AccueilChroniqueQuand on a le pouvoir, on n’a pas besoin d’intelligence (*)

Quand on a le pouvoir, on n’a pas besoin d’intelligence (*)

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Nous faisons l’hypothèse que la dépendance de l’économie algérienne vis-à-vis de la rente énergétique est le phénomène marquant de ces cinq dernières décennies, tant sur le plan économique et social, que sur le plan politique.

Les ressources financières issues des exportations des hydrocarbures se différencient des produits agricoles par leur caractère non reproductible. La non reproductibilité des hydrocarbures pose le problème de l’utilisation de la rente dont la finalité est de créer un revenu permanent susceptible de permettre la rupture de la dépendance vis à vis de la rente. Parler de l’utilisation de la rente revient à discuter l’origine de son titulaire. 

En Algérie, c’est l’Etat, au nom de la collectivité, qui est propriétaire des richesses du sous-sol. Dans une économie rentière, l’Etat est intéressé par le développement et la reproduction de son pouvoir. Il peut donc se soustraire à un mode gestion rigoureux qu’auraient incitée les lois marchandes dans une économie productive. 

Les pouvoirs publics s’adaptent à la conjoncture en se montrant prodigue, en période de « vaches grasses » et austère à la limite de l’impopularité en période de « vaches maigres ». La prodigalité peut être facilement montrée à travers une logique distributive particulièrement due à une politique d’emploi des salaires sans rapport avec les normes d’encadrement et de productivité. L’existence d’une rente importante a permis aux salaires d’absorber l’ensemble des pertes de productivité. 

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Le développement du pouvoir d’achat n’est pas suivi d’une offre substantielle et finit donc par gonfler la demande d’importations. L’Etat, en généralisant le système de distribution offre des  situations de rente aux favoris du système c’est-à-dire à la couche au pouvoir et à sa périphérie. Pour bénéficier de tels avantages, il suffit de jouir d’un  « capital relations » assez important; Il n’est nul besoin d’avoir beaucoup d’argent. 

Plus encore ces nouvelles fortunes se développent sous la protection de l’Etat qui leur réserve l’accès à ce marché.  Par son attitude volontariste, qui consiste à refuser les ajustements marchands, l’Etat se prive d’un différentiel de revenus substantiels qui va gonfler les richesses privées. L’étatisation au lieu d’être une stratégie de rupture avec les formes économiques de type privatif semble être plutôt la condition. L’abondance des ressources avait permis de reléguer la rigueur dans la gestion, à l’arrière-plan, tout en offrant à une population un minimum rendu possible par un environnement international favorable. 

En Algérie, la rente énergétique est une source d’accumulation de nature étatique, la concentration entre les mains de la puissance publique de la rente pétrolière et gazière et des possibilités d’endettement qu’elle procure se traduit par l’extension de l’appareil administratif et le développement étatique des fonctions économiques et sociales.

Dans une économie rentière, l’Etat veille à l’équilibre socio-politique. La rente lui conférant une aisance d’arbitrage. La rente a permis à l’Etat de mener de front une politique d’investissement extensive et celle d’une amélioration du niveau de vie de la population. 

Tirant sa prospérité financière d’un secteur enclavé dont les fluctuations dépendent de la stratégie des multinationales, elle est à la merci d’un retournement de marché. Une réduction des exportations de pétrole, du fait, soit d’un ralentissement de la demande, soit d’un épuisement des réserves fait surgir au grand jour des tensions latentes. La position de la balance des paiement se détériore, les réserves de change fondent rapidement, remettant en cause les objectifs des programmes de développement, les conflits sociaux s’aiguisent, la crise politique s’accentue.

 Le consensus, jusqu’ici fondé sur la rente énergétique s’amenuise pour ne pas dire disparaît, et soumet l’Etat à la recherche de voies et moyens qui permettent la transition d’une situation d’intérêts inconciliables à une situation d’intérêts antagonistes. Les rapports entre l’Etat et la société se sont trouvés altérés.

Depuis 1986, l’Algérie est confrontée à une grave crise multidimensionnelle aux conséquences de plus en plus désastreuses. Elle révèle une véritable crise de civilisation, une crise de valeurs, à tel point qu’on assiste à une autodestruction. 

Une population qui voit la misère frapper à sa porte, réclame plus de justice pour une équitable répartition de la richesse mais également un partage de la pauvreté. L’histoire récente du pays vient de démontrer dramatiquement que le droit de propriété ne peut s’accommoder d’abstraction et la nature a horreur du vide. L’économie rentière est désarmée face à une chute des prix des hydrocarbures.

Par conséquent, « …tout choc externe violent jouant dans le sens d’une réduction de cette rente compromet la stratégie de l’Etat et remet en cause le modèle de développement retenu… », et tout conflit social non résolu constitue en même temps une atteinte à la base économique de l’Etat et une remise en cause de la légitimité du pouvoir. 

L’erreur de la stratégie algérienne de développement réside à notre sens dans l’automatisme qui consiste à vouloir se débarrasser de ce que l’on a au lieu de l’employer productivement chez soi ; la finalité de l’économie fût ainsi dévoyée, car il ne s’agissait pas d’améliorer ses conditions de vie par son travail mais par celui des autres grâce au relèvement des termes de l’échange avec l’extérieur. Or, il nous semble qu’une amélioration des termes de l’échange avec les pays développés ne peut être acquise que par une valorisation du travail local.

L’insertion dans le marché mondial fragilise l’Etat algérien soumis aux aléas de la conjoncture mondiale. Il en résulte que le pouvoir demeure faible à l’intérieur et subordonné à l’extérieur.

Dr A. Boumezrag

(*) proverbe russe  

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