5 mai 2024
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L’avènement d’un pouvoir civil ne suffira pas à résoudre les problèmes des jeunes étudiants

TRIBUNE

L’avènement d’un pouvoir civil ne suffira pas à résoudre les problèmes des jeunes étudiants

L’objectif des lignes qui suivent n’est pas évidemment de répondre à la question de savoir en quoi le régime algérien n’est pas un régime militaire.

A l’évidence, il ne l’est pas. Aucun politologue ne lui a jamais attribué ce qualificatif durant toute la période qui va de 1962 à 1989. Depuis l’avènement du constitutionnalisme libéral, personne ne se hasarderait à postuler que l’Algérie est gouvernée par les militaires, même si l’institution militaire demeure la colonne vertébrale du régime pour des raisons historiques que l’on ne peut pas écarter d’un revers de la main.

Que revendiquent exactement les étudiants futurs diplômés ?

Il est indispensable aujourd’hui, six mois après le début du Hirak, de lever les malentendus qui eussent dû l’être au début du processus de mobilisation populaire, si les différents protagonistes avaient fait preuve de sincérité. Malheureusement, les arrière-pensées des unes et des autres ont dominé les enjeux politiques mais également sociétaux, culturels et économiques que charriait la révolte du 22 février dernier.

La question qu’il n’est plus possible d’éluder et que nous examinerons plus loin, est celle de savoir si les millions d’Algériens qui manifestent chaque vendredi que Dieu fait, et les étudiants chaque mardi, exigent l’instauration d’un régime démocratique, dans lequel seraient consacrés, entre autres, la séparation de pouvoirs, l’indépendance de la justice, le contrôle de la constitutionnalité des lois et des règlements, l’effectivité des libertés individuelles et collectives ou s’il s’agit de plaider pour la naissance d’un pouvoir capable avec plus d’efficacité et plus d’équité que son prédécesseur, de redistribuer la rente pétrolière.

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C’est ce nœud gordien qu’il est désormais indispensable de trancher pour pouvoir avancer dans la résolution de la plus grave crise politique que connaît l’Algérie depuis son indépendance. 

S’il y a bien une catégorie de la population qui vit un désarroi profond, c’est bien la jeunesse, y compris la jeunesse dorée de la capitale et des grandes agglomérations, laquelle pourtant a accès à tous les biens et privilèges. Singulièrement, c’est le segment de cette jeunesse constituée des diplômés de l’enseignement supérieur (Bac+4, Bac+5 et même Bac+6) qui exprime la détresse la plus profonde, surtout celle issue des catégories modestes et des couches inférieures et intermédiaires des classes moyennes. Tous ces jeunes sont portés par la conviction qu’ils ne trouveront pas un emploi, à l’issue de  leur scolarité, et qu’ils ne pourront pas concevoir un projet de vie : se marier, avoir des enfants, acheter ou louer un logement, un véhicule, voyager, offrir à leur famille un minimum de loisirs, etc.

Le chômage des diplômés de l’enseignement supérieur se développe rapidement et massivement. Chaque année, 300.000 Algériens sortent diplômés de quelque 92 Universités et Centres universitaires du pays ; la majorité écrasante d’entre eux ont vocation à intégrer le marché de l’emploi. Toutefois, le nombre de recrutements en valeur relative diminue, en conséquence non seulement des sureffectifs qui plombent la fonction publique et les entreprises du secteur public économique (destination privilégiée de tous des demandeurs d’emplois) mais en raison de l’atonie de la croissance économique, que ce soit dans le secteur de l’industrie ou dans celui de services, alors que paradoxalement les opportunités d’expansion de ces deux secteurs sont considérables, par ricochet le nombre d’emplois qu’il est possible de pourvoir.  

Pas de relation de cause à effet entre le malaise estudiantin et l’Institution militaire

Ému et décontenancé par la désespérance qui envahit toutes celles et tous ceux qui sont appelées à construire l’Algérie de demain, j’ai décidé d’établir un échantillon de 1.850 élèves, issus des différents établissements universitaires dans lesquels j’enseigne. Il en ressort que 4,3 élèves sur 5 n’ont qu’une ambition : quitter l’Algérie après avoir acquis deux ou trois diplômes (Masters généralement) la maîtrise de deux langues étrangères et pourvus d’un minimum d’expérience professionnelle.

La nationalité du pays d’accueil est également recherchée, dans la mesure où elle permet d’augmenter les chances d’insertion professionnelle et sociale. Seuls 450 étudiants n’excluent pas un retour au bercail, mais à condition d’y trouver une qualité de vie comparable à celle des pays avancés, ce qui, à vue humaine, ressort de l’utopie.

J’ai attendu la fin du mois de juin 2019, au moment où l’Institution militaire était ciblée directement pas le Hirak (après qu’on eut eu droit des semaines durant, à la litanie : « Châab-Djeich, khaoua- khaoua ») pour leur poser la question de savoir si l’avènement d’un pouvoir civil serait de nature à influer sur leur décision de quitter l’Algérie. Non seulement leur réponse unanime fut négative, mais ils m’exprimèrent leur hantise d’assister à la montée en puissance d’une sorte d’autocratie civile, émanation de l’Algérie profonde, dans laquelle tout détenteur d’une parcelle d’autorité et de pouvoir a tendance à se comporter en tyran. Beaucoup expérimentaient déjà cette loi d’airain dans leur lieu de travail. 

