« Qui meurt pour Dieu
Se jette dans le vide
Qui meurt en martyr
Se mène en bateau
Qui meurt pour la patrie
Fait fausse route
Dieu a inventé le désert
Pour se faire pardonner la création de l’homme
Les hommes ont inventé la Religion
Pour pouvoir haïr, à cœur ouvert, la femme
Écrire c’est apprendre chaque jour
À trainer davantage Dieu dans la boue »
Avec ce poème, Mohamed Kacimi donne le ton à son premier recueil qui marque, et de quelle façon, son entrée fracassante dans le monde de la poésie. Et quelle poésie ! Nous avons toujours connu l’ami Kacimi comme le dramaturge le plus prolifique de la scène théâtrale algérienne avec des pièces tellement prenantes qu’il me semble qu’elles font désormais partie de notre patrimoine commun.
Il me suffit de nommer Tous mes rêves partent de gare d’Austerlitz et Congo Jazz Band. Entre autres. Romancier, Mohamed Kacimi nous a offert Le Mouchoir et Le Jour dernier.
L’amour ne doit pas faire de vagues est un recueil dans lequel l’auteur, le poète, est habité par une double problématique, l’amour et le pays. La hantise de la religiosité n’est pas loin non plus. Ces poèmes sont des balles de feu qui résument toutes les solitudes sur une terre minée, érodée par les vents de l’extrême perdition, dans un pays insolent, miné par les cataclysmes irréductibles. Balles de vie sans cesse tourbillonnant dans le désert d’une mémoire en perpétuel mouvement.
Les mots de ce poète « né entre une mosquée et un cimetière/ Les morts d’un côté et Dieu de l’autre » sont des barils de poudre – des barils d’images, de vagues brûlantes, même si l’amour n’en fait pas, et de visages égarés. Un baril qui explose et qui produit les étincelles de la décomposition permanente, présente jusque dans ce « sexe (qui) garde tout en mémoire, / Le regard, la main, la peau / Les lèvres qui le baguent/ Le souffle, et le goût des pores / la langue qui lape l’orage ».
Comment dès lors résister à cette force « audacieuse » venue d’une terre intrépide, impitoyable, rebelle au temps, où s’élabore à chaque instant dans l’éclatement des blasphèmes, le rythme séculaire d’une magie de la quête infinie :
Faut-il écimer à ce point les hommes
Pour faire croire à Dieu qu’il est grand ?
Cette terre n’est fertile qu’en dieux
Ils poussent comme des herbes folles
Les hommes broutent les racines du chiendent
Et jurent qu’elles ouvrent les portes du Paradis
Ici, l’amour ne fait jamais de vague
Mis à l’index par Dieu
Cloué au pilori par les hommes
Il vit partout en passager clandestin
L’amour rase les murs
Quand un désir naît par miracle
Les amants prennent le maquis
Ici, Dieu ne manque pas d’air
Ainsi nous contemplons le visage du poète comme un panneau d’interdiction d’aimer, échoué sur un rivage lointain, un visage qui, malgré les hautes solitudes et les errances, reste en communion avec l’espace interdit où les rêves s’évanouissent et prennent la couleur maquillée du présent.
Kamel Bencheikh
L’amour ne doit pas faire de vagues de Mohamed Kacimi
Éditions Al Manar 2023, 17 €