7 mai 2024
spot_img
AccueilChroniqueLe dialogue, une arme à double tranchant : il peut vous grandir...

Le dialogue, une arme à double tranchant : il peut vous grandir ou vous détruire

REGARD

Le dialogue, une arme à double tranchant : il peut vous grandir ou vous détruire

« Ecoute celui qui parle car celui qui parle est sourd », proverbe cheyenne.

Au Maghreb, il n’y a pas des cités mais des douars. C’est la mentalité du douar qui domine dans les sociétés. Pour entrer dans la cité, il faut sortir du douar. Le peuple algérien vient de franchir le pas. Il manifeste pacifiquement sur tout le territoire national pour réclamer la liberté et la justice dans l’unité et dans la convivialité depuis quatre mois sans s’essouffler.. Les membres des tribus s’unissent quand il s’agit de combattre l’envahisseur étranger mais une fois l’ennemi vaincu, chacun retourne à sa tribu d’origine, à son douar. La vigilance est de rigueur. Durant des siècles la communauté arabe et africaine était gouvernée par des chefs de tribus, des princes ou des rois qui considéraient les ressources de la tribu comme étant leur propriété et qu’ils pouvaient en disposer comme bon leur semble. Ils ne devaient rendre des comptes à personne.

Cette confusion du patrimoine public et privé, de l’espace public et de l’espace privé nourrit depuis longtemps l’imaginaire des peuples arabo-musulmans. C’est cette représentation symbolique du père qui va permettre la perpétuation des régimes monarchiques et  des dictatures militaires arabes et africaines. C’est le culte du père sans la mère, de la partie droite du cerveau sans la partie gauche, de la domination du masculin sur le féminin, de la primauté de l’instinct animal sur la raison humaine, de la violence physique sur la sagesse spirituelle, de la force sur le droit.

C’est une logique de fonctionnement déséquilibrée du pouvoir et donc de la société. On conquiert le pouvoir par la force, on se maintient par la force et on considère les richesses de la nation comme un butin de guerre qui revient à ceux qui ont libéré le pays les armes à la main. Dans ce contexte, l’Etat n’est pas une abstraction mais une personne physique avec laquelle il faut tisser des liens solides pour obtenir plus de pouvoir, de biens ou de services. Celui qui va se retrouver à la tête de l’Etat providence va s’appuyer sur la manne pétrolière et gazière pour construire une société entièrement dépendante de l’Etat providence. En matière budgétaire, l’Algérie n’est pas la France.

- Advertisement -

Le budget de l’Etat français n’est pas semblable à celui de l’Etat algérien. Le budget de l’Etat algérien est financé dans sa quasi-totalité par la fiscalité pétrolière et gazière, ce qui n’est pas le cas du budget de l’Etat français qui dépend entièrement de la fiscalité ordinaire. L’un s’établit sur le revenu du travail, l’autre sur le revenu du pétrole. L’un repose sur la contribution financière des citoyens, l’autre sur une manne pétrolière et gazière. Le premier est adossé sur le cours des hydrocarbures ; l’autre sur la croissance économique et sur le marché de l’emploi.

Un Etat providence qui vise dans les pays démocratiques une solidarité nationale en vue d’une protection sociale très développée, à la fois horizontale (par les cotisations sociales) et verticale (par le versement des impôts et taxes) à travers des mécanismes très complexes de redistribution (cotisations sociales, impôts et taxes, assurances maladies, pensions de vieillesse, allocations chômage etc…), Au moyen âge, la cohésion et la solidarité étaient prises en charge par l’église qui prenait soin des miséreux, des malades, des nécessiteux à travers des mécanismes de charité chrétienne.

A partir de la Seconde Guerre mondiale, c’est l’Etat qui prend en charge cette solidarité sociale à travers les cotisations sociales, les impôts et les taxes dans le cadre d’un budget de l’Etat. A l’inverse de ce qui se passe en Algérie où c’est au budget de l’Etat alimenté par les revenus pétroliers et gaziers de répondre aux  besoins de la population car il n’y a pas de citoyens mais des sujets qui attendent tout de l’Etat sachant que celui-ci tire l’ensemble de ses revenus en devises de l’exportation des hydrocarbures.

