22 novembre 2024
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Le Hirak, une seconde mi-temps décisive

TRIBUNE

Le Hirak, une seconde mi-temps décisive

Le 22 février 2019, est née une volonté populaire à refuser la fatalité, à vouloir éradiquer le système maléfique qui dure depuis près de soixante ans, à ambitionner de faire table rase du passé comme l’a scandé, à l’unisson, le peuple à l’égard des décideurs et de leurs serviteurs : «Yetnehaw gaɛ », Ils seront tous essouchés ».

Avec les moyens du bord, la résistance continue de s’organiser contre une gouvernance chaotique, contre les violations quotidiennes des règles du droit, contre les injustices multiformes. Malgré les arrestations toujours en cours, malgré des campagnes de désinformation, malgré le confinement, les forces populaires se consolident, prennent de l’ampleur et mettent à nu un système qui n’arrive plus à dissimuler son essoufflement.

Un an après le big-bang politique de février 2019, nous arrivons à un moment clé où le changement, moteur de l’histoire des sociétés, est aux frontières du possible. Il n’est plus acceptable de supporter passivement la conjonction des crises (économique, politique, morale, sanitaire …) que nous avons subies jusque-là. Les fondamentaux de la démocratie, de la culture, de l’économie enregistrent déséquilibres sur déséquilibres. La chute brutale du prix du pétrole et la suspension soudaine de l’activité commerciale et industrielle ne sont pas les facteurs qui ont conduit au désastre économique. Ils en sont les révélateurs.

Le chaos n’est pas à venir, il est à nos portes

Les conséquences sont incalculables : épuisement moral des forces vives et tarissement des ressources énergétiques, dépendance alimentaire, assèchement des réserves de change et des bassins d’emploi, fuite des cerveaux, perte des savoirs et des savoir-faire, incendies de forêts et avancement du désert, pollutions de l’air, de l’eau et des sols, urbanisation ségrégative favorisant violence, pauvreté et creusement des inégalités, surarmement sous tutelle étrangère, émergence de maux sociaux addictifs, étouffement des lanceurs d’alerte, …

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Le chaos n’est pas à venir, il frappe à nos portes. La dilapidation des biens publics, les détournements financiers astronomiques, la gouvernance à courte vue continuent de raréfier gravement les ressources aujourd’hui et les rendent hypothétiques demain. 

Pire, cette machine à fabriquer le malheur s’accompagne d’une croissance démographique incontrôlable. Au 21ème siècle, le prétexte religieux est encore invoqué pour justifier cette dérive. L’intérêt des générations futures ne compte pas, il n’a jamais compté. Le cumul de ces calamités menace de rendre ce chaos épouvantable, durable voire irréversible. À grande échelle, dans les mois ou les deux ou trois années qui viennent, la misère va s’accroître, les épidémies vont se diversifier, les pénuries, le chômage et les conflits vont se multiplier.

Les Algériens n’en peuvent plus. Ce n’est plus possible d’assister collectivement au naufrage du pays, de la nation, de toute la société. Devant un tel désastre, les replis sectaires ou les retraits bien-pensants sous prétexte qu’un camp ne peut supporter la présence de l’autre, seraient une logique suicidaire.

Il ne s’agit pas de s’allier avec l’adversaire d’hier, de perdre son âme, il s’agit de mobiliser toutes les forces en présence, jusqu’à la refondation de l’État. Hier, certains ont cherché à instaurer un régime théocratique en se référant à ce qu’ils considèrent comme « l’âge d’or » de leur culte ; d’autres ont voulu contrer ce projet en soutenant l’oligarchie militaire considérée comme le moindre mal.

Ce débat s’est avéré caricatural et se résume en un dialogue de sourds. Il avait conduit à une confrontation sanglante, un désastre humain et moral. La tentation de reproduire ce schéma politique binaire aboutirait à un échec collectif tout aussi fatal que le précédent. Sans esprit d’ouverture, nous irions collectivement droit au mur.