Le drame de la jeunesse est consubstantiel à  des situations anomiques qui prévalent dans la société

Si l’immense majorité des jeunes (et particulièrement des diplômés de l’enseignement supérieur) ont un désir irrépressible d’expatriation, c’est parce que la société algérienne, dans son ensemble, leur a tourné le dos, ignoré leur desiderata, bloqué leur ascension professionnelle et non bien évidemment, parce que la colonne vertébrale du régime est constituée de l’institution militaire.

Ces jeunes sont suffisamment lucides pour pouvoir identifier les facteurs d’inertie de la société algérienne, ainsi que les mécanismes d’exclusion à leur égard que l’on peut attribuer, en partie, au refus de leurs aînés de s’adapter aux exigences de la modernité (qui est au cœur des revendications d’une partie de la jeunesse) et de leur passer le flambeau.

La conviction de toutes celles et de tous ceux que j’ai interrogés est que les entraves à la survie professionnelle et matérielle de la jeunesse diplômée n’est pas le fait délibéré de quelque institution que ce soit, mais constitue les stigmates de maux et de fléaux qui sont lovés au cœur de la société algérienne et la traversent de part en part. Il est évident que les étudiants algériens qui manifestent chaque mardi pour le départ de l’institution militaire sont soit des personnes manipulées soit des agents de ces officines qui cherchent par tous les moyens à instrumentaliser leur désarroi pour le focaliser sur le bouc émissaire idéal de tous les problèmes de l’Algérie, à savoir l’Institution militaire. 

Il est, en tout cas, inexact d’affirmer ou de laisser entendre que les diplômés de l’enseignement supérieur sont tous férus de démocratie représentative, revendiquent l’Etat de droit, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, alors que leur horizon professionnel est bouché. Il s’agit là d’une contre-vérité fondamentale. Il faut faire preuve d’une singulière méconnaissance de la société algérienne, et particulièrement de son segment constitué des générations montantes, pour accréditer la thèse selon laquelle celles-ci n’ont d’autre souci que celui de voir les militaire reclus dans leurs casernes, cependant qu’une élite dirigeante éclairée, parvenue aux affaires dans des conditions transparentes, serait capable de leur assurer emploi, salaire décent, logement, véhicule, soins gratuits et de qualité.

Tout à l’opposé, l’ensemble des données recueillies auprès de l’Office Nationale des Statistiques (ONS), des institutions publiques habilitées et de quelques Think Tanks montent que notre pays est appelé à connaître, à partir de 2021-2022, des années difficiles caractérisées par la montée du chômage, la hausse des prix, la dévaluation du taux de change du dinar et probablement des pénuries qui affecteront les biens et services nécessaires au fonctionnement de notre appareil de production. Le malentendu algérien n’est pas sans rappeler le malentendu tunisien, analysé, avec force compétence, par le Pr Yadh Benchour, qui fut Président de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique.

Au lendemain de la Révolution de jasmin de janvier 2011 et après l’achèvement d’une période de transition de trois ans qui donna naissance à la Constitution du 26 janvier 2014, les Tunisiens vivent un véritable désenchantement. A certains égards, la Tunisie a réussi sa démocratisation qui a surtout fait le bonheur des classes supérieures ou de « l’homme démocratique », pour reprendre l’expression du Pr Benachour.

Mais, cette révolution est loin d’avoir répondu, et pour cause, aux nombreuses attentes sociales et économiques des Tunisiens. Parmi eux, des diplômés de l’enseignement supérieurs qui sont au chômage (à l’instar de leurs frères et sœurs algériens), des paysans, des salariés du secteur industriel, des habitants de la Tunisie de l’intérieur enclavée et oubliée des pouvoirs publics ; toutes catégories frappées durement et plus ou moins directement par le tarissement de la rente touristique et aussi par les mutations de la division internationale du travail qui ont retiré à la Tunisie certains de ses avantages comparatifs, au profit de la Chine, de la Corée du Sud, de la Turquie, du Vietnam, de l’ Inde, de la Malaisie et de certains pays d’Afrique comme l’Éthiopie.

Beaucoup de Tunisiens avaient pensé que la démocratisation des institutions allait faire sauter les verrous de la pauvreté, de la précarité sociale, qu’elle allait générer davantage de solidarité entre classes sociales et que l’Etat tunisien allait se transformer en Etat-providence pour satisfaire les doléances, au demeurant, légitimes d’une majorité de tunisiens.

Il est vrai, qu’au début de la Révolution, un parti comme Ennahda, s’était engagé à promouvoir le bien-être social général, mais il n’avait échappé à aucun observateur averti que l’Etat tunisien ne disposait pas de ressources susceptibles de contenter une population recrue d’épreuves et de privations. (A suivre)

 

Auteur
Ali Mebroukine, professeur de droit

 




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