La récente note du Barreau d’Alger, signée par le bâtonnier Mohamed Baghdadi, impose désormais aux avocats une autorisation préalable pour toute apparition médiatique et leur interdit de commenter des sujets politiques ou sociaux sans mandat officiel.
Le texte qui entend donc museler l’expression des avocats exige en outre l’arrêt des consultations juridiques en ligne, sous peine de sanctions disciplinaires.
Le Barreau justifie cette mesure par la nécessité de « préserver l’image et l’intégrité de la profession » et rappelle que l’avocat « doit demeurer dans le cadre légal qui relève de sa compétence », estimant que toute prise de position publique hors de ce champ « constitue une violation des traditions de la profession ».
Le cadre constitutionnel : deux lectures opposées
Pour le juriste Habib Achi, cette directive s’apparente toutefois à « une mesure de censure déguisée ». La Constitution algérienne, souligne-t-il, « consacre la liberté d’opinion et d’expression sans prévoir de contrôle préalable ». Conditionner la parole des avocats à l’aval du bâtonnier reviendrait, selon lui, « à instaurer une validation administrative interne contraire à l’esprit même de la Constitution ».
Là où le Barreau invoque un strict devoir de réserve, Achi voit une restriction injustifiée : « L’éthique professionnelle impose déjà des limites claires. Ajouter une autorisation obligatoire, c’est franchir la ligne entre régulation et censure. »
Le rôle des avocats dans le débat public
Le Barreau insiste sur la nécessité d’éviter toute « exploitation de la qualité professionnelle à des fins personnelles ou non professionnelles ». Mais pour Achi, les avocats sont au contraire des acteurs incontournables du débat citoyen. « Par leur connaissance du droit et des institutions, ils éclairent l’opinion sur les réformes législatives, les libertés fondamentales et l’État de droit. Les priver de ce rôle, c’est priver la société d’une expertise critique », analyse-t-il.
Il rappelle que leurs spécialisations – sociales, économiques, pénales ou liées aux droits humains – enrichissent le débat public et servent l’intérêt général. « Dans une société en pleine mutation, leur parole est un levier de transparence, pas une menace pour la profession », ajoute-t-il.
Entre discipline et liberté
Le Barreau d’Alger affirme vouloir protéger l’image de l’avocat et l’éthique du métier. Mais Habib Achi met en garde contre une dérive : « C’est au public et aux institutions démocratiques de juger la pertinence des interventions des avocats, pas à l’Ordre de les filtrer. »
En plaçant la déontologie au-dessus de la liberté d’expression, conclut-il, « cette circulaire risque de transformer un devoir de réserve légitime en un instrument de contrôle, contraire aux principes constitutionnels que les avocats sont précisément chargés de défendre ».
Samia Naït Iqbal