Dans la lente parade des nations en marche, l’Algérie se distingue par un paradoxe singulier. Tel un char antique traîné par des bœufs solides mais lents, il avance pesamment, chargé de fauves, forces vives et impétueuses, qui grognent de l’intérieur, aspirant à libérer leur énergie vers des horizons d’avenir et de renouveau. Mais les chaînes de la rente et de la bureaucratie maintiennent fermement ce cortège en place, transformant un pays aux immenses potentialités en une scène d’inertie et de contradictions.
L’Algérie est un pays riche de ressources naturelles, une aubaine qui, dans un véritable autre contexte, pourrait propulser son économie et son développement social. Pourtant, cette richesse est devenue un piège : une rente qui profite avant tout à une petite élite, captant les gains pour entretenir une stabilité artificielle et une hiérarchie d’intérêts figés. Le « char » de l’État repose ainsi sur les épaules d’une économie rentière, refusant d’avancer réellement, car ceux qui en tirent les rêves n’y voient que l’occasion de consolider leurs privilèges.
Au cœur de cette lente marche se trouve un moteur qui cale : une administration paralysée par l’incompétence, la corruption et les pratiques clientélistes. Les projets de modernisation, souvent annoncés en grande pompe, finissent par sombrer dans les méandres d’une bureaucratie incapable de fonctionner avec efficacité ou transparence.
L’État lui-même se trouve pris au piège d’une machine administrative qui étouffe toute initiative, où chaque décision doit franchiser des canapés de cooptation, d’intérêt personnel et d’inaction.
Et pourtant, le char ne manque pas de forces vives prêtes à le pousser vers l’avant. La jeunesse algérienne, créative et ambitieuse, aspire à un avenir meilleur et revendique des opportunités pour s’épanouir. Les entrepreneurs, les intellectuels, les travailleurs, et tous ceux qui veulent contribuer au progrès du pays se trouvent ainsi comme des « fauves » pris au piège d’un système qui réprime leur élan. Leurs voix, leur potentiel et leur énergie vibrante, mais se heurtent aux murs d’un État autoritaire, plus préoccupés par la stabilité de façade que par la réalisation d’un changement durable.
À la tête de ce char, le pouvoir actuel « chauffe » et entretient une agitation de surface, tentant de rassurer en affichant des réformes superficielles et des promesses de développement. En réalité, il demeure ancré dans des stratégies d’immobilisme, exploitant la rente pour maintenir la paix sociale sans s’attaquer aux problèmes de fond. Les mesures prises se révèlent souvent être des solutions temporaires ou cosmétiques, des défilés qui masquent un manque de vision à long terme.
Une marche qui se transforme en prison
Cette image d’un char traîné par des bœufs et chargé de fauves traduit ainsi le dilemme de l’Algérie contemporaine : une nation à l’arrêt malgré un potentiel immense, retenue en place par ses propres contradictions. Les forces conservatrices qui tirent les rêves du pouvoir refusant de libérer la société pour engager une transition vers une économie diversifiée et un modèle démocratique. Et pourtant, sans cette libération des énergies, ce char risque de finir prisonnier de son propre poids, s’auto-étouffant sous le poids d’une rente épuisable et d’une population de plus en plus exaspérée par l’absence de perspectives.
Briser les chaînes et libérer les fauves
Pour que le char de l’État avance vraiment, il doit être délesté de ses chaînes, et les bœufs qui le tirent doivent être remplacés par une volonté plus audacieuse et déterminer à guider l’Algérie vers le changement. Il est temps d’ouvrir les portes aux « fauves » enfermés, de permettre aux forces vives de la société d’investir leur potentiel dans un avenir construit collectivement. Cela suppose une réforme profonde, un système qui repose sur la transparence, l’équité et la participation citoyenne. Le pays possède les ressources humaines, naturelles et intellectuelles pour avancer — encore faut-il que les forces dominantes acceptent de lâcher les rêves et d’emprunter cette voie.
L’Algérie peut devenir ce char guidé par une vision, traversant les âges non véritable plus en traînant des pieds, mais en prenant sa place sur la voie du progrès.
En définitive, l’Algérie fait face à un choix crucial : rester figée, char lourdement lesté par les chaînes de la rente, ou se libérer pour emprunter enfin la voie du renouveau. La métaphore du « char traîné par des bœufs mais chargé de fauves » rappelle que le pays dispose d’une force immense, mais sous-utilisée, une jeunesse et des talents prêts à propulser l’Algérie vers un avenir plus juste et prospère.
Cette transition dépend de la volonté des dirigeants d’abandonner l’immobilisme et d’ouvrir la route aux énergies nouvelles, en rompant avec la cooptation et la corruption qui plombent le progrès.
Car à terme, il y a urgence : un pays qui réprime les aspirations de son peuple, et qui tourne en rond sans véritable cap, ne peut rester indéfiniment en équilibre. Si l’Algérie libère ses « fauves », ceux qui, malgré tout, croient en son potentiel et rêvent d’un avenir digne, elle pourrait transformer ce char lourd et statique en un véhicule de renouveau, prenant part au mouvement des nations qui avancent.
Il ne s’agit pas seulement de marcher vers le changement, mais d’embrasser un nouveau modèle, où chaque Algérien pourrait contribuer à bâtir un avenir qui libère, enfin, les énergies et le potentiel de cette nation en quête de sens et d’ espoir.
« Un pays avance non par le poids de ses richesses, mais par la force de ses ambitions et la liberté qu’il accorde à ses talents. Tant que les chaînes de l’inertie l’emprisonnent, l’Algérie reste en marge de son propre potentiel. »
Dr A. Boumezrag