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Le chaos mental au Liban

En tant que journaliste, Robert Fisk a passé trente ans à Beirut, exerçant comme correspondant du journal britannique au Moyen Orient « Independent ».

Son constat interpelle à plus d’un titre : les Libanais ne font plus de différence entre l’Etat et la patrie, entre la patrie et le gouvernement, entre le bien public et la propriété privée, entre les élites et les responsables, entre ce qui leur appartient en propre et ce qui appartient à la collectivité, etc.

Ils sont dans le flou total et n’arrivent guère à se défaire de leur chaos sémantique. Toutes ces notions-là, à savoir  Etat, nation, gouvernement, patrie, militant, leader, etc., sont jetées pêle-mêle dans leurs têtes, au point de provoquer des réactions incompréhensibles et des comportements à la limite de la sauvagerie.

Est-ce un problème de l’Etat ou de la société? L’on ne peut qu’affirmer que la cause de cette paralysie mentale, c’est la formation biaisée de l’humain. En vérité, l’humain, c’est quelque chose de sensible et surtout de très complexe.

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Quand un citoyen ne connaît pas ses devoirs et ignore les contours de ses droits, cela nuit non seulement à la société mais à tout le psychisme du pays. Autrement dit, la société crée des déséquilibrés mentaux, faute de pouvoir préparer le terrain à une éducation civique et populaire adéquate. Pour cause, il n’y a ni travail social en amont ni travail en aval : le citoyen est livré à lui-même à tous les niveaux et se sent hors du circuit de l’Etat.

Or, celui-ci, l’Etat s’entend, est toujours là présent, non pour lui construire un univers apaisé où il peut prospérer, mais pour le réprimer. En quelque sorte, dans ces pays dit en développement, on assassine la raison du citoyen pour paraphraser un mot du Syrien Bourhane Ghalioune, sous divers faux prétextes ; on le coupe de la culture, de l’éducation, du savoir, de la connaissance. Et pour qu’il ne meure pas, on lui laisse une seule chose : la rente.

Le citoyen redevenu plutôt sujet s’occupe seulement alors de manger et  de végéter, au lieu de lutter pour ses droits, de se sacrifier pour ses idéaux et de prospérer. Il est dans ce que j’appelle personnellement « le végétatif structurel » : manger, travailler et dormir, et s’amuser par hasard. Ce qui donne lieu à nombre de contradictions et de contrastes difficilement saisissables par un étranger.

Comment  peut-on comprendre, par exemple, un citoyen qui s’efforce, par tous les moyens possibles, que sa maison soit propre, alors que la rue, ou la ville dans laquelle il habite est sale? Comment peut-on comprendre un autre qui sort dans la rue pour demander la revalorisation de ses droits alors qu’il triche lui-même au fisc et ne fait plus aucun effort dans son travail pour améliorer la productivité? Comment est-il possible de comprendre qu’un citoyen paupérisé et clochardisé suite à des stratégies économiques en faillite, vote et élit encore ceux qui sont à l’origine de cet état de fait?

Certains évoquent le syndrome de Stockholm, un cas typique de ces otages solidaires de leurs ravisseurs, d’autres parlent de l’influence du conservatisme religieux, accroc du fatalisme et de la soumission, alors que la réalité, selon Fisk, c’est un problème psycho-social lié à une mauvaise éducation-formation de l’humain, à tous les niveaux.

Kamal Guerroua

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