7 mai 2024
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Yasmine Madaoui parle de son recueil de poésie « Stylo et Pinceau »

Yasmine Madaoui

Yasmine Madaoui vient de nous offrir un bouquet de fleurs en publiant un beau recueil de poésie illustré par de magnifiques aquarelles de Hassiba Mokraoui. En parcourant les pages de ce lumineux recueil, nous sommes saisis et envahis par la profusion de couleurs dans un élan poétique sans cesse renouvelé qui n’échappe ni au regard ni au cœur dans un jaillissement d’émotions considérable.

Yasmine Madaoui a accepté de répondre à nos questions avec la grande générosité qui la caractérise.

Le Matin d’Algérie : Yasmine Madaoui, vous êtes médecin et vous venez de publier un recueil de poésie « Stylo et Pinceau », pouvez-vous nous parler de cette relation entre la poésie et la médecine ?

Yasmine Madaoui : Je vous retournerais bien la question en vous demandant si vous pourriez faire une quelconque action sans que votre esprit ne se soit chargé auparavant de l’anticiper : le corps d’une personne et son esprit ne font qu’un.

Georges Canguilhem écrivait que « l’acte médicochirurgical n’est pas qu’un acte scientifique, car l’homme malade n’est pas seulement un problème physiologique à résoudre, il est surtout une détresse à secourir ».

Il me semble qu’on pourrait retrouver la création artistique (langage, peinture, sculpture) au croisement du somatique et du psychique.

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Je vais aller plus loin dans ma réflexion en me permettant d’établir un lien entre la psychothérapie et la poésie. Le corps se fait soigner par un médecin, l’esprit se fait soigner par un psychiatre et, entre les deux, le poète trouverait sa place.

Dans son livre « Le Délire et les rêves dans la Gradiva de Jensen, Paris, Gallimard, 1986 », Freud rend hommage aux poètes : « Ils sont de précieux alliés et il faut placer bien haut leur témoignage ».

Je vous confie qu’à la fin de mes études médicales à la faculté de médecine d’Alger en 85, il était question que je passe le concours pour pouvoir me classer et effectuer mon résidanat, je vous donne dans le mile, en psychiatrie !

J’avais effectué mon internat à L’hôpital psychiatrique Frantz-Fanon de Blida, j’ai été impressionnée et tout de suite séduite par l’approche non médicamenteuse (l’ergothérapie, la musicothérapie et le sport) qu’a introduite le Dr Frantz Fanon dès son arrivée en 1953.

Hélas, j’ai préféré rentrer chez moi, mon éloignement du cocon familial était trop lourd à gérer et quelques années en plus à passer au loin me semblaient impossibles.

Pour en revenir au lien entre la médecine et la poésie on pourrait voir la chose sous deux angles :

Le poète serait un « malade » qui aurait la conscience de soi de la poésie et qui considèrerait sa poésie comme sa « thérapeutique », avec un bénéfice psychique personnel qu’il retire de l’écriture de son poème.

Ou encore, la poésie serait une « thérapeutique » pour le poète mais pour le lecteur aussi. Les mots, écrit Freud en 1890, « sont l’outil essentiel du traitement psychique ». Le poète, par ses mots, peut soigner les âmes tourmentées comme par magie. Et oui, de la magie avec des mots qui sont souvent déliés de la phrase, qui ont une sensibilité particulière et qui fond références bien souvent à des maux.

Le poète possèderait l’art de combiner les mots, les sonorités, les rythmes pour évoquer des images, suggérer des sensations, des émotions pour se soigner et soigner les autres.

Le Matin d’Algérie : Vos poèmes sont illustrés par des belles aquarelles, c’est une belle rencontre, le stylo et le pinceau forment une sorte de symbiose, comment avez-vous réussi cet exploit ?

Yasmine Madaoui : Le stylo murmure des mots, la harpe murmure des mélodies, deux mondes qui se rejoignent dans « une ivresse poétique ». Imaginez l’œuvre poétique de Omar Khayyâm dans les « Rubaiyat» ou encore « Les Paradis artificiels » de Baudelaire, récités avec le murmure d’une harpe en musique de fond, c’est sublime. Le poète devient chanteur!

Le stylo dessine des mots, le pinceau dessine des apparences, deux univers artistiques qui se rencontrent. Imaginez qu’un poème, avec un contour graphique sur une page, forme un dessin qui illustre les vers ou encore qu’une belle aquarelle s’offre au regard d’un poète, c’est magnifique : Le poète devient peintre !

Une aquarelle est un feu d’artifice poétique,

Et les émotions, sur nos lèvres, un cantique.

Les pinceaux, les stylos, en nous, s’emmêlent

En un recueil aux couleurs de l’arc-en-ciel.

Le Matin d’Algérie : Vos origines algériennes kabyles, votre double culture, nourrissent-elles cette maturité poétique ?

Yasmine Madaoui : Il est vrai que ma double origine, berbère et française, m’a fait côtoyer deux mondes différents et vivre dans chacun d’entre eux comme s’il était le seul mais m’a aussi doté de deux sensibilités différentes qu’il a fallu mixer quelque fois l’une au détriment de l’autre.

