, pour forger l’idéologie arabo-islamique, ce mélange explosif de deux identités meurtrières qui prétendent soumettre notre peuple à leur volonté, l’une par l’épée, l’autre par la Loi de Dieu!