29 mars 2024
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Le haraga et le MAK !

REGARD

Le haraga et le MAK !

Derrière les dunes, à l’entrée de la plage, nous attendons la tombée de la nuit. Nous avons rendez-vous avec le passeur.

La discrétion est de mise. Faire moins de bruit et à l’abri des regards. Les garde-côtes font des rondes. On pourrait être surpris et arrêtés. Le cœur bat la chamade. J’ai des palpitations. Un mélange d’excitation et de peur m’envahissent. Nous restons blottis à la dune derrière une cabane en roseau détruite par le vent. Le soir arrive brusquement, un épais brouillard enveloppe les environs. Nous avons de la chance, nous pouvons embarquer. On ne nous verra pas. Derrière nous, tel un chacal, le passeur nous rejoint. Il nous intime de le suivre. 

Nous sommes une douzaine, la barque, un pneumatique ne pouvait prendre que six. Le passeur encaissa l’argent. Il nous dit de faire de la place aux quatre bidons d’essence pour le moteur de l’embarcation. Furtivement, il s’éclipsa. Le moteur ronronne et s’éloigne de la plage. Il fait nuit maintenant. Au loin, nous entrevoyons une timide lumière. C’est la ville. Elle disparaît lentement. Nous sommes à présent au milieu de la mer. Entourés que d’eau. Arriverons-nous à traverser ? 

Rejoindrons-nous l’autre rive ? Aurons-nous une place dans l’eldorado qui nous attend ?…

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Une sombre inquiétude me prend  

De l’autre côté de l’Algérie, les jeunes ont encore marché aujourd’hui, c’est l’anniversaire du 20 Avril. Il y a 41 ans déjà qu’ils marchent. Inlassablement, de génération en génération, on revendique la reconnaissance de la culture et langue Amazigh. La Kabylie est une région spécifique de l’Algérie 

Quel lien tirer entre ces deux situations ?

Les harragas tentent le coup et risquent leur vie pour une existence meilleure sous des cieux plus cléments, du moins dans leur imaginaire. Ils fuient leur pays de naissance qui ne leur offre rien. Las d’attendre et d’espérer, ils tentent le tout pour le tout. 

Pour la Kabylie, le pouvoir n’a pu accéder que timidement à une de ses revendications ; l’enseignement de tamazight dans le primaire et le secondaire. Cette option reste facultative dans les régions non berbérophones. 

Tout comme les jeunes qui veulent partir ou la Kabylie qui se bat depuis des décennies à la reconnaissance de tamazight, le pouvoir en place est accusé de ne pas avoir donné assez de place aux jeunes et à cette région considérée comme belliqueuse et réfractaire à ses injonctions. C’est le moins qu’on puisse dire. L’individualité des jeunes ou la spécificité régionale de la Kabylie sont sacrifiées à la collectivité. Le système qui musèle la demande de la Kabylie à être ce qu’elle est ou qui exclut une partie de sa population est un système totalitaire.

Depuis 2019, le peuple algérien marche et revendique une ouverture du système politique, une refonte des différents secteurs…etc. Erigé sur les décombres du système coloniale et après une lutte fratricide, le pouvoir politique algérien est resté entre les mains d’une poignée d’individus.

Trop fermé sur lui-même, parfois coupé de la réalité du pays, le système s’accroche au pouvoir et n’arrive pas à accéder aux revendications populaires. Cette impasse politique est orchestrée par des ajournements que le pouvoir opère. Il tente de gagner du temps, de temporiser au maximum pour garder les manettes. 

La fermeture du système n’admet pas dans son essence même une ouverture. Une société fermée est une société qui est basée sur le croire, modalité qui assoit et stabilise un schéma de vie, un modèle d’existence tout tracé. Le Croire est un modèle de pensée qui se repose sur l’idée d’un Dieu créateur de l’univers ; modèle qui a sa cohérence interne et nous donne une lecture satisfaisante et apaisante du monde.

 Il est admis chez beaucoup d’algériens sinon la majorité que Allah est le créateur du monde, que nous devons nous soumettre à sa Volonté. La modalité du croire comme manière d’être au monde ne souffre et ne s’offre à aucun doute. Ce qui est banni en premier lieu est de douter. Introduire dans son esprit un soupçon de doute quant à la véracité de ce qui est prescrit par le Coran ou fortement recommandé dans son exégèse est un blasphème, une atteinte à la lettre de l’Islam.