La culture et les traditions berbères et celles françaises sont loin d’avoir des passerelles qui les lient entre elles même si une histoire commune est née du fait de la colonisation. Quelque fois, je me dis que je suis le fruit de cette histoire commune avec tout ce qu’elle charrie avec elle de bon et de mauvais.

Apprendre à composer avec les deux en même temps a créé des déchirures et des plaies que j’ai recousues en enlaçant le fil de la chemise de la combative Jeanne d’Arc la pucelle et celui de Taqendurt de la reine guerrière Dihya.

Je tiens à préciser que je suis loin d’avoir atteint une maturité poétique. Je ne fais qu’apprendre à taquiner les mots :

Ma pensée dessine les contours de la feuille,

Laissant la rosée perlée y griffonner mes confessions,

Pour finalement ne plus prêter à mon recueil,

Que des vestiges de notes condamnées à la disparition.

La nymphe se révélera, alors, dans ma romance en deuil.

Le Matin d’Algérie : Est-ce que le regard du médecin a une influence sur le regard de poète ?

Yasmine Madaoui : Sûrement. La poétesse en moi, si je puis me permettre de me donner cette qualité et le médecin que je suis devenue de par mes études, ne font qu’une et même personne : Moi, avec ma sensibilité et mon amour pour les autres, ma colère quelque fois et mon soucis d’égalité avec la gente masculine.

Je ne me qualifierais pas de féministe mais de femme libre et déterminée à conserver mon indépendance. D’autant, que pour le médecin que je suis, la fameuse différence vient tout simplement du chromosome Y. Les hommes présentent un chromosome Y et un chromosome X, alors que les femmes ont deux chromosomes X. Cela change-t-il grand-chose ? Juste à donner à chaque sexe des forces qui lui sont propres pour vivre et en aucun cas donner des limites.

Le médecin connait le corps de la femme qui se trouve être aussi le mien et ne comprend pas cet irrésistible souhait de nos sociétés patriarcales et traditionnelles de le soumettre.

Je suppose que cela fait de moi une poétesse engagée dans le combat des femmes d’autant plus que la plupart des traditions religieuses sont castratrices pour les femmes. Elles se servent des différences physiques pour imposer leur hégémonie sur la gente féminine. Elles évoquent la responsabilité d’Eve et le péché originel, la ruse et la “tromperie féminine”, l’impureté de son corps capable de mettre au monde les enfants y compris de l’autre sexe.

La poésie est le vecteur qui s’est imposé à moi pour véhiculer ce sentiment d’injustice profonde.

Le vent ligote les épis de ses cheveux,

Comme des lianes pour museler

Sur sa bouche, le cri de sa rage étouffée.

Pour gronder, il lui reste, ses grands yeux,                  

Deux émeraudes, brillants des plus précieux.

Yasmine Madaoui
Yasmine Madaoui

Le Matin d’Algérie : Quels sont les poètes qui vous influencent ?

Yasmine Madaoui : Cette question me met mal à l’aise car, quand les mots se bousculent, ce sont plutôt les événements, la vie de personnes, ma propre vie, les histoires de la mythologie et les contes d’enfant qui m’inspirent.

Mais je veux vous parler d’un petit recueil de poésie qui m’accompagne depuis 1980, date à laquelle je l’ai acheté à la foire d’Alger alors qu’il venait juste d’être édité à la SNED.

J’aime ce livre. Il a vieilli à mes côtés. Ses pages se sont jaunies sous  la patine de l’âge, 43 ans ! J’ai personnalisé chaque poème par des croquis esquissés qui reflètent mon ressenti à leur lecture.

Je veux nommer « Cristal du rêve » de Rachid Zerrouki, Né en 1948, décédé en 2002, a fait ses études supérieurs à la faculté de médecine d’Alger.

« Je découvre Dieu en rompant la tige d’une fleur.

Je le perds en cherchant une demeure. »

Comme pour mon petit recueil, Les émotions qui s’en exhalent sont labiles. Elles apparaissent et puis s’en vont comme un cadeau éphémère qui laisse un goût d’inachevé. Il ne reste plus qu’à le relire de nouveau et comme un arbre non greffé, la saveur de son fruit sera à chaque fois renouvelée.

Le Matin d’Algérie : Peut-on dire qu’écrire est une sorte de délivrance pour vous ?

Yasmine Madaoui : Délivrance ? Un bien grand mot qui me fait rebondir à votre question première. La poésie serait donc une « thérapeutique » pour le poète. D’après Freud, les mots seraient l’outil essentiel du traitement psychique. Et donc, par des mots magiques le poète soignerait son âme tourmentée ?

Rachid Zerrouki répondrait: «  Poète, nourri d’amertume autant que d’orgueil, j’ai pourtant suivi mon dur chemin jusqu’aux bords privés de mots !… »

Moi, je vous réponds :

«Au gré du lys d’étang, mes vers flottent en procession ;

Les jardins d’eau, lui prêtent sa fleur solitaire

Pour écrire en strophes ma virginale passion,

Et mon amour que les palabres des grenouilles grégaires

Finissent par noyer dans le reflux de mes obsessions. »

Entretien réalisé par Brahim Saci

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