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Le monde va-t-il si mal ? 

REGARD

Le monde va-t-il si mal ? 

Comment va l’humanité ? De mal en pis, cela va de soi ! répond-on spontanément. Or, dans les années 1960, Paul Ehrlich, un biologiste américain a prévu des famines de masse, liées à l’augmentation rapide de la population.

Certainement, à côté, la pandémie de la Covid-19 serait une blague ! Mais le pire prévu n’a pas eu lieu. Le catastropho-scepticisme est-il foutu ? Et bien, on tend à le croire. Quant à Denis Meadows, l’un des auteurs du célèbre rapport du club de Rome en 1972, « Halte à la croissance ! », il estime que les technologies sont développées par les riches et les puissants, et leurs conséquences sont subies par les pauvres. Ainsi, 27% de la croissance mondiale a été captée par 1° de la population. Terrible injustice !

Quelque part en Suède, au tout début des années 80, un adolescent ronge, lui aussi, son spleen. Rien ne va bien dans ce monde : des usines aux autoroutes, des casinos aux supermarchés. Et le futur ? Une idiotie, voire un cauchemar consumériste.

Mais trêve de fatalisme ! Le jeune Johan Noreberg commence à s’intéresser à tout, à lire, à toucher à des bouquins d’histoire. « J’ai découvert alors, dit-il, la vie quotidienne de nos ancêtres, que j’avais longtemps enviés. En fait, ils crevaient littéralement de faim ! » Trente ans plus tard, le même Noreberg, chercheur de renom, saute de conférences en entretiens. Sourire en coin, il enchaîne les phrases choc du type : « nous sommes témoins de la plus importante amélioration des conditions de vie au monde ! »

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Au cours de ses sorties scientifiques, il lui arrive de croiser la route d’autres modèles d’une clique étrange qu’on appelle « les nouveaux optimistes » : des essayistes qui pensent que le monde ne va pas si mal que certains le prédisent ! Parmi eux des statisticiens, comme le Suédois Hans Rosling, aujourd’hui décédé, des libéraux assumés dont fait partie Noreberg, et Steven Pinker, un spécialiste de la psychologie cognitive à l’université de Harvard. Leurs bouquins cartonnent partout, avec des titres tels que « The Rational Optimist », sorti en 2010, ou « Ce n’était pas mieux avant » en 2017. Bien que rejetant l’idée d’un groupe organisé, les uns et les autres se citent et croient à un nouvel espoir. En ce sens, la vie qu’ils ont longtemps vue en noir : pauvreté, dictatures, inégalités, guerres, racisme, populisme, effet de serre, etc., n’est pas aussi noire qu’ils se l’imaginent.

Désormais hors de ce cercle du pessimisme morbide, ils entendent analyser la vie autrement : l’être humain a tendance, d’après eux, à idéaliser le passé, à surestimer le négatif, à anticiper le pire. Et ces clichés nauséabonds, logés dans nos neurones, sont réexploités et surtout stimulés par les médias, qui n’évoquent jamais les progrès réalisés quotidiennement par l’humanité.

Comme le fait, par exemple, que la sous-alimentation a été divisée par 2.5 dans les pays en développement depuis 1970. Et que l’espérance de vie dans le monde a augmenté de quarante ans depuis 1900. Pareil pour la santé, l’alphabétisation, l’accès à la culture, etc. Autrement dit, pour ces prophètes du bonheur, « un changement lent reste un changement quand même ! »

Mais allons convaincre les pauvres de la planète que les choses évoluent dans le bons sens ! En 2016 par exemple, les 8 000 milliardaires les plus riches de la planète possèdent ensemble un patrimoine équivalent en valeur monétaire aux maigres avoirs détenus par la moitié la plus pauvre de l’humanité, soit 3,5 milliards d’êtres humains. La concentration des richesses est rapide : le club des possesseurs de ces immenses fortunes comptait 65 multimilliardaires en 2015, 85 en 2014 et 388 en 2010.

Faire de nécessité vertu, telle est, semble-t-il, la maxime du système capitaliste qui se nourrit des crises qu’il engendre. L’argent qui fait pourtant rêver ceux qui n’en ont pas s’est transformé, néolibéralisme oblige, en une arme de destruction massive : le canon et la mitraillette des temps modernes.

L’oligarchie du Capital force les pays, les faibles bien entendu qui veulent montrer la tête, à courber l’échine, sur le plan économique d’abord, puis sur le plan militaire, sinon les deux à la fois. Ils doivent obéir au doigt et à l’œil aux Maîtres de la planète et s’ils tentent de se révolter, ces derniers serrent les boulons et les vis, jusqu’à l’étranglement, et si jamais ils continuent, ils vont jusqu’à les étouffer. Tout sera mobilisé pour l’opération de destruction psychologique de l’ennemi hypothétique : institutions financières, organisations droit de l’hommistes, ONU, médias, etc.

Et puis, que dirait-on encore des dégâts collatéraux de ce système mondialisé ? En 2013 par exemple, un millier d’ouvriers sont morts, après l’effondrement de Rana Plaza, une usine de textile de huit étages à Dacca, la capitale de Bangladesh. Les unes de la presse furent unanimes : ces ouvriers-là travaillent dans des ateliers aux murs gravement fissurés (destinés en principe pour l’activité commerciale), alors qu’ils vouent leur vie fragile à la fabrication de pantalons et de tee-shirts low-cost à un rythme effréné, en échange d’un salaire d’un euro par jour, pour le compte de marques mondiales qui les vendent vingt ou trente fois le prix de production à la jeunesse d’Europe et d’Amérique.

Auteur
Kamal Guerroua

 




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