19 mars 2024
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Le cow-boy du macadam

James Leo Herlihy

Le cow-boy du macadam

« Les possibilités de l’homme sont grandes, belles, merveilleuses. Mais le folklore américain et l’âme américaine ne veulent reconnaître que les valeurs dites « spirituelles » et « bonnes » et à niveau superficiel… »James Leo Herlihy

Acteur, romancier, auteur de pièces de théâtre et de recueils de nouvelles, James Leo Herlihy est un grand inconnu alors qu’au moins une de ses œuvres est connue dans le monde entier : Midnight cowboy dont le titre en français est Un cow-boy de charme, roman porté à l’écran en 1969 par John Schlesinger, avec Dustin Hoffman et Jon Voight dans les rôles principaux, sous le titre de Macadam cowboy.

James Leo Herlihy s’est fait connaître en 1960 avec la publication d’un roman qui est un beau portrait d’un adolescent dont le titre est De la plus haute branche. Le héros de De la plus haute branche s’appelle Clinton, un garçon d’un quartier pauvre de Cleveland. Son père, Ralph Williams, est un ancien socialiste, plein de charme et d’humour, fantasque, anti-conventionnel et porté sur la boisson. Sa mère, Annatel, possède du bon sens, a très peu de discipline et fait marcher la maison tant bien que mal. Son frère aîné, Berry Berry, est incapable de se plier aux règles de la société : il se fait entretenir comme il peut par les femmes et a été arrêté pour vagabondage et méfaits variés. Clinton cherche à l’imiter. A quatorze ans, il quitte définitivement l’école. Plus tard, il fait une fugue en Floride pour retrouver son frère aîné, y rencontre Shirley et essaie de se constituer une écurie de call girls – sans grand succès d’ailleurs. De retour à Cleveland, il séduit Echo, une honnête petite secrétaire et cette dernière est tuée dans un accident de la circulation par Berry Berry.

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Avec beaucoup de simplicité, De la plus haute branche nous dépeint les tâtonnements d’un jeune homme à la dérive, séduit par le mauvais exemple d’un frère voyou, assez fort toutefois pour rejeter cet exemple et construire sa vie en la calquant sur celle de son père. L’éveil intellectuel de Clinton est décrit avec humour et sympathie. On ne peut s’empêcher de sourire en imaginant Clinton en train d’écrire ses pensées dans ses 142 carnets. C’est un naïf, un innocent à l’esprit curieux et au cœur bien placé. Il profitera sans aucun doute de l’école de la vie.

Un cow-boy de charme quant à lui met en scène un enfant illégitime, Joe Buck, élevé à Albuquerque par sa mamie Sally, cosméticienne enjouée, mince et jolie mais combien bête, capable d’attirer les hommes malgré son âge. Joe Buck s’est habitué à rêvasser et à croire tout ce qu’on lui dit. Lorsqu’il s’éveille à l’amour, il rencontre Anastasia, une nymphomane précoce, qui a connu tous les hommes de la ville. L’armée le dégourdit et enrichit son vocabulaire de termes orduriers. A la caserne, on l’appellera le cow-boy et il cultivera les attributs de son surnom avec grand soin.

Joe Buck atteint l’âge de 27 ans et n’a ni métier ni culture ni possibilité d’avenir. La seule chose qu’il connaisse est son propre reflet. Il se trouve très beau. Influencé par les affiches de la publicité et du cinéma, il croit pouvoir tirer profit de son physique. Il abandonne Albuquerque pour New York. Il y va, habillé comme un cow-boy, sûr de pouvoir faire fortune en tenant compagnie aux vieilles femmes riches et solitaires. Ses espoirs sont très vite déçus. Il est même arnaqué par une femme à qui il tente de soutirer de l’argent et par un petit pickpocket handicapé qui, sous couvert de le présenter à un impresario, lui fait rencontrer un prédicateur homosexuel.

Cependant, n’ayant personne comme ami, Joe Buck se lie avec le voyou qui l’a grugé. Ce malheureux infirme et tuberculeux qui s’appelle Ratso lui fait partager son gite illégal quand Joe, incapable de payer sa note d’hôtel, se retrouve sur le pavé. Joe et Ratso – ce dernier de plus en plus malade – décident d’aller en Floride. Ratso mourra dans le bus, à une demi-heure de Miami. Joe lui ferme les yeux et le berce dans ses bras pendant les derniers kilomètres du trajet. Il avait décidé, quelques heures auparavant, de travailler sérieusement, pour pouvoir aider son ami, qu’il n’était jamais trop tard pour commencer une nouvelle vie — car l’homme est libre de façonner son destin.

L’auteur a voulu créer, dans ces deux romans, en la personne de Joe Buck comme en celle de Clinton, des innocents. Pour reprendre les propres termes de James Leo Herlihy, « Joe porte en lui les germes d’une race nouvelle, libérée des contraintes sociales. Il porte en lui quelque chose d’indestructible que j’hésite à nommer. Et qu’on associe souvent à la dignité humaine. Voilà ce qui lui permet de chevaucher à travers les flammes, de parcourir notre univers dégradant et pourri et d’en sortir indemne. »

James Leo Herlihy s’est toujours défendu d’être un intellectuel. Et son œuvre ne porte pas les marques d’une préoccupation philosophique d’un Saul Bellow ou d’un Norman Mailer. Son Joe Buck est un jeune américain blanc issu d’une petite ville de province comme il y en a tant aux Etats-Unis. Il n’écrit pas de lettres à Nietzsche ou à Eisenhower comme le Herzog de Saul Bellow – il en serait incapable. Joe Buck, tout comme Clinton, sont des victimes de la société de l’opulence et du Rêve américain. Ils ont grandi seuls et se sont nourris d’idées fausses.

James Leo Herlihy est lui aussi un innocent et un tendre – comme ses personnages. Si on le compare aux grands auteurs américains, on le trouvera certainement naïf mais son humour et sa sympathie pour l’humanité — et son style si poétique lui assurent une place originale dans la galerie des écrivains américains contemporains.

Son idéal se résumerait sans doute assez bien dans ces propos tenus juste dans l’année de sa mort : « J’ai dépassé l’expérience de l’absurde. J’ai fait l’expérience de la vérité, de la beauté et de l’amour. Et j’avoue que j’apprécie ces valeurs… « 

Auteur
Kamel Bencheikh

 




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