18 avril 2024
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Le militant Jean Jaurès

PORTRAIT

Le militant Jean Jaurès

« La République doit être laïque et sociale mais restera laïque parce qu’elle aura su être sociale. » Jean Jaurès

J’ai parlé de l’homme dans mon premier papier et j’en fais un petit rappel avant d’aborder le militant. Jean Jaurès venait de loin. Qu’on songe un instant qu’il était né en 1859, douze ans avant la Commune, dans une famille de petite bourgeoisie du Tarn. Qu’on songe que les traditions familiales n’étaient pas particulièrement républicaines.

Qu’on songe à la profonde piété de sa mère. Élu député en 1885, il siège au centre gauche en ayant que de faibles lueurs sur ce qui constituera plus tard son idéologie. Il deviendra républicain et laïque et avec quelle ardeur !

Son cheminement a été assez lent. Jaurès n’est pas venu au socialisme sur un coup de tête mais au contact de l’histoire de la France et au terme d’une longue réflexion. « La démocratie française, écrit-il dans la Dépêche de Toulouse en 1887, n’est pas fatiguée de mouvement, elle est fatiguée d’immobilité. »

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Les problèmes soulevés au parlement et qui concernaient les paysans pauvres et la sécurité des ouvriers ont suscité la méfiance des possédants. « Où prétendez-vous conduire la société humaine ? » demanda-t-il ? Et la réponse de Jules Ferry claqua : « Organiser l’humanité sans dieu et sans roi ! ». Laïque et antimonarchiste, Jaurès pensait que cette perspective ne suffisait pas. L’obstacle principal au bonheur de l’humanité était du côté du capital financier. 

En 1889, échec aux législatives mais il réussit à être élu comme maire-adjoint à Toulouse en 1890. Il assiste à l’éclosion des bourses du travail et rencontre enfin Jules Guesde, l’introducteur du marxisme en France. Est-ce à dire que Jaurès soit dès lors devenu marxiste ? Il ne le sera jamais. 

Il conteste la lutte des classes et son rôle comme moteur dans l’histoire. Le mot même de classe lui semble insolite mais ses yeux s’ouvrent totalement lorsqu’il prend connaissance de la misère ouvrière. C’est lorsqu’il sera élu député de Carmaux qu’il fera l’expérience directe de la lutte des classes. Ces années pénibles vont le révéler à lui-même. Homme d’action et de courage, il conquiert le cœur de ses concitoyens.

Par-delà Carmaux, il découvre le monde ouvrier : meetings dans toute la France, aide personnelle aux mineurs en grève. Il n’est pas encore au bout de son itinéraire. Le Jaurès de cette fin de siècle est difficile à relier à celui des années 1905-1014. Non seulement parce qu’il n’a pas encore l’envergure internationale, mais aussi parce que les évènements ne l’ont pas encore pressé. 

Il se transforme complètement au tournant du siècle. Il défend un régime républicain qu’il croit sérieusement menacé par une vague nationaliste et il veut avoir prise sur le réel, ce qui l’emmène à soutenir le bloc des gauches entre 1899 et 1904. Il rompt avec l’anarchisme et son comportement révolutionnaire fléchit. Il rentre dans une pratique réformiste à laquelle il se donne tout entier. Les années 1904-1905 marquent un tournant dans sa démarche.

Son vieux rêve de mener bataille contre « les sectes » et l’unité socialiste est enfin réalisé. Son audience va s’étendre à tout le mouvement socialiste français et ses contacts se multiplier à l’international. Les campagnes de masse qu’il lance pourront être soutenues par des forces de plus en plus nombreuses. Et la première révolution ruse de 1905 lui révèle l’outil admirable que peut être, dans des circonstances décisives, la grève politique de masse. Il s’en souviendra pour songer à l’utiliser comme un des moyens d’action, le principal, en cas d’imminent péril de guerre.

Dans son long discours qu’il fit en 1904 à la Chambre des députés en 1905, Jaurès s’identifie à ces « hommes sincères qui cherchent en un travail profond et souvent inaperçu, le point d’équilibre de leur vie intérieure et de la vie mouvante des choses ».

Sa confiance inaltérée dans la démocratie, c’est-à-dire dans le citoyen et son pouvoir d’action, la condamnation sans réserve qu’il porte contre « l’ordre social actuel », sa conviction que seul le socialisme permettra à l’humanité de conquérir la nature sans assujettir une partie d’elle-même et de « substituer la justice aux âpres conflits de la force », telle sont les raisons de l’optimisme qui soutient Jaurès dans la lutte qu’il mène à partir de 1905 contre le colonialisme et la guerre, contre le capitalisme et la complicité de l’église, pour la vie des hommes et celle des peuples.

Jean Jaurès, militant socialiste français, est le seul qui soit mort de son action militante. Il est aussi celui qui s’efforce le plus ardemment d’apercevoir ce que sera une société juste et pacifique.

Le reste de l’histoire, nous la connaissons. Elle se termine brutalement au son d’une double explosion occasionnée par l’arme tenue par Raoul Villain au café le Croissant, rue Montmartre à Paris, le 31 juillet 1914 à 21 h 40, juste à la veille du déclenchement de la Première guerre mondiale. Depuis, Jean Jaurès essaime les noms de rues de toutes les villes françaises et demeure une des références du socialisme du début du XXe siècle. 
 

Auteur
Kamel Bencheikh, écrivain

 




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