La prise en charge des populations sans contrepartie productive aboutit nécessairement à l’aliénation de leurs droits politiques. Tant qu’ils bénéficient d’une rente, les Algériens se détourneront de la politique et les gouvernements n’ont pas de compte à leur rendre sur leur gestion des deniers publics qu’elle soit rationnelle ou irrationnelle, cela importe peu. La rente des hydrocarbures fonde l’Etat providence du fait de ses revenus extérieurs.

La rente permet à l’Etat de procurer aux citoyens un niveau de vie minimum sans les taxer car les imposer sans leur fournir des sources de revenu risque de les voir se retourner contre le gouvernement. Tout simplement parce que les algériens dans leur grande majorité ne disposent pas d’un revenu en contrepartie d’un travail productif mais en échange d’une allégeance politique au régime en place. Nous gérons le présent avec les armes du passé sans tenir comptes des impératifs du futur. Cela remonte loin dans l’histoire du nationalisme algérien au moment où la société de l’époque était organisée de telle façon que seules les élites étaient aptes à faire de la politique, le peuple était maintenu à l’écart. Il était là pour servir de caution aux choix et décisions prises par l’élite. Le même schéma fût reproduit après l’indépendance.

L’échec politique des acteurs de la modernisation va pousser une partie de la population algérienne vers un retour à l’intégrisme religieux et à la revendication ethnique. De la providence étatique à la providence religieuse, le pas est vite franchi et le pays va s’engouffrer. Quand la liberté de voix fût accordée au peuple, il s’est jeté à corps perdus dans la religion, une religion tronquée par des enjeux de pouvoir. La plaie ne s’est pas refermée.

L’armée craint le retour des démons de la décennie noire. Elle livre un discours musclé à un peuple mâture. Elle est prudente et réservée. Elle ne veut plus répéter les expériences malheureuses. Elle tente de se prémunir contre toute tentative de déstabilisation et de protéger le pays des périls extérieurs.

L’ennemi guette la moindre opportunité pour semer les germes de la destruction en poussant soit à la répression soit à la manipulation. Dans la tourmente qui enfante de nouvelles sociétés ou qui les étouffe dans l’œuf, les situations semblables créent des jugements semblables.

Aujourd’hui le peuple a mûri et l’armée ouvre les portes du dialogue. Le fond du problème c’est qu’il n’y a pas d’autorité véritablement légitime capable de fixer un cap à la société.

La puissance publique n’est plus en mesure de définir l’intérêt général préoccupée par l’équilibre des intérêts particuliers. Aucune force sociale n’est à même de formuler et encore moins de mettre en œuvre une proposition d’ensemble en vue de sortir le pays de la crise dans laquelle il se trouve. Le rapport de force entre la rue et l’armée doit absolument céder la place au débat contradictoire entre les élites conscientes des enjeux et porteuses de solutions. Une confrontation d’idées et non de personnes offrant l’avantage d’éclairer les uns et de convaincre les autres, sans attendre une quelconque gratitude, sans tirer un seul coup de feu et sans toucher le moindre sous.

Les armes devant rester aux vestiaires et la « chkara » jetée à la poubelle. Ne compteront que la valeur des idées, la pertinence des propositions, leur faisabilité pratique, et leurs délais de mise en œuvre.

Au cours de ces discussions, il ne s’agira ni de dresser des réquisitoires, ni de prononcer des plaidoiries devant se solder par des jugements qui ne résoudront aucun problème mais de définir des voies et moyens devant sortir le pays de l’impasse. «Une seule main ne peut applaudir, il en faut deux ».

Une à droite et l’autre à gauche et non deux droites ou deux gauches, une en face de l’autre et non l’une cachée derrière l’autre. Le pouvoir ne doit pas être un dialogue de sourds. L’intérêt supérieur de l’Algérie dicte la pondération, la sagesse, l’amour de la patrie. A chacun de l’exprimer librement à sa façon partant de l’axiome : « Je ne suis pas d’accord avec toi mais je me battrai de toutes mes forces pour tu puisses toujours le dire »

Auteur
Dr Abdelkader Boumezrag

 




LAISSEZ UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

ARTICLES SIMILAIRES

Les plus lus

Les derniers articles

Commentaires récents