Notre destinée est toute tracée : naissance, apprentissage des préceptes de l’islam, application stricte de la Volonté de Dieu, soumission et attente de la mort pour accéder au paradis ou tant de délices nous attendent. La stabilité de cette trame toute tracée est réconfortante. Elle nous enveloppe et contient nos angoisses et peurs qui peuvent surgir de temps à autre. Tout trouve explication.

Cette unique vérité est balayée dès l’instant ou une autre lecture de la réalité est proposée. Dès qu’on interroge les postulats du Croire, à par nier le droit de pensée, on est ébranlé dans nos croyances, nos certitudes. Dès qu’on ose penser autrement, on est accusé d’hérésie et d’atteinte aux préceptes de l’islam ou à l’unité nationale. Dès qu’on dit : et si Dieu n’existait pas, s’il n’est qu’une création humaine pour trouver des réponses aux questions des hommes, nous sommes sommés d’arrêter de penser sous peine d’emprisonnement sinon élimination physique.

Interrogeons les sciences humaines qui penchent sur ces questions (l’anthropologie, la philosophie, la logique …etc.). Le propos n’est pas de faire changer ceux qui croient mais de leur faire admettre qu’il peut y avoir des personnes qui ne partagent pas leur avis sans pour autant les dénigrer ni les critiquer. 

On ne peut apporter des critiques vis-à-vis du choix d’un individu sur sa façon de vivre que dans un système érigé sur la morale, autrement dit sur la notion du Bien et du Mal, système qui se base sur l’évaluation des valeurs en circulation entre individus, lesquelles font référence à l’idée de Vérité. Notre propos est clarifié dans une contribution précédente (changer le paradigme).

Les tenants du modèle du Croire, modèle totalitaire, n’admettent pas la remise en cause de leur Vérité. Raison pour laquelle, on continue à emprisonner des journalistes pour délit d’opinion, de simples citoyens pour avoir participé à une manifestation ou un Universitaire pour avoir esquissé une critique de l’Islam depuis l’intérieur. En dehors de l’aspect juridique absurde que pose ce jugement, (rendu au nom d’une instance, Dieu en occurrence qui n’est pas un sujet de Droit), l’emprisonnement de M. Djabelkhir ne doit pas nous laisser insensible. On veut maintenir vaille que vaille le système fermé. Sans remise en cause aucune. 

Si nous aspirons à une société apaisée, nous devons laisser les différents points de vue s’exprimer. Nous devons sortir de cette version unique de la réalité et admettre un point de vue autre que le nôtre. Une société ouverte crée des possibilités d’un vivre ensemble ou chacun peut mener sa vie comme il l’entend sans être enchainé ou assujetti à une croyance imposée. Il peut choisir ses opinions, il peut choisir ses dirigeants, les révoquer au temps voulu lors des rendez-vous électoraux ou les y maintenir. Une société ouverte est une société qui s’affranchit de la Morale. Elle permet aux différences de s’exprimer. 

  • Que cherche nos jeunes harragas qui tentent une aventure périlleuse au prix de leur vie si ce n’est cette possibilité de vivre pleinement leur vie ? 

  •  Que revendique cette Kabylie si meurtrie dans sa chair si ce n’est le droit au chapitre ?

  •  Que disent ces voix qu’on a emprisonné sinon leur opinion et leur vérité ?

  • Que veut M. Djabelkhir à par l’ijtihad, effort suprême de science pour éclairer au mieux ses pairs ? 

Ce à quoi aspirent toutes ces voix étouffées, ce sont des règles, des lois qui garantiraient une possibilité d’un vivre ensemble. Si nous fûmes par le passé une communauté soudée par des buts à atteindre, aujourd’hui, il est urgent de passer à un modèle qui assoit des règles abstraites qui garantissent au plus grand nombre la possibilité de s’épanouir, de développer ses capacités et de mener une existence selon ses choix. Un modèle où sa Volonté peut s’exprimer.

Auteur
Saïd Oukaci  

 




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