La vérité est, aujourd’hui, amère à dire. La tâche qui attend les hirakistes est pharaonique tant les barrières érigées entre les uns et les autres restent difficilement franchissables. Les murs et les fossés fragmentent, depuis longtemps, la société. Les acteurs politiques ne se parlent pas ou presque pas. S’ils le font, on crie haro sur eux. Les monologues prennent alors le dessus pour éviter d’être taxé de « traîtres » ! Le moment est pourtant venu de chercher à se dépasser, sans quoi il ne sera pas possible de nous émanciper du système qui garde encore une grande capacité de nuisance voire de résilience. La constitution qu’il veut imposer en est un des outils.

Mettre le pays au diapason du monde de demain

Le seul futur envisageable est un ressaisissement collectif dans le respect des différences politiques, religieuses, culturels, linguistiques, etc. Vouloir déconstruire le modèle en place nécessite, en plus d’une stratégie intelligente, un élan du cœur. Cela exige aussi un frein puissant à notre légendaire narcissisme, à nos dogmatiques certitudes. Une rupture fondatrice est possible et elle ne viendra sûrement pas d’en haut comme le susurrent certains acteurs politiques tentés de vite approcher les sommets d’El-Mouradia comme la chèvre de Monsieur Séguin était pressée de gravir la montagne où sévit le loup. Ceux-là se révèlent à l’affût d’une place sans en mesurer les conséquences.

Chacun sait qu’il a beau annoncer de bonnes intentions, le chef de l’État n’a pas de marges de manœuvre. Il est là pour exécuter la feuille de route de qui l’ont intronisé. Mouloud Hamrouche, enfant du sérail, a lui-même avoué cette réalité quand il a été sollicité pour participer aux présidentielles de 2019. « Même élu, je ne pourrai rien faire » avait-il déclaré.

Il faut en revanche que nous prêtions attention au foisonnement des initiatives citoyennes qui ont accompagné le confinement imposé par le coronavirus. Des initiatives qui peuvent déboucher sur des réseaux permanents d’actions collectives. De wilaya en wilaya, ces actions menées sur le terrain pour protéger la population peuvent s’articuler durablement pour préparer les esprits aux prérogatives locales et régionales. Des prérogatives en parfaite congruence avec le mot d’ordre populaire « blad, blad-na u ndiru rray-na, le pays est le nôtre et nous y déciderons nous-mêmes » qui signifie bien que l’Algérien veut être acteur chez lui tout en gardant un cadre de solidarité globale.

C’est une voie possible de sortie, une alternative démocratique envisageable au système dominant, centralisé et paranoïaque. Reste à réfléchir comment le faire avec un maximum de chance de succès.

La priorité démocratique doit être à la fois l’outil et le but collectifs

Dans ce moment de transition historique, les acteurs du Hirak portent une lourde responsabilité quant à l’aboutissement ou non du projet. Inscrire, aujourd’hui, des recommandations doctrinaires dans la démarche du Hirak aboutirait à l’affrontement. Tout conflit en son sein oxygénerait immanquablement les clans au pouvoir. Il nous ramènerait tout droit à la case départ, la case mortifère.

L’ouverture politique à insuffler pour nous accepter mutuellement, le pragmatisme à encourager ne sont pas des branches d’un arbre idéologique déjà planté. Ils ne doivent pas être non plus l’arbre qui cache la forêt mais celui qui la régénère afin de mettre l’Algérie au diapason du monde de demain. Une Algérie des livres et non celle d’un livre si l’on veut compter parmi les puissances émergentes.

Mais si notre ego venait à prendre le pouvoir sur nous, on se rejetterait, de façon stérile, la faute les uns sur les autres. Le Hirak, né de la volonté d’éradiquer tous les déséquilibres et toutes les injustices endurées jusque-là, doit s’atteler, dès la reprise, à réussir sa seconde mi-temps toujours dans la « silmiya, la voie pacifique ».

Si nous puisons nos forces dans ce qu’il y a de meilleur en nous, le but serait atteignable. Pour cela, la priorité démocratique doit être à la fois l’outil et le but collectifs. Alors et seulement alors, cette seconde mi-temps du Hirak signifierait la mort d’un système, la renaissance d’un peuple. Cette perspective ne résultera pas de vœux pieux mais dépendra du comportement des élites politiques, associatives, syndicales et universitaires, de leur capacité à conjuguer leurs luttes en toute modestie. 

Hacène Hirèche, universitaire, membre du Comité « Sauvons Karim Tabbou »

Auteur
Hacène Hirèche, universitaire

 




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