L’accès au territoire palestinien de Gaza est interdit aux journalistes internationaux. Israël a verrouillé cette enclave pour sévir. Sur place, les correspondants locaux tentent de couvrir les bombardements, mais sont freinés par les coupures d’internet et les pénuries.
Le blocus de la bande de Gaza touche aussi l’information. Au moins 33 journalistes sont tués pendant les bombardements de l’armée israéliennes. Depuis le début de l’offensive israélienne, déclenchée en réponse aux assauts terroristes du Hamas le 7 octobre dernier, les journalistes internationaux n’ont toujours pas été autorisés par Israël à franchir la frontière. Sur place, toutefois, leurs confrères locaux continuent de côtoyer la mort pour documenter les conséquences des frappes.
#Gaza: Un journaliste palestinien et après la mort de son collègue, enlève son gilet par balle "PRESS" et son casque:
"Ça sert à rien…ils ne protègent pas des bombes israéliennes qui continuent de tuer nos collègues journalistes"
26 journalistes tués par #Israel depuis le 7/10 pic.twitter.com/gTl8mNXTop— Desertup (@Desertup) November 2, 2023
Au premier jour de l’offensive, Youmna El Sayed, reporter pour la chaîne Al-Jazeera English, a été surprise en plein direct par une explosion sur la tour « Palestine », dans le quartier huppé de Rimal. « C’était plus terrifiant encore que ce vous pouvez voir à l’antenne, confie-t-elle à franceinfo. J’avais l’impression qu’on m’avait arraché le cœur. Je me suis mise à pleurer, le souffle coupé, et je n’arrivais plus à me contrôler. »
Au fil des semaines, Youmna El Sayed est devenue l’une des voix les plus écoutées dans le territoire palestinien. « Nous entendons en permanence des bombardements, mais il est toujours aussi difficile de s’habituer au bruit », témoigne la journaliste, qui multiplie les directs. « Je suis encore vivant, mais le mot ‘sécurité’ n’existe plus dans notre vocabulaire », abonde Rami Abujamus. Comme sa consœur, ce reporter indépendant a prix la lourde décision de rester dans la ville de Gaza, dans le nord de l’enclave palestinienne, malgré l’ordre d’évacuation lancé par l’armée israélienne. Mais « la majorité des collègues sont partis vers le Sud pour sauver leurs vies et leur matériel ».
« Cette guerre ne ressemble à aucune autre. Les bombardements sont continus et il n’y aucun endroit sûr. C’est littéralement l’enfer sur terre. »
Youmna El Sayed, journaliste pour Al-Jazeera Englishà franceinfo
Les journalistes gazaouis, ou leurs familles, sont eux-mêmes victimes des frappes. L’exemple de Wael al-Dahdouh, responsable du bureau local d’Al-Jazeera, a marqué les esprits. Le 25 octobre, en plein direct, ce journaliste a appris la mort de sa femme, de deux de ses enfants et de membres de sa famille. Effondré, il a rendu l’antenne. Un peu plus tard, le public l’a retrouvé à la morgue de l’hôpital, aux côtés des dépouilles, toujours avec son gilet pare-balles « presse » sur le dos. La chaîne télé a vivement dénoncé la frappe menée sur le camp de Nuseirat, où était réfugiée la famille. Wael al-Dahdouh, lui, a repris le travail après les funérailles, organisées le lendemain du drame.
Gaza: ce journaliste d’Al-Jazeera a perdu sa femme, sa fille et son fils dans un bombardement israélien pic.twitter.com/6FwtijpyAA
— BFMTV (@BFMTV) October 26, 2023
Au moins 33 journalistes ont été tués dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre, selon un décompte du Comité de protection des journalistes (CPJ). Bien davantage que les 13 enregistrés lors de la seconde intifada, au début des années 2000. « Ce n’est pas une coïncidence. Israël connaît la moindre coordonnée dans la bande de Gaza », affirme Youmna El Sayed. Elle accuse l’armée israélienne de cibler délibérément les reporters, afin d’étouffer la production d’images. « Mon mari a reçu un appel issu d’un numéro privé. L’interlocuteur l’a identifié par son nom complet, et nous a intimé l’ordre d’évacuer vers le Sud », cite-t-elle en exemple. Le bureau de l’AFP a par ailleurs été gravement endommagé jeudi par une frappe, a fait savoir l’agence de presse.
Israël, à ce stade, n’a pas commenté ces accusations. L’AFP et Reuters ont écrit à son armée, début novembre, afin d’obtenir l’assurance que leurs collaborateurs ne seraient pas ciblés. Tsahal leur a répondu que la sécurité des médias ne pouvait être garantie, affirmant que le Hamas avait délibérément placé ses infrastructures à « proximité de la presse et des civils ».
L’ONG Reporters sans frontières a annoncé le dépôt d’une plainte devant la Cour pénale internationale, pour « crimes de guerre commis contre des journalistes palestiniens à Gaza ». Elle pointe notamment la mort de huit journalistes « tués dans des bombardements de zones civiles ».
« Les déplacements sont trop périlleux »
« J’ai vécu quatre guerres. D’habitude, c’est moi qui couvre l’info. Mais aujourd’hui, c’est moi qui suis en train de devenir l’info », résume Sami Abu Salem, après plusieurs tentatives pour le joindre au téléphone. Ce reporter, formateur en sécurité pour la Fédération internationale des journalistes (IFJ), est stupéfait par l’intensité des frappes israéliennes. « J’ai l’habitude d’enseigner aux confrères les premiers secours, l’équipement de protection et l’évaluation des risques, explique-t-il. Mais tout ceci est devenu obsolète et inutile. Il n’y a pas de ligne rouge. La plupart des victimes que nous voyons sont des enfants et des femmes. »
Avec Francetvinfo