21 novembre 2024
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Le conciliant entrisme culturel de l’İnstitut français d’Alger

L’ancien ambassadeur Xavier Driencourt (2008-2012 puis 2017-2020) ayant constaté que « l’héritage français, à la fois culturel et économique se réduit et continuera à se réduire car l’Algérie veut l’effacer » (1), la nouvelle directrice générale des instituts français d’Algérie ambitionne-t-elle de reconquérir une partie du terrain perdu en pianotant sur les cordes sensibles de la mémoire, en investissant le champ du patrimoine et en misant sur les beaux jours du design ?

Nommée à son poste en septembre 2021, Ahlem Ghrabi (2) a comme objectif affiché « d’être présent partout en Algérie » (3), de pénétrer l’ensemble du territoire à partir des antennes d’Alger, d’Annaba, de Constantine, d’Oran et de Tlemcen, cette dernière devant d’ailleurs plutôt accaparer les thèmes pilotes « Patrimoine » et « Architecture », lesquels seront plus intensément creusés en avril 2023, lors du fameux « Mois du Patrimoine ».

L’autre « Temps forts » du printemps 2023 concernera « tout ce qu’on a fait dans le cadre de la biennale du design. Le travail de tous ces jeunes architectes… On aura aussi le plaisir d’accueillir une designeuse française très célèbre qu’est Matali Crasset (qui) présentera son lors d’un master class.» (4).

Ayant déjà fait venir en décembre 2022 « des représentants d’écoles d’art, de design et de cinéma qui poursuivront leur tournée à Constantine afin de rencontrer les étudiants des écoles d’ici et voir comment faire pour développer des coopérations entre écoles algériennes et françaises.» (5), la native de Bizerte ventait « la première biennale du design franco- algérienne » et réfléchissait à sa seconde édition prévue en 2024.

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Elle dira « y travailler en ayant en tête (…), le fait de penser local et de faire local (…) » (6), avoir pris aussi « le temps de comprendre quelles étaient les envies du public algérien (…) », de réfléchir « sur ce qui va plaire (…) à la nouvelle génération qui consomme de la culture et qui vient à l’İnstitut français d’Algérie » (7).

Ce public se déplace ainsi au sein d’une structure participative qui n’a aucunement pris conscience de la perdition cosa-mentale de la peinture et de la sculpture, que ces disciplines dites « old school » (de la « vieille école ») sont largement supplantées à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts d’Alger (ENSBA) par un département design à l’aura amplifiée par la Biennale algéro-française du design.

En abritant en mai-juin puis novembre 2021 son premier chapitre « Photographier la cité de demain » (8), l’İnstitut français d’Alger (İFA) confortait les éléments de langage ponctuant le Manifeste « Alliance des designers algériens praticiens » (ADAP) écrit douze mois plus tôt (juin 2020), soit une socialisation patrimoniale du design bénéficiant à l’entre-soi d’une sphère restreinte surnageant dans le manque à être de l’incomplétude pédagogique, surfant sur l’inaccomplissement répété du statut de l’artiste et s’adjoignant la complicité tacite de médiateurs culturels étrangers devenus à leur tour les courroies de transmission de la compromission complaisante, les autres caisses de résonnance du « Tout-va-bien ». Le pseudo-optimisme ambiant se prorogeait via la publication du livre Réinventer la ville par le design sorti en septembre 2022 aux éditions Apic.

L’ouvrage de 230 pages rassemble les cinquante projets conçus lors de la Biennale algéro-française DZign 2020+1, développe, sous couvert de textes et photos, les visions d’étudiants et de personnalités intervenant au niveau de la vulgarisation d’un design contemporain nourri de cultures endogènes. Sur ce point, Ahlem Gharbi assertera que l’événement « nous a permis de rencontrer énormément de talents algériens et puis aussi de se rendre compte qu’on peut créer localement sans avoir forcément avoir besoin de ramener des intrants (…) » (9).

Décidée à favoriser les partages communicationnels entre universités et écoles d’art, elle insistait sur la formation et la sensibilisation des enfants au design à travers des ateliers. Seulement, si « La dernière étape de la Biennale, est bien sûr l’industrialisation par la démocratisation de l’objet d’art en le rendant accessible à tout le monde.», quelle a été, sur zone, la traduction tangible des propositions entérinées ?

Restée à ce jour sans réponse, l’interrogation devrait, selon notre agente économico- culturelle, trouver ses applications concrètes pendant la seconde édition de la Biennale prévue en 2024. L’İnstitut français d’Alger (İFA), les « Ateliers sauvages », la Villa Abd-el-Tif, le Musée d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA), l’École nationale supérieure des Beaux-Arts d’Alger (ENSBA) et l’École polytechnique d’architecture et d’urbanisme (EPAU) visualiseront alors la mise « en valeur des différents quartiers d’Alger (revus) sous le prisme du design et de la création », se préoccuperont de la réappropriation de l’espace urbain, du respect de l’environnement et de ses aspects esthétiques (des paramètres que l’İFA examinera dès mai 2023 en accointance avec le développement durable et la biodiversité).

Réitérant la volonté d’épauler la scène culturelle en général et le design en particulier, de se mettre « plus que jamais à l’écoute des artistes pour accompagner la scène artistique et culturelle en Algérie comme nous l’avons toujours fait », l’ambassadeur François Gouyette rendait le 01 novembre 2022 visite à la galerie « Diwaniya art Gallery » et à son fondateur Hamza Bounoua, nommé mi-janvier 2023 à la Commission de lecture et de soutien aux projets artistiques et littéraires (10).

Le plénipotentiaire français voyait à cette occasion l’exposition Formes arabes (11) inaugurée en marge de la célébration du déclenchement de la Guerre de libération (Toussaint 1954) et de la 31e session du « Sommet de la Ligue des États arabes » (1er et 2 novembre 2022). Non fortuite, la date du vernissage coïncidait avec les deux grands événements et, dans un communiqué de presse, le curateur algérien mentionnait à ce sujet que « Nous croyons en l’importance d’accompagner la culture aux côtés de la politique, et notre croyance va vers le rôle de l’artiste envers son pays. Notre conviction réside dans la nécessité de jouer un rôle central dans notre domaine culturel basé sur le rôle politique joué par l’Algérie en rassemblant les Arabes autour d’un même mot, d’une même position et d’une vision unifiée » (12).

Agencée jusqu’au 15 novembre 2022, la monstration dévoilait les œuvres « d’artistes contemporains qui expriment, par leur créativité, leurs intérêts contemporains ainsi que leurs identités, chacun dans son registre » mais illustrait aussi le discours idéologique de l’heure, soit « notre contribution au succès de cet événement politique important, (son) esprit de solidarité (…) tourné vers l’union des pays arabes ».

Par pur opportunisme, le gérant Hamza Bounoua rejoignait des perspectives politiques «que partage la galerie d’art depuis sa fondation » (13). Étrenné en septembre 2020 à Chéraga (banlieue huppée d’Alger) pour faire connaître des Algériens à l’international et les associer à des confrères arabo-musulmans dans des projets mixtes, l’espace annonçait deux années plus tard en arabe et en anglais l’exposition en cours, des préférences linguistiques déroutant un ambassadeur de France pour le moins médusé.

Bien que l’İnstitut français d’Alger (İFA) abritait mi-décembre 2022 (14), dans le cadre du « Mois » et de la « Journée mondiale de la langue arabe », les calligraphies de Sadik Reda (alias Sadikatur), sa fonction étant de faire vivre les cultures francophones (du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest), il lui fallait résorber la perte d’influence de la francophonie en se raccrochant à l’héritage méditerranéen commun et en travaillant plus intensément sur l’essor du multilinguisme.

Connecter les zones culturelles du Sud à celles du Maghreb et de l’Afrique, tel est le point de convergence d’une polysémie mise en adéquation avec une autre appréciation du français, idiome qui « doit faire partie d’un bagage culturel et multilinguistique » (15).

Consacré à la diversité de la francophonie, le mois de mars 2023 ajustera un programme destiné à améliorer les cours de français offerts gratuitement, particulièrement en direction des jeunes défavorisés de l’école de Batna. Dispensé parfois dans un esprit ludique, cet enseignement se conjugue à des ateliers créatifs (peinture, vidéo, théâtre, cinéma, écriture de scénarios) et se déploie tout autant grâce à des résidences instruites en faveur de plasticiens, musiciens et écrivains algériens.

İnvités quatre mois durant à la Cité des Arts de Paris ou à la Friche Belle de Mai de Marseille, les heureux lauréats bénéficient (en collaboration avec l’AMİ, Triangle-Astérides, centre d’art contemporain et Fraeme, Fondation Camargo à Cassis) d’hébergements, d’un accompagnement financé et d’une aide à la production.

Récent allocataire de la Cité des Arts de Paris, le designer Mourad Krinah chapeautait le 13 octobre 2022 l’exposition collective voulue au sein de « La villa des oliviers » par Halima Gouyette, l’épouse de l’ambassadeur de France accrédité à Alger. La furtive monstration (16) accueillait les vidéos et sculptures d’une dizaine d’artistes (17), ces « vecteurs essentiels de développement culturel et social (qui) doivent être soutenus et accompagnés » (18). İnscrite au tableau de la coopération culturelle, la manifestation mettait en exergue des médiums à saisir « sous le signe du lien » et en tant que « récits (ou) fragments de notre mémoire (…) » (19).

Estimant justement que la question mémorielle « a tendance à s’apaiser grâce à une meilleure connaissance de l’Autre », Ahlem Ghrabi avait pris le pouls du pré carré « souveraineté nationale » et ne pouvait à ce titre faire l’impasse sur les soixante ans de l’İndépendance, sur une commémoration connotant en 2022 la plupart des événements culturels organisés dans le pays.

Après la série de films documentaires En guerre(s) pour l’Algérie projetée en coordination avec la commémoration du 60e anniversaire des Accords d’Évian, c’est finalement le mémorial « Maqam Echahid » (Sanctuaire du martyr), le monument devenu le passage obligé des délégations étrangères en visite officielle au sein de la capitale, qui illustrait le programme trimestriel (janvier-février-mars 2023) de l’İnstitut français d’Alger (İFA).

Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art et de la culture.

Renvois

  1. Xavier Driencour dans un entretien accordé au site Oumma.com et repris par le webzine Mondafrique du 30 mai 2022.

2. Détentrice d’un DEA obtenu à Science-Po Paris, Ahlem Ghrabi a occupé le poste de responsable Afrique du Nord et Moyen-Orient au service des affaires immobilières du Quai d’Orsay, de directrice déléguée pour les affaires internationales chargée de la zone Afrique du Nord, Moyen-Orient et Afrique au sein du groupe Total, comme directrice à l’ONU et au Caire, avant de devenir, en 2017, membre du cabinet présidentiel, conseillère Afrique du Nord et Moyen Orient du président Emmanuel Macron, soit la directrice de l’Agence Française de Développement pour la région

3. Ahlem Ghrabi, in Le Soir d’Algérie, 11 2022.

4. Ahlem Ghrabi, propos émis lors du point de presse du mardi 18 octobre dernier annonçant le programme de l’année 2022-23.

5. Ahlem Gharbi, in L’Expression, 01 2022.

6. İbidem.

7. Ahlem Gharbi, in L’Expression, 22 2022.

8. İl est né à la suite d’un concours passé en novembre 2019 par des étudiants français et algériens des « Beaux-Arts » puis de l’école polytechnique d’architecture. İntitulé « Extramuros », le second s’était déroulé aux « Ateliers sauvages » (installations éphémères). Le troisième, baptisé quant à lui « İntramuros », réunissait les propositions de 21 concepteurs à la Villa Abd- el-Tif, là où fut aussi exhibé le projet « Tinnit » et le défilé de mode d’ Hicham Gaoua (alias El Moustach). Talks, tables rondes, projections de films autour de figures phares du design et de l’architecture, performances musicales, rencontres en duplex entre l’Algérie et la France, master class égailleront et aiguilleront également la Biennale.

9. Ahlem Gharbi, in L’Expression, 01 2022.

10. İnstallée le 17 janvier 2023 et composée de neuf membres, elle côtoie celles dites de lecture et de soutien aux projets cinématographique et de visionnage des projets cinématographiques.

11. Elle montrait les Algériens Lazhar Hekkar, Kenza Bournane, Karim Sergoua, Rachid Djemaï, le Soudanais Rached Diab, le Syrien Khaled El Tekriti et l’Égyptien Mohamed İbrahim El Mesri.

12. Hamza Bounoua, in L’expression, 08 2022.

13. İbidem.

14. Le vernissage s’était aussi déroulé en présence de François

15. Ahlem Ghrabi, in Le Soir d’Algérie, 11 mai.

16. L’exposition était accessible partir du vendredi 21 et samedi 22 octobre uniquement à celles et ceux ayant précédemment envoyé leurs noms, prénoms et précisé le jour de visite souhaité. La réservation se faisait via l’adresse passerelles@if-algerie.com.

17. Fatma Oussedik, Mourad krinah, Rachida Azdaou, Mohamed Ghassan, Mehdi Tafadjira, Feryel Lakhdar, Marwa Fakir, Mohamed Ghassan, Yacoub Salhi, Fethi Hadj Kacem, Bardi et Mauro Santini.

18. Halima Gouyette, in L’Expression, 18 2022.

19. Fatma Oussedik